Amsterdam, Pays-Bas – Les traitements plus actifs de la sclérose en plaque (SEP) ont permis d'améliorer la trajectoire de beaucoup de patients cette dernière décennie. Reste que les médecins ne savent pas toujours comment les utiliser. Et malgré des données sur le long terme, il demeure des inquiétudes sur la sécurité à long terme, ce qui explique la prudence, voire la réticence, de certains médecins.
Ces traitements puissants ont fait l'objet d'une présentation au congrès annuel de l'European Committee for Treatment and Research in Multiple Sclerosis (ECTRIMS 2022) lors de laquelle ont été abordées les questions de sélection de patients, de la stratégie d'escalade thérapeutique ou de la mise en place d'un traitement intensif dès le départ. Pour la Pr Patricia Coyle (MS Comprehensive Care Center, Stony Brook University, Etats-Unis), modératrice de la session, ces présentations ont fait émerger le message convaincant : il faut utiliser les thérapies intensives le plus précocement possible.
Prendre en compte les caractéristiques initiales
Lors de la première prise de parole, le Pr Xavier Montalban (Hôpital de Vall d'Hebron, Barcelone, Espagne) a rappelé que les recommandations de l'ECTRIMS/EAN de 2021 indiquent que les traitements immunomodulateurs (DMT : disease modifying therapy) devraient être envisagés précocement. Une question clef est de savoir si le médecin peut s'appuyer sur certaines caractéristiques initiales pour sélectionner les patients. Des études ont, par exemple, montré des pronostics moins bons avec l'âge, le sexe masculin, des taux de vitamines D faibles ou encore le fait d'être fumeur.
L'orateur a présenté les analyses de sous-groupes pour les essais avec le fingolimod et l'ozanimod, qui montrent que ces médicaments ne fonctionnent pas aussi bien pour les patients avec des facteurs pronostics mauvais comme un score Expanded Disability Status Scale (EDSS) de 4 ou plus ou un âge supérieur à 40 ans. Les doses les plus faibles ont aussi tendance à être moins efficaces chez les hommes. « Si vous avez [un patient avec] des facteurs pronostics initiaux mauvais, vous avez besoin d'un traitement plus actif à la bonne dose, parce qu'avec une dose faible, cela ne marche pas bien. C'est le même raisonnement pour l'âge » a indiqué le Pr Montalban lors de sa présentation.
Le neurologue barcelonais a aussi montré les résultats d'une étude avec l'ofatumumab et l'ocrelizumab qui démontrent leur efficacité y compris chez les patients présentant des mauvais facteurs pronostiques. Parmi les patients avec une forme progressive secondaire, l'activité inflammatoire, évaluée cliniquement ou par IRM, est le seul facteur de mauvais pronostic qui semble prédire correctement la réponse au traitement.
Xavier Montalban a également abordé la question du calendrier des prescriptions des DMTs. Une étude prospective de son équipe a suivi 1015 patients traités avec des immunomodulateurs. « De façon tout à fait intéressante, nous avons observé que les patients traités avec un immunomodulateur juste après la première poussée faisaient mieux que ceux traités après la deuxième poussée » a-t-il déclaré. Avant de préciser : « Et vous devez prendre en considération que les patients que nous avons traités après la première poussée étaient ceux qui avaient les facteurs pronostiques les plus mauvais. Le traitement était donc très efficace ».
Quand passer à un traitement plus puissant ?
Dans la deuxième présentation, la Pre Dalia Rotstein (Université de Toronto, Canada) a abordé la question des facteurs pronostiques pour passer à un traitement plus actif.
Les patients avec des facteurs pronostiques favorables au départ peuvent commencer un traitement immunomodulateur. « Globalement, nous voulons faire correspondre l'intensité du traitement avec celle de la maladie », a expliqué Dalia Rotstein lors de sa prise de parole. Si l'évolution de la SEP est imprévisible, les deux premières années de traitement immunodulateur peuvent donner aux médecins des indices sur la progression de la maladie à long-terme.
« Nous devons observer avec précision l'activité de la maladie pendant la première année, et même jusqu'à deux ans de traitement pour déterminer la nécessité d'une escalade thérapeutique précoce », a-t-elle indiqué.
Chaque rechute, chaque aggravation du handicap, ou encore un changement du score EDSS d'un point ou plus doivent pousser à réfléchir à l'opportunité d'un traitement plus actif. L'imagerie est plus controversée, mais une à trois nouvelles lésions sur l'IRM devraient être en faveur d'une modification du traitement, a indiqué la Pre Rotstein. Le dosage sanguin de la chaine légère des neurofilaments (sNfL) est un bon marqueur pour suivre l'activité de la maladie. Il peut être surveillé tous les 3-4 mois et ajusté selon les facteurs cliniques. Un résultat inquiétant peut être suivi d'une IRM ou d'un rendez-vous.
En période de washout, les médecins doivent considérer à la fois le risque de l'immunosuppression et celui d'une avancée de l'activité de la maladie. « Mais, en général, quand on arrête le traitement immunomodulateur initial, il est possible de minimiser la durée de la période de washout afin de réduire le risque de flambée de l'activité de la maladie. Nous devons faire particulièrement attention au risque d'un rebond de l'activité avec des périodes de washout assez longues après avoir arrêté les modulateurs du récepteur de la sphingosine 1-phosphate (S1P) car le rebond d'activité peut être désastreux », a expliqué l'oratrice.
Mené par le groupe de la Pre Rotstein, un travail qui s'est intéressé au délai des rechutes après une période de washout après l'arrêt du fingolimod a une conclusion sans ambiguité. « Nous avons observé que lorsque la période de washout après l'arrêt du fingolimod était de 30 jours ou plus, le risque de rechute précoce était très élevé », a-t-elle révélé.
Renverser la pyramide : des traitements plus actifs dès le début
Dans la troisième intervention, le Pr Gavin Giovannoni (Université Queen Mary de Londres, Royaume-Uni) a discuté de la stratégie de « pyramide inversée », qui consiste à commencer immédiatement un traitement plus actif plutôt que d'attendre que la maladie progresse avec d'autres traitements.
Il a assimilé cette décision à un pari parce que les patients atteints de SEP pris en charge avec des traitements insuffisamment efficaces peuvent souffrir de conséquences physiques irréversibles à long terme, ainsi que de conséquences sociales comme l'impossibilité de travailler à cause des effets cognitifs.
« Nous avons toujours tendance à lister les risques et les bénéfices d'un traitement spécifique, mais nous oublions les risques de ne pas traiter ou de sous-traiter la SEP. Gardez cela en tête au moment de prendre des décisions sur les traitements plus actifs », a indiqué le Pr Giovannoni.
Environ 80 % des patients au premier palier thérapeutique, c'est-à-dire traités avec des thérapies moins efficaces, auront une flambée d'activité visible sur IRM dans les quatre ans. Passer à un palier thérapeutique supplémentaire permet de maintenir la flambée d'activité à environ 60 % de son maximum. Et les traitements plus actifs, eux, atteignent une efficacité d'environ 80 % à 6 mois.
« Si vous étiez atteint d'une SEP et que vous deviez jouer aux dés le palier auquel vous êtes, sur lequel espéreriez-vous tomber ? En mettant tous les patients sous un traitement plus actif, la majorité répondra au traitement et quelques-uns auront une aggravation », souligne le Dr Giovannoni.
Lequel a présenté des données en vraie vie pour appuyer son argumentation en détaillant une étude comparative entre la Suède et le Danemark. Au Danemark, 7,6% des patients atteints d'une SEP reçoivent un traitement plus actif dès le départ, alors qu'en Suède ce pourcentage grimpe à 34,5%.
Les patients traités en Suède ont une probabilité 29% plus faible de progression du handicap (P= 0,004) et il y avait 22% en moins d'arrêt des DMT (P < 0,001). Depuis cette étude, la proportion de patients sous traitement plus actif dès le départ s'élève à 70%. « C'est une preuve convaincante que vous voudriez être sous traitement plus actif précocement. Si vous étiez touché par la SEP, vous voudriez vivre en Suède » a-t-il conclu.
Historiquement, les traitements visaient à diminuer les rechutes et plus récemment à réduire l'inflammation. L'orateur a rappelé que les médecins ont pour priorité la perte du volume cérébral pour améliorer la situation à long-terme. « Nous savons que la perte du volume cérébral dans la SEP est un signe pronostique initial et au cours du suivi. Elle est prédictive de moins bons résultats, d'une cognition et d'emploi moins favorables, d'une mauvaise qualité de vie, etc... », explique Gavin Giovannoni.
Il a cité des études portant sur l'alemtuzumab qui ont montré une réduction significative de la perte du volume cérébral. « Le taux est d'environ 0,2% par an, ce qui est équivalent à des personnes contrôles du même âge. Les patients qui avaient commencé l'étude avec des interférons ont connu une perte du volume cérébral importante au cours des deux premières années et ceci est irréversible », a-t-il poursuivi.
Des études portant sur la thérapie à base de cellules hématopoïétiques ont eu des résultats similaires. « Donc, inverser la donne en donnant d’emblée les deux traitements les plus efficaces permet de quasiment normaliser la perte de volume cérébral chez les patients atteints d'une SEP ». Pour d'autres maladies auto-immunes, le recours précoce à des traitements plus actifs améliore les résultats à long-terme. Par exemple, un traitement plus agressif de la polyarthrite rhumatoïde a réduit de 90 % les remplacements chirurgicaux d'articulation.
« Je pense que vous devez vraiment donner à vos patients l'opportunité de changer la donne. Vous ne devriez pas décider à leur place » a jugé Gavin Giovannoni.
Financements et liens d’intérêts
Patricia Coyle a déclaré des liens avec presque toutes les entreprises pharmaceutiques développant des médicaments dans la SEP. Xavier Montalban a des liens financiers avec Biogen Idec, Merck Serono, Genentech, Genzyme, Novartis, Sanofi-Aventis, Teva, Roche, Celgene, Actelion, Mylan, BMS et Sandoz. Dalia Rotstein a déclaré des liens financiers avec Roche Canada, Alexion, Biogen, EMD Serono, Novartis, Roche et Sanofi Aventis. Gavin Giovannoni a déclaré des liens financiers avec AbbVie, Aslan, Atara Bio, Biogen, BMS-Celgene, GlaxoSmithKline, GW Pharma, Janssen/J&J, Japanese Tobacco, Jazz Pharmaceuticals, LifNano, Merck & Co., Merck KGaA/EMD Serono, Moderna, Novartis, Sanofi, Roche/Genentech et Teva.
L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé New Guidance on Using High-Efficacy DMTs in Multiple Sclerosis. Traduit par Marine Cygler
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Crédit de Une : Digital Vision/Getty Images
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Citer cet article: Traitements plus actifs de la SEP : Quand ? Comment ? Pour qui ? - Medscape - 17 nov 2022.
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