
Pr Ayoubi
France – Une méta-analyse de grande ampleur confirme le déclin du taux moyen de spermatozoïdes : un phénomène désormais mondial et en pleine accélération. Décryptage du Pr Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction de l’Hôpital Foch de Suresnes.
Un phénomène mondial
En 1973, le taux moyen de spermatozoïdes était de 101 millions par ml. En 2018, il avait baissé de moitié (49 millions/ml) – une chute qui est, par ailleurs, en train de s'accélérer, puisque le taux moyen de la chute de gamètes dans le sperme de la population masculine a plus que doublé au cours des 50 dernières années, passant de 1,16% entre 1973 et 2000 à 2,64% par an entre 2000 et 2018.
En outre, le phénomène est désormais mondial, puisque la méta-analyse de 223 études, qui vient d'être publiée dans Human Reproduction Update inclut des données en provenance de tous les continents, et des pays économiquement développés comme de pays qui le sont moins, en Amérique du Sud, Amérique centrale, Afrique et Asie. [1] « Nous espérons que ces nouvelles données attireront l'attention non seulement des médecins et scientifiques, mais également des responsables politiques et du grand public », concluent les auteurs.
Comment expliquer cette baisse du nombre de spermatozoïdes ? Quels autres facteurs que les modes de vie ou l’environnement peuvent avoir une incidence sur les troubles de la fertilité ? Medscape a posé la question au Pr Jean-Marc Ayoubi (Service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction, Hôpital Foch, Suresnes).
Quelle est l'importance des résultats publiés dans Human Reproduction Update ?
Pr Jean-Marc Ayoubi : Depuis plus de 20 ans, les résultats s'accumulent pour montrer une baisse du nombre de spermatozoïdes sur spermogramme. En soi, l'information n'est donc pas nouvelle. Pourtant, la méta-analyse de Levine et coll est extrêmement importante parce qu'elle se base sur des études de qualité, et que les résultats sont maintenant sans équivoque. Jusqu'à présent, les données provenaient essentiellement des pays industrialisés, alors que dans cette méta-analyse, les données viennent de tous les continents.
A l'instar du courant climatosceptique, on pouvait encore se réfugier derrière une sorte de "oui mais" . Aujourd'hui, la baisse du nombre moyen de spermatozoïde est confirmée, elle est mondiale, elle est importante et elle s'accélère : elle atteindra bientôt les 3% par an. Il n'est donc plus question de se voiler la face ; il est temps d'agir.
Les causes du phénomène sont-elles identifiées ?
Pr Ayoubi : Les causes du déclin de la fertilité masculine sont multiples et variées. Certaines sont connues : le tabac, la pollution atmosphérique, certains médicaments, les pesticides, les plastifiants*. Mais d'autres restent certainement à découvrir, et pour agir efficacement, il s'agit de comprendre les causes exactes, et pour cela, de promouvoir la recherche.
A l'échelle nationale, le rapport sur les causes d'infertilité, remis au début de cette année au Ministère de la santé, souligne d'ailleurs l'enjeu que constitue la recherche, à côté de l'information du public et de la formation des professionnels de santé.
Mais la question se pose naturellement à l'échelle européenne, et mondiale.
*Un plastifiant est un additif qui améliore la plasticité ou la fluidité du matériau auquel il est ajouté. Les plastifiants sont ajoutés aux plastiques, aux ciments, aux bétons et aux enduits.
La baisse de la fertilité constatée chez les hommes affecte-t-elle aussi les femmes ?
Pr Ayoubi : La fertilité des femmes diminue à partir de 32 ans : nous disposons de données claires sur cette question. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la dernière loi de bioéthique permet la cryocongélation des ovocytes. Cela étant, il est impossible d'affirmer que le phénomène est parallèle chez les femmes et chez les hommes. Des facteurs sont communs aux deux sexes, notamment l'effet du tabac et des perturbateurs endocriniens, qui altèrent la spermatogénèse et la folliculogénèse. Ces mêmes facteurs altèrent aussi l'implantation de l'embryon au niveau de l'endomètre. Il est difficile de comparer la baisse de la fertilité masculine et de la fertilité féminine. On ne peut pas compter les ovocytes comme on compte les spermatozoïdes, mais on sait que les deux baissent. Les seuls constats sont d'ordre clinique : aujourd'hui, en France, un couple sur cinq ou six consulte pour des problèmes de fertilité. La baisse de la fertilité masculine et de la fertilité féminine se conjuguent certainement pour aboutir à cette situation, ce qui a au moins le mérite de rappeler que l'infertilité n'est pas un problème de femmes mais un problème de couples.
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Citer cet article: L'infertilité masculine est-elle en passe de devenir une menace pour l'espèce humaine ? - Medscape - 18 nov 2022.
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