Paris, France – Exaspérés par le coup de rabot de 250 millions d’euros sur les dépenses de biologie médicale que le gouvernement veut imposer en 2023 dans le budget de la Sécu, les groupes et syndicats de la profession ont lancé une grève qui se traduira par la fermeture des laboratoires de ville pendant les trois prochains jours. « Nous sommes d’accord pour redonner une partie de l’excédent que nous avons gagné pendant la crise Covid, mais pas sur les actes courants de biologie », explique à Medscape édition française le président du Syndicat des biologistes (SDB) François Blanchecotte.

François Blanchecotte
Medscape édition française : Vous lancez le lundi 14 novembre un mouvement de grève dur et reconductible pour dénoncer « l’asphyxie » des labos de biologie médicale par le gouvernement. Qu’est-il prévu ?
François Blanchecotte : Les 4 000 sites des laboratoires de ville seront fermés à partir de ce lundi 14 novembre jusqu’au mercredi 16 novembre à minuit. Ils continueront à prendre en charge les urgences vitales (ou avec ordonnance du jour) ou les rendez-vous pris des semaines à l’avance liés à la dialyse, par exemple. Pour tout le reste, les patients seront renvoyés sur le système public ou dans des structures qui pourront les prendre en charge. Le mouvement est très unitaire puisque l’ensemble des réseaux de laboratoires et des syndicats appellent à cette grève.
Pourquoi vous opposez-vous aux 250 millions d’euros de tarif des actes de biologie médicale que le gouvernement prévoit dans le PLFSS pour l’an prochain après deux années de forte activité liée au Covid ?
François Blanchecotte : Nous sommes d’accord pour redonner une partie de l’excédent que nous avons gagné pendant la crise Covid, nous l’avons toujours dit. En revanche, nous ne voulons pas, comme le souhaite le gouvernement, que cette récupération s’effectue sur les actes courants de biologie.
Le gouvernement argue d’une activité exceptionnelle des laboratoires pendant la pandémie – avec un taux de rentabilité de 23 % en 2020 et 2021. Remettez-vous en cause ces chiffres ?
François Blanchecotte : Nous ne sommes pas d’accord avec ces chiffres. Il est vrai qu’avec le Covid, nous avons bien eu une activité supérieure mais le résultat net n’a pas augmenté de 23%. Il ne faut pas confondre chiffre d’affaires et bénéfices, ni EBE (excédent brut d’exploitation) et résultat net. L’épidémie de Covid a généré plus d’activité et plus de bénéfices et, depuis le début, nous ne sommes pas opposés à redonner cette somme, mais je le répète, sur notre excédent d’activité Covid et pas sur nos actes courants. Nous sommes une profession uniquement prescrite et nous ne travaillons qu’avec des ordonnances de médecins. L’enjeu est de savoir si demain, nous voulons maintenir la présence dans les déserts médicaux de laboratoires qui pourraient connaître une chute d’activité faute de médecins.
Depuis quelques semaines, on a l’impression d’assister à un dialogue de sourds entre l’Assurance-maladie et les biologistes. Comment la situation peut-elle évoluer ?
François Blanchecotte : Nous nous trouvons face à un mur. Nous avons décidé cette grève dure à l’issue de la dernière réunion avec l’Assurance maladie, le 7 novembre (voir encadré ci-dessous). La balle est dans le camp du gouvernement. Aujourd’hui, nous ne savons pas qui est à l’origine du PLFSS, et de la baisse demandée de 2 centimes du B qui génère 250 millions d’euros par an pendant 4 ans. Personne n’assume cette mesure. Nous espérons le retour à un vrai dialogue. Plusieurs pistes sont sur la table mais il faut régler le problème de 2023 et voir quelle sera la politique menée les années suivantes. Chaque année, les biologistes ont une tolérance pour augmenter leur chiffre d’affaires de 0,6%. Cela représente une journée de soins, ce n’est pas grand-chose ! Mais avec une inflation à 6,2% et la hausse des coûts des transports (200 000 ramassages tous les jours), forcément, à un moment, ça coince !
Pensez-vous gagner l’oreille du ministre de la Santé qui dénonce « la prise en otage » des patients liée à votre précédente grève de Sidep ( Système d'information national de dépistage populationnel pour le Covid-19) ?
François Blanchecotte : Je n’accepte pas que l’on dise que les biologistes sont des profiteurs de guerre ou encore que l’on nous accuse d’être irresponsables et de prendre les patients en otage. Ce sont des mots qui ne passent pas. François Braun peut dire ce qu’il veut, il n’y a pas eu de prise d’otage. Chaque Français qui est venu dans nos laboratoires pour un test PCR a eu son résultat dans un délai très rapide, résultat qui a été transmis aux médecins ! En plus, ces tests ont été réalisés gratuitement car ne passant pas par Sidep, ils n’ont pas été facturés à l’Assurance maladie. Les seuls qui ont été pris en otage, ce sont les chercheurs de Santé Publique France qui ont eu 80 % de données en moins pendant quelques jours.
Depuis plusieurs années, la Cnam et les biologistes travaillent sur des plans d’économie pluriannuels. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné cette année ?
François Blanchecotte : Nous sommes allés au bout de ce type de protocole de régulation prix-volume. Quand on a commencé à faire ces plans pluriannuels, il y a dix ans, la profession a été encensée, la Cour des Comptes a souligné que nous étions vertueux et que nous faisions des économies. Nous avons permis que l’Assurance maladie réalise plus de 5 milliards d’euros d’économies grâce à la compression du prix de nos actes par rapport à la volumétrie qui nous est prescrite chaque année. Il faut savoir qu’en France, avec le vieillissement de la population, le besoin de diagnostic dont nous sommes responsables à 70% augmente structurellement de 2,5 à 3% chaque année. Dans ce cadre, on nous demande d’avoir une évolution de chiffre d’affaires de 0,6% maximum. On se sert de l’argument de la hausse de l’activité Covid pour nous demander ces nouvelles économies. Mais nous n’avons pas décidé du « quoi qu’il en coûte ». On a fait des tests pour tous les gens qui arrivaient sur notre territoire, tout était pris en charge à 100%. Quand un Français part en vacances aux Maldives, son test est intégralement remboursé. Et maintenant, on vient nous dire qu’on aurait profité de cela.
Regrettez-vous le choix politique d’avoir pris en charge à 100% l’ensemble de ces tests Covid pendant la crise ?
François Blanchecotte : Des fois, je me dis qu’on aurait peut-être dû les laisser faire à l’hôpital, on aurait vu dans quelle mesure ils étaient capables de les encadrer. Je veux bien qu’on dise qu’on n’a pas besoin de nous mais il y a des choses que l’on fait sur le terrain tous les jours.
Le Covid a-t-il fait du bien ou du mal au secteur ?
François Blanchecotte : Cette question intéressante m’a été posée lors d’une audition au Sénat. Avant le Covid, nous avions les laboratoires d’un pays sous-développé. Cette crise Covid nous a permis de nous équiper de matériels de biologie moléculaire de façon homogène sur le territoire. Nous avons fait un saut technologique. Ce qui est désespérant, c’est que la nomenclature des actes que nous pouvons facturer ne correspond pas à cette évolution technologique. On peut réaliser aujourd’hui des actes de biologie en passant un écouvillon dans la bouche, prendre une goutte du liquide céphalo-rachidien, mettre un écouvillon dans les selles… Et on est capable de faire en une heure le diagnostic d’une dizaine de parasites, virus ou bactéries. Ces tests, qui existent dans le public, on n’a pas le droit de les facturer dans le privé. C’est ce hiatus entre l’évolution technologique et la nomenclature obsolète qui pose problème.
Juin : Dans son rapport Charges et Produits qui aiguillonne le gouvernement dans la préparation du Budget de la Sécu, la Cnam évoquait un excédent brut d’exploitation de 23% des laboratoires de biologie médicale (P. 198 à 218). « Le chiffre d’affaires des laboratoires a connu une croissance exceptionnelle, passant de 5,1 milliards d’euros en 2019 à 9,4 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 85 %, portée par l’activité relative aux tests de dépistage de la Covid-19. Cette hausse du chiffre d’affaires s’est accompagnée d’une augmentation de plus de 20 % de la rentabilité du secteur en 2020, qui devrait s’accentuer en 2021. » La Cnam proposait de « définir un nouveau pacte financier avec le secteur » avec 180 millions d’euros d’économies en lien avec des évolutions des tarifs pour l’année 2023
Fin septembre : Le gouvernement annonce une baisse des tarifs de 250 millions d’euros des actes de biologie médicale dans le PLFSS 2023.
17 octobre : L'Alliance de la biologie médicale (ABM) dont le SDB est membre, a tenu une première conférence de presse pour demander à ce que le gouvernement revienne à la raison.
27 octobre : L’alliance de biologistes médicaux initie une première vague de protestation en se désengageant du Ségur du numérique et de l’alimentation de Mon espace santé. Les labos ne transmettent plus les données de dépistage Covid sur la plateforme, que ce soit les résultats de tests PCR, antigéniques ou sérologiques.
7 novembre : une réunion à l’Assurance maladie ne permet pas de faire bouger les lignes. Les grands groupes de laboratoires privés (Biogroup, Cerba, Eurofins, Inovie, Synlab), les syndicats (SDBIO, SNMB, les Biologistes médicaux, SLBC) et le réseau des biologistes indépendants annoncent un mouvement de grève de 3 jours du 14 au 16 novembre. L’Assurance maladie « regrette profondément l’appel à la grève », jugeant des propositions « pleinement soutenables pour le secteur de la biologie ». Le Sénat vote deux jours plus tard un amendement au PLFSS transformant cette « baisse pérenne en contribution exceptionnelle de 250 millions d’euros en 2023 ». Cette mesure sera-t-elle reprise par l’Assemblée dans la version finale du budget de la Sécu ?
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Citer cet article: « Pourquoi les biologistes sont en grève » : le président du SDB s’explique - Medscape - 14 nov 2022.
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