Montpellier, France – Comprendre le Covid long reste un objet d'étude majeur tant il concerne une proportion importante des malades du Covid. Une étude de l’Inserm, de l’Université de Montpellier et de l'Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier (IRCM) propose un mécanisme impliquant une dérégulation des neutrophiles expliquant la persistance des symptômes six mois après une hospitalisation en soins critiques. Ce travail met en lumière aussi l'origine des microthromboses lesquelles sont largement retrouvées lors des autopsies des patients décédés du Covid. Les résultats sont publiés dans la revue Journal of medical virology [1].
Medscape édition française s'est entretenu avec Alain Thierry, directeur de recherche Inserm à l'Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier (IRCM), qui a coordonné cette étude.
Medscape édition française : Les NETs (neutrophil extracellular traps) sont au cœur du mécanisme que vous avez mis en évidence pouvant expliquer le Covid long. De quoi s’agit-il ?
Alain Thierry : Les NETs, que l'on traduit en « pièges extracellulaires de neutrophiles », sont produits par les neutrophiles lorsqu'ils sont activés. Composés d’ADN, d’enzymes puissantes et de molécules pro-inflammatoires, ces filets attrapent les virus et les bactéries et les dégradent. Connue seulement depuis 2004, la production des NET par les neutrophiles se déroule dans les premières heures de l'infection, ce qui correspond à la réponse immunitaire innée. Il s'agit d'un mécanisme de défense de première ligne contre les pathogènes, aussi observé chez les personnes atteintes d'une maladie non-infectieuse auto-immune comme le lupus ou l'arthrite.
Comment avez-vous émis l'hypothèse d'une augmentation des NETs chez les malades du Covid et chez les personnes avec un Covid long ?
Alain Thierry : Mes travaux de recherche fondamentale portent sur les ADN circulants dont je pense qu'ils peuvent avoir pour origine les NETs. C'est ainsi que j'ai commencé à m'intéresser à ces derniers. Au cours des premiers mois de l'épidémie de Covid 19, je me suis aperçu que les comorbidités du Covid 19 correspondaient à des pathologies avec élévation des NETs (HTA, arthrite, diabète, obésité). Mon hypothèse intiale – que les NETs soit un élément clef de la physiopathologie du Covid 19 – a été reprise par une équipe américaine qui a été la première à montrer que les malades du Covid avaient des NETs élevés. De mon côté, j'ai initié un essai clinique avec le CHU de Montpellier au cours duquel nous avons analysé les échantillons biologiques de plus de 155 patients. Il y avait 3 groupes de patients : un groupe d'individus atteints de Covid 19 qui ont été hospitalisés, un groupe d'individus atteints de Covid 19 placés en soins intensifs, et un groupe de patients qui ont eu un bilan post-infection aiguë plus de six mois après leur sortie du service de soins critiques. Ces échantillons ont été comparés à ceux de personnes saines. Notre groupe est le premier à montrer que la formation de NETs est associée à la sévérité de la maladie et à la persistance des symptômes de Covid long. Nous sommes aussi les premiers à avancer une explication moléculaire et physiopathologique du Covid.
Par quel mécanisme moléculaire pourrait-on expliquer la production anormale de NETs chez les patients avec le Covid ? En quoi les NETs éclairent-ils les microthromboses du Covid ?
Alain Thierry : Comme je vous le disais précédemment, les NETs sont impliqués dans les maladies auto-immunes si bien que le mécanisme est documenté. Les fragments d'ADN issus de la dégradation des NETs conduisent à la formation d'auto-anticorps, dont des auto-anticorps antiphospholipides qui stimulent les neutrophiles, lesquels produisent en retour des NETs. Une boucle d'amplification se met en place. Concernant les microthromboses, les NETs accrochent les plaquettes et il y a formation de microcaillots. Pour mémoire, il est maintenant connu que le Covid n'est pas proprement dit une maladie respiratoire mais multi-organe avec comme particularité la survenue d'événements thrombotiques. Ces microthromboses conduisent aux douleurs musculaires et articulaires et aux atteintes cardiaques et bouchent les capillaires pulmonaires.
Pourquoi assiste-t-on à un emballement de la formation des NETs, ce qui conduirait à un Covid long chez certains patients et pas chez d'autres ?
Alain Thierry : Pendant cette pandémie, on a observé avec étonnement que dans certains couples l'un des deux était touché par le Covid et que l'autre ne l'était pas malgré leur intimité. Je pense que la génétique peut expliquer la différence individuelle de seuil de formation des NETs. Nous ne serions pas égaux face à la formation des NETs : il y aurait des individus dont les neutrophiles sont plus ou moins producteurs de NETs. Un jour peut-être, nous serons capables d'analyser les facteurs génétiques en cause.
Quelles sont les autres hypothèses pour expliquer le Covid long ?
Alain Thierry : Plusieurs hypothèses sont explorées mais sans démonstration reproduite par différentes équipes aujourd'hui. La première hypothèse est celle du maintien de l'infection pendant de longs mois, c'est-à-dire le maintien du Sars-CoV2 dans l'organisme, mais ceci n'a pas été complétement démontré. La deuxième hypothèse est l’activation des macrophages, notamment dans les tissus graisseux.
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Citer cet article: Covid long, une réponse immunitaire dérégulée ? - Medscape - 22 nov 2022.
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