A Avignon, une consultation de reconnaissance des cancers professionnels change la donne

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

23 novembre 2022

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Avignon, France L'Institut du Cancer Avignon-Provence a mis en place une consultation de reconnaissance des cancers du poumon professionnels. La procédure a été évaluée, et elle est transposable à d'autres centres. Explications.

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Bien que le plan 2021-2030 de lutte contre le cancer affiche l'ambition « d'améliorer la prévention et la reconnaissance des cancers d'origine professionnels », la sous-reconnaissance des cancers professionnels est flagrante (voir chiffres ci-dessous), et il y a certainement des progrès à faire aussi en prévention.

Dans ce contexte, l'Institut du Cancer Avignon-Provence (ICAP), qui avait déjà participé en 2018-2019 à l'étude PROPOUMON , menée par le Centre Léon-Bérard de Lyon, a mis en place et évalué une procédure améliorant considérablement la détection et la reconnaissance d'une origine professionnelle des cancers du poumon. Les résultats de cette intéressante étude, aux multiples enjeux, sont rapportées dans le Bulletin du Cancer, revue de la Société Française du Cancer[1].

Il s'agissait non seulement d'indemniser le préjudice subi par les victimes ou leurs ayants droit mais, au-delà, d’adapter « des programmes de prévention nationaux prenant en compte les risques passés, présents et émergents », soulignent les auteurs.

 
Une meilleure identification des cancers professionnels pourrait améliorer la connaissance de ces pathologies, et pourrait contribuer à la prise de conscience de leur dangerosité par les employeurs, les travailleurs, et les professionnels de santé.
 

 

Cancers professionnels en chiffres
En 2019, en France, 1790 cancers ont été reconnus d'origine professionnelle.
Selon l'Institut de Veille Sanitaire, les cancers d'origine professionnelle représenteraient quelque 5% de l'ensemble des cancers, et entre 15 et 30% des cancers du poumons.
Le plan Cancer 2014-2019 estime, lui, qu'entre 14 000 et 30 000 cancers dépistés chaque année en France ont une origine professionnelle.
L'enquête SUMER 2017 a montré que 2,7 millions de salariés avaient été exposés à au moins un produit chimique cancérogène dans la semaine précédant l'enquête, soit 11% de l'ensemble des salariés du secteur privé et du secteur publique en France.

Peu de questionnaires retournés

De novembre 2014 à décembre 2020, tous les patients chez lesquels un cancer bronchopulmonaire primitif, y compris le mésothéliome, qui avaient été diagnostiqué à l'ICAP, ont reçu un questionnaire libre, à remplir avec une description sommaire du parcours professionnel et d'une éventuelle exposition à des agents cancérogènes.

La remise de ce questionnaire, issu de l'étude PROPOUMON, a été confié à une secrétaire spécialisée à partir de janvier 2016, tant la remise par le médecin oncologue lors de la consultation d'annonce du diagnostic était délicate, indiquent les auteurs.

Le questionnaire rempli était ensuite analysé par deux médecins du travail expérimentés, lesquels, en cas d'exposition suspectée, invitaient le patient à une consultation approfondie, d'une durée de 90 minutes.

Invisibilité des expositions professionnelles

Pour une moyenne de 384 nouveaux cas de cancer bronchopulmonaire primitif diagnostiqués chaque année à l'ICAP, 498 questionnaires complétés ont été reçus durant l'étude, soit un taux de 23%, qui grimpe cependant à 39% en 2020.

« Un taux qui reste bas », notent les auteurs.

Après une première analyse, 285 patients, potentiellement exposés, ont été invités à une consultation spécialisée.

Parmi eux, 261 ont accepté, et se sont effectivement rendus à la consultation (âge médian : 67 ans, 91% d'hommes).

L'exploration du parcours professionnel, la recherche des périodes et fréquences des expositions, et des protections mises en œuvre, a été effectuée par les deux médecins du travail.

Les auteurs soulignent qu'il s'agit d'une « véritable enquête où sont confrontés la mémoire et le savoir du patient avec l'expertise et l'expérience des médecins ».

Ils déplorent par ailleurs « les carences de la traçabilité », qui, bien que « prévue par plusieurs textes réglementaires, n'est pas efficiente ».

« L'absence de traçabilité des expositions professionnelles participe à leur invisibilité », estiment-ils.

 

Démarche de reconnaissance professionnelle

Lorsque, à l'issue de la consultation, l'origine professionnelle était jugée suffisamment « vraisemblable », les médecins du travail proposaient au patient d'effectuer une déclaration en tant que maladie professionnelle auprès de l'Assurance Maladie.

Quand il s'agissait de patients âgés, diminués par leur maladie, face à des démarches administrativement et émotionnellement lourdes, une assistante sociale était disponible pour aider à la constitution des dossiers.

Au total, 198 patients (76% des consultations) se sont vus proposer une démarche de reconnaissance professionnelle (79% pour exposition à l'amiante, 7% à l'arsenic, 5% à la silice, 3% aux rayonnements ionisants, 2% aux goudrons, et 2% dans des mines de fer). Cent quatre-vingts déclarations ont été effectuées.

« Certains patients refusent d'effectuer cette déclaration, ou abandonnent en cours de procédure », notent les auteurs. « Cette décision semble essentiellement motivée par un sentiment d'illégitimité, attribué au tabac ou au déni de l'exposition professionnelle, mais également par la complexité des démarches administratives ».

Enfin, sur les 151 déclarations dont l'issue est connue, 107 ont été reconnues comme maladies professionnelles, soit 54% des propositions de déclaration, ce qui représentent 21% des questionnaires initialement remplis par les patients.

 
Un sentiment d'illégitimité, attribué au tabac ou au déni de l'exposition professionnelle, mais également par la complexité des démarches administratives.
 

Pourquoi est-il si important de repérer les cancers professionnels ?

« Une meilleure identification des cancers professionnels pourrait améliorer la connaissance de ces pathologies, et pourrait contribuer à la prise de conscience de leur dangerosité par les employeurs, les travailleurs, et les professionnels de santé, et ainsi encourager leur prévention ».

Les auteurs font enfin remarquer ce fait « moins connu »: « l'Assurance maladie (et donc la collectivité) trouve aussi un avantage financier » à la reconnaissance des maladies professionnelles, puisque celles-ci sont prises en charge non par la branche maladie mais par la branche Accidents du Travail et Maladie Professionnelle, financée par les employeurs.

(Tous les 3 ans cependant, une commission évalue les frais résultants de la sous-déclaration qui sont reversés à la branche maladie par la branche AT-MP. Pour l'année 2022, ce montant a été fixé à 1,1 milliard d'euros).

Etendre ce parcours de reconnaissance des cancers professionnels à d'autres centres ?

Il existe en France des consultations régionales de pathologies professionnelles, vers lesquelles les patients sont adressés pour avis spécialisés. Il existe par ailleurs des consultations de recherche des expositions professionnelles et d'aide à la déclaration – « le plus souvent à l'initiative d'associations diverses », notent les auteurs.

Mais « à notre connaissance, il n'existe pas, en France, de consultation [telle que celle de l'ICAP] faite par des médecins du travail et dont le recrutement concerne tous les patients d'un établissement, atteints d'une pathologie pouvant être d'origine professionnelle ».

Et les auteurs ajoutent que, « malheureusement, compte tenu d'une démographie décroissante des médecins du travail, il semble difficile de l'étendre ».

L'objectif reste cependant « de fournir des pistes pour la généralisation d'une telle organisation à d'autres centres anticancéreux ». L'équipe de l'ICAP se dit d'ailleurs prête à répondre à toute demande d'information sur « sa faisabilité en routine ».

 
L'objectif reste cependant « de fournir des pistes pour la généralisation d'une telle organisation à d'autres centres anticancéreux.
 

 

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