États-Unis — Le Dr Gregory A. Hood, se souvient de l'un de ses patients qui était perpétuellement dubitatif à propos du Covid-19 et qui n'a malheureusement pas pu être sauvé. « Je lui ai parlé à plusieurs reprises des dangers du Covid-19, mais il ne m'a tout simplement pas cru », a déclaré ce spécialiste de médecine interne à Lexington, Kentucky. « Il ne m'a pas laissé assez de temps pour l'aider. Il a attendu pour me faire savoir qu'il était malade du Covid-19 et a mis des jours à aller chercher le médicament. Par la suite, il est malheureusement décédé. »
Une expérience vécue par un médecin outre-Atlantique mais qui fait écho à ce que vivent les médecins français. « Il y a encore des gens qui croient que c’est une maladie imaginaire », rapportait Dr Jean Tafazzoli, médecin généraliste à La Tour-de-Salvagny dans le Rhône (69) et secrétaire général de l’URPS médecins libéraux d’Auvergne-Rhône-Alpes, en septembre 2021 à Medscape édition française.
L’essor du patient sceptique
Il peut être extrêmement frustrant pour les médecins, quel que soit l'endroit où ils pratiquent, de voir des patients mettre en doute ou de ne pas croire leurs conseils et leurs explications. Nombre d’entre eux n'apprécient pas de passer du temps à essayer d'expliquer ou à défendre leur cause, surtout pendant une journée chargée. Mais le scepticisme des patients sur la validité de certains traitements semble s'accroître.
« Les patients sont maintenant plus susceptibles qu'avant d'avoir leur propre explication médicale pour ce dont ils souffrent, et cela n’est pas forcément bon pour leur santé », a déclaré le Dr Hood.
Selon lui, le cynisme médical fait partie intégrante de la méfiance croissante à l'égard des experts, favorisée par l'accès facile à Internet. « Lorsque les gens consultent Google, ils ont tendance à chercher des arguments pour étayer leurs opinions, plutôt que de prendre une décision éclairée », explique le Dr Hood.
Seule la moitié des patients pensent que leurs médecins « fournissent des informations justes et précises sur les traitements tout le temps ou la plupart du temps », selon une enquête réalisée en 2019 par le Pew Research Center.
La méfiance des patients est devenue plus évidente au cours de la pandémie de Covid-19, a déclaré le Dr John Schumann, spécialiste de médecine interne à Oak Street Health (Tesla, Oklahoma, États-Unis),qui travaille dans un groupe comptant plus de 500 médecins et autres prestataires dans 20 États, et traitant presque exclusivement des patients profitant du Medicare.
« Le nombre de sceptiques s’est fortement accru pendant la pandémie », a déclaré le Dr Schumann. « Certains ont pu penser que les vaccins Covid ont été approuvés trop rapidement, ou croire que la pandémie elle-même était un simulacre ».
« Il y a beaucoup de rhétorique anti-science de nos jours », a-t-il ajouté. « Je dirais qu'environ la moitié de mes patients sont d’accord avec les décisions qui se basent sur la science et que l'autre moitié ne l'est pas. »
De quoi les patients se méfient-ils ?
La méfiance des patients à l'égard de certaines thérapies a commencé bien avant la pandémie. En dermatologie, par exemple, certains patients refusent de prendre des corticoïdes topiques, a déclaré le Dr Steven R. Feldman, dermatologue à Winston-Salem, en Caroline du Nord.
« Leur méfiance est généralement basée sur des histoires anecdotiques qu'ils ont lues », a-t-il noté. « Il y a aussi les patients totalement opposés aux vaccinations. »
En plus de refuser les traitements et les inoculations, certains patients demandent des traitements à l’efficacité douteuse mentionnés dans les médias. « Certains patients ont exigé de l'hydroxychloroquine ou de la Noromectine® (ivermectine), des médicaments qui n'ont pas fait leurs preuves dans le traitement contre le Covid », a déclaré le Dr Schumann, « et que nous refusons de prescrire. »
D’après les propos du Dr Hood, la réticence des patients à suivre les conseils médicaux peut être basée sur le coût de ceux-ci. « J'ai un patient qui était plus disposé à économiser 20 dollars qu'à sauver sa vie », a-t-il expliqué. « Mais lorsque l'évolution des résultats de ses tests a suivi ce que j’avais prédit, il s’est montré davantage disposé à prendre des traitements. J'ai dû attendre le moment opportun pour le convaincre. »
De nombreux patients réfractaires gardent leur opinion pour eux, et les médecins ne sont pas toujours conscients que les patients font de l'obstruction. Une étude de 2006 a estimé qu'environ 10 à 16 % des patients en soins primaires résistent activement à l'autorité médicale.
Le Dr Schumann donne aussi l’exemple des patients qui ne veulent pas connaitre un diagnostic qui pourrait bouleverser leur vie. « Certains patients refusent de subir une biopsie qui permettrait de déterminer s'ils ont un cancer parce qu'ils ne veulent tout simplement pas le savoir », a-t-il déclaré. « Dans de nombreux cas, ils ne feront tout simplement pas la biopsie et ne diront pas au médecin qu'ils ne l'ont pas fait. »
Les arguments des sceptiques sont parfois fondés
Les préoccupations de certains patients peuvent être justifiées, comme lorsqu'ils refusent de prendre des statines, a déclaré pour sa part le Pr Zain Hakeem (Austin, Texas, États-Unis).
« Dans certains cas, je pense que les statines ne sont pas nécessaires », déclare-t-il. « Les données scientifiques sur les statines pour la prévention primaire ne sont pas solides, même si elles doivent être utilisées chez les patients à risque extrêmement élevé. »
Certains patients, en particulier ceux qui souffrent de maladies chroniques, font beaucoup de recherches, en utilisant des sources valides sur Internet, et leurs recherches sont bien étayées.
Il arrive, cependant, que les patients soient trop confiants sur les conclusions auxquels ils arrivent après avoir effectué des recherches. Plusieurs études ont montré qu’après quelques navigations sur le Net , les gens en arrivent à remplacer la prudence des béotiens par un faux sentiment de compétence.
De fait, « les patients sont susceptibles de ne pas peser correctement les risques », explique le Dr Hakeem. « Ils peuvent être plus préoccupés par le risque de voir leur côlon perforé lors d'une coloscopie que par un risque de cancer – qui est beaucoup plus élevé s'ils ne subissent pas de coloscopie. »
Il y a aussi le cas de personnes connues qui ont choisi de faire confiance à leur instinct médical. C’est le cas de Steve Jobs, le fondateur d'Apple, qui lorsqu’il s'est vu diagnostiquer un cancer du pancréas en 2003, a repoussé l'opération pendant 9 mois tout en essayant de guérir sa maladie avec un régime végétalien, de l'acupuncture, des herbes, des nettoyages intestinaux et d'autres remèdes qu'il avait pu lire sur le Web. Il est mort en 2011. Certains experts pensent que ce délai a accéléré sa mort.
Les diagnostics ou les traitements des médecins ne sont bien évidemment pas tous corrects. Selon une étude, le taux d'erreur concernant les diagnostics des médecins pourrait atteindre 15 %. Autant les patients peuvent être très voire trop confiants dans leurs conclusions, autant ce peut être aussi le cas des médecins. Une autre étude a révélé que la confiance des médecins dans leur diagnostic n'était que légèrement affectée par l'inexactitude de ce diagnostic ou la difficulté du cas.
Les meilleurs moyens de faire face aux patients cyniques
Le scepticisme des patients peut frustrer les médecins, réduire l'efficacité de la prestation des soins et nuire à la guérison. Que peuvent faire les médecins pour faire face à ces problèmes ?
1. Renforcez la confiance du patient à votre égard. « Pour que les patients suivent vos conseils, il faut s'assurer qu'ils ont le sentiment d'avoir un médecin attentionné en qui ils ont confiance », a déclaré le Dr Feldman. « Je montre à mes patients que je suis entièrement concentré sur eux », a-t-il ajouté. « Par exemple, je pourrai me précipiter vers la porte du cabinet après mon dernier rendez-vous, mais j'ouvre la porte très lentement et délibérément, car je veux que le patient voie que je ne suis pas pressé. »
2. Passez du temps avec le patient. La familiarité renforce la confiance. Le Dr Schumann a déclaré que les médecins d'Oak Street Health voient leurs patients en moyenne six à huit fois par an, un nombre inhabituellement élevé. « Plus les patients voient leurs médecins, plus ils sont susceptibles de leur faire confiance », a-t-il déclaré.
3. Se tenir au courant. « Je m'assure d'être à jour avec la littérature scientifique, et j'essaie de présenter un message véridique », a déclaré le Dr Hood. « Par exemple, mes recherches ont montré que l'inflammation jouait un rôle important dans le développement des complications liées au Covid, j'ai donc écrit un protocole de traitement détaillé visant l'inflammation et la réponse immunitaire, ce qui a été très efficace. »
4. Confronter les patients avec tact. Les patients qui font des recherches sur le Web ont peur de se faire taper sur les doigts, note le Dr Feldman. Du coup, il les félicite, même s'il n'est pas d'accord avec leurs conclusions. « Je peux dire quelque chose comme : "Quel soulagement de trouver enfin des patients qui ont pris le temps de s'informer avant de venir ici" ».
Le Dr Feldman se garde bien de contester les conclusions des patients. « Débattre des questions problématiques n'est pas très efficace pour amener les patients à vous faire confiance », a-t-il expliqué. « La dernière chose que vous voulez dire à un patient, c'est "Écoutez-moi ! Je suis un expert".»
Cependant, il est utile de donner un retour aux patients. « Je suis un grand fan de ces discussions avec les patients », a déclaré le Dr Hakeem. « C’est l’occasion de corriger les malentendus et d’améliorer la prise de décision. »
5. Expliquez votre raisonnement. « Vous devez communiquer clairement et leur montrer votre raisonnement », a déclaré le Dr Hood. « Par exemple, je vais expliquer pourquoi un patient présente un fort risque de crise cardiaque. »
6. Reconnaissez les incertitudes. « Il arrive que le médecin présente les choses scientifiques de façon beaucoup plus assurées qu'elles ne le sont », a déclaré le Dr Hakeem. « Si vous ne reconnaissez pas que l’existence de certaines incertitudes, vous risquez de briser la confiance du patient à votre égard. »
7. N'utilisez pas beaucoup de chiffres. « Les données ne sont pas un bon outil pour convaincre les patients », a déclaré le Dr Feldman. « Le cerveau humain n'est pas conçu pour fonctionner de cette manière ».
Si vous voulez utiliser des chiffres pour donner une idée du risque clinique, le Dr Hakeem conseille d'utiliser des équivalences, comme par exemple utiliser le rapport 10 sur 10 000, ce qui est moins déroutant pour le patient que le pourcentage équivalent de 0,1 %.
Il peut être utile de se référer à des concepts familiers. Une façon de mieux expliquer la hauteur d’un risque médical est de le comparer à un risque de la vie quotidienne, comme les dangers de la conduite automobile ou d'une chute sous la douche, ajoute-t-il.
Le Dr Feldman fait souvent référence à l'expérience d'une autre personne lorsqu'il présente ses conseils médicaux. Il explique : « Je peux dire au patient : "Vous me rappelez un autre patient que j'ai eu. Il était assis sur la même chaise que vous. Ce médicament a très bien fonctionné chez lui, et je pense que c'est probablement le meilleur choix pour vous aussi". »
8. Adopter la prise de décision partagée. Cette approche consiste à donner au patient les moyens de devenir un partenaire égal dans les décisions médicales. Le patient reçoit des informations par le biais de portails Internet et est encouragé à faire des recherches. Des critiques, cependant, disent que la plupart des patients ne veulent pas de ce degré d'autonomisation et préfèrent dépendre des conseils du médecin.
Conclusion
Il est souvent impossible de faire entendre raison à un patient qui doute, ce qui peut être décourageant pour les médecins. « Les médecins veulent faire ce qu'il y a de mieux pour leur patient, alors quand celui-ci n'écoute pas, ils peuvent le prendre personnellement », a déclaré le Dr Hood. « Mais il faut toujours se rappeler que c'est le patient qui souffre de cette maladie, et c'est à lui d'ouvrir la porte. »
Pourtant, certains patients sceptiques finissent par changer d'avis. Selon le Dr Schumann, beaucoup de patients qui avaient initialement refusé le vaccin contre le Covid ont finalement décidé de le recevoir. « Il leur a souvent fallu plus d'un an, mais il n'est jamais trop tard. »
Cet article a initialement été publié sur Medscape.co.uk sous l’intitulé You and the Skeptical Patient: Who's the Doctor Here? Traduit et adapté par Mona El-Guechati
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Crédit de Une : E+/Getty Images
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Citer cet article: Le médecin face au patient sceptique, un véritable challenge - Medscape - 10 nov 2022.
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