Pau, France — En raison d’un risque de décès plus important que dans la population générale, les personnes transgenres sous hormonothérapie doivent bénéficier d’un suivi renforcé, notamment sur le plan cardiovasculaire ou oncologique, a rappelé la Dr Marie D’Assigny (service d’endocrinologie, diabétologie, nutrition, CHU de Poitiers), au cours du congrès Infogyn2022 [1]. Les femmes transgenres (homme de naissance ayant adopté une identité de femme) étant à risque de cancer du sein, les recommandations en matière de dépistage s’appliquent également dans cette population.
Les personnes transgenres et plus particulièrement les femmes transgenres « sont à considérer comme des personnes à haut risque, voire dans certains cas à très haut risque cardiovasculaire », a souligné l’endocrinologue. Le traitement anticholestérol est donc à envisager « plus rapidement » dans cette population, en visant un LDL-c < 0,70 g/L. De même, la tension artérielle doit être strictement controlée, d’autant plus qu’elle a tendance à augmenter sous hormonothérapie.
L’hormonothérapie féminisante nécessite une castration par antiandrogènes pour avoir une testostéronémie < 0,5 ng/mL. Pour cela, on utilise principalement de l’acétate de cyprotérone à faible dose (< 25 à 50 mg/jour). Le traitement est interrompu en cas d’orchidectomie. Pour la féminisation, il est recommandé d’administrer du 17β-estradiol par voie transcutanée (patch ou gel), associée à un risque thromboembolique moindre que la voie orale.
Dans le cas de l’hormonothérapie masculinisante, elle s’appuie sur l’administration de progestatifs, puis de testostérone par voie injectable (majoritairement de l’énantate de testosterone en intramusculaire, tous les 10 jours) ou percutanée (gel ou patch). Il existe peu de contre-indication et le traitement est généralement bien toléré.
Deux fois plus de mortalité
Une récente étude rétroprospective a apporté un éclairage sur la mortalité et les facteurs de décès chez les personnes transgenres sous hormonothérapie [2]. Dans cette étude, menée pendant 50 ans dans une clinique spécialisée du centre médical universitaire d’Amsterdam en Hollande, plus de 4 500 personnes transgenres, dont une majorité en transition homme vers femme (MtF), ont été inclus entre 1972 et 2018.
Au cours du suivi, la mortalité est apparue deux fois plus élevée chez les transgenres, comparativement à la population générale. Le taux de décès est de 10,8% chez les femmes transgenres, contre 2,7% chez les hommes transgenres après un suivi respectivement de 40 232 et 17 285 personnes-années. Chez les femmes transgenres, la mortalité est presque trois fois plus importante par rapport aux femmes cisgenres de la population générale.
Pendant les cinq décennies de suivi, l’évolution de la mortalité n’a pas montré d’amélioration, même ces dix dernières années, lorsque les problématiques liées à la transidentité ont commencé à être prises en compte. Les courbes de mortalité se démarquent nettement au fil des ans de celles observées en population cisgenre, autant chez les femmes que chez les hommes transgenres (voir graphique ci-dessus [2]). « On a encore beaucoup à faire », a commenté la Dr D’Assigny.
Selon l’étude, les principales causes de décès sont les maladies cardiovasculaires, essentiellement chez les femmes transgenres, le cancer du poumon, potentiellement en raison d’un tabagisme plus fréquent dans cette population, les maladies liées au VIH et le suicide, qui reste très élevé chez les transgenres.
Survie cumulée chez les femmes et les hommes transexuel.les au cours d'un suivi[2]

Chez les personnes avec dysphorie de genre non prises en charge pour assurer une transition de genre, le taux de suicide est évalué à 40%, a rappelé le Dr François Xavier Made (hôpital Foch, Suresnes), lors d’une précédente présentation [3]. Chez les personnes transgenres prises en charge, le taux de suicide est abaissé à 15%, mais reste largement supérieur au taux à 1,6% observé en population générale.
« Ces causes de décès ne donnent aucune indication sur un effet spécifique du traitement hormonal, mais montrent que la surveillance et, si nécessaire, le traitement des comorbidités et des facteurs liés au mode de vie restent importants dans la prise en charge des personnes transgenres », ont commenté les auteurs de l’étude.
« Renforcer l’acceptation sociale et le traitement des facteurs de risque cardiovasculaire pourrait également contribuer à réduire la mortalité chez les personnes transgenres ».
Dépister l’ostéoporose chez les hommes transgenres
En plus d’une évaluation et d’une surveillance des facteurs de risque cardiovasculaires, le suivi des personnes transgenres sous hormonothérapie doit inclure une évaluation de la densité osseuse « lorsqu’il existe des facteurs de risque d’ostéoporose, en particulier chez les patients qui arrêtent l’hormonothérapie après une gonadectomie », a indiqué la Dr D’Assigny.
Une supplémentation calcique et la prise de vitamine D sont d’ailleurs recommandées chez tous les patients après gonadectomie, tout particulièrement chez les hommes transgenres sous testostérone. Le dépistage de l’ostéoporose est conseillé chez les hommes transgenres, 10 ans après le début du traitement par testostérone, puis tous les 10 ans.
Concernant le risque de cancer du sein, il n’est pas négligeable chez les femmes transgenres, même s’il reste moins important que chez les femmes cisgenres. Ce risque a été mis en évidence dans une autre étude menée par une équipe du centre médical universitaire d’Amsterdam portant sur plus de 2 260 femmes transgenres [4].
Après une durée de traitement hormonale médiane de 18 ans, 18 cas de cancer du sein ont été rapportés, dont 15 invasifs, ce qui représente une incidence du cancer du sein 46 fois plus élevée que celle attendue chez des hommes cisgenres du même âge, mais trois fois plus faible que chez les femmes cis-genres.
Chez les femmes transgenres, « le risque de cancer du sein augmente après une période relativement courte d’hormonothérapie », notent les auteurs. Selon eux, « ces résultats suggèrent que les recommandations concernant le dépistage du cancer du sein sont appropriées pour les personnes transgenres sous hormonothérapie ».
Des examens de dépistage mal acceptés
Un dépistage par mammographie est donc à réaliser à partir de 50 ans chez les femmes transgenres, en prenant garde à la présence éventuelle de prothèses, ainsi que les chez les hommes transgenres qui n’ont pas subi de mastectomie. Les femmes transgenres restent également à risque de cancer de la prostate. Le suivi est individualisé selon le risque personnel de pathologie prostatique, au même titre que dans la population d’hommes cisgenres.
S’agissant du cancer de l’utérus, il n’y pas de consensus sur la surveillance des hommes transgenres sous hormonothérapie. Il existe pourtant un risque: « la testostérone provoque un amincissement au niveau de l’endomètre qui peut être responsable de dysplasie », précise la Dr D’Assigny. La surveillance de l’aspect de l’endomètre et des ovaires peut se baser sur un examen clinique annuel ou tous les deux ans avec une échographie pelvienne.
Les examens de dépistage sont toutefois difficilement acceptés dans cette population, a indiqué l’endocrinologue, ce qui implique de sensibiliser au préalable sur leur intérêt. Les frottis vaginaux pour les hommes transsexuels, mais aussi les mammographies chez les femmes transgenres, « sont très mal vécus, tant sur le plan physique d’émotionnel ». Conséquence: les retards de diagnostics sont fréquents chez les transgenres.
Globalement, l’accès aux soins restent encore difficile pour ces patients qui ne bénéficient pas toujours d’un suivi gynécologique adapté, par peur du jugement ou de discrimination. Beaucoup de personnes transgenres ont des réticences à consulter un gynécologue, alors qu’elles présentent des risques de cancer gynécologiques, mais aussi de grossesse non désirée chez les hommes transgenres non hystérectomisés.
Signe d’une volonté d’améliorer la prise en charge dans cette population, une revue de la littérature a été récemment publiée par une équipe française pour faire le point sur les modalité du suivi gynécologique chez les patients transgenres [5]. La Haute autorité de santé (HAS) a également émis en septembre une note de cadrage sur le parcours de transition des personnes transgenres, en attendant de nouvelles recommandations prévues pour 2023 [6].
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Transition de genre : l’hormonothérapie implique une surveillance renforcée à long terme - Medscape - 26 oct 2022.
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