Eric Caumes s’en prend à la PrEP : réactions

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

10 novembre 2022

France – Faisant l’objet de multiples études scientifiques rigoureuses aux résultats non controversés, la PrEP est recommandée par l'OMS, la HAS, les CDC américains et des autorités de santé de nombreux pays. A l'occasion de la sortie de son livre « Sexe, les nouveaux dangers » Ed. Bouquins, le Pr Eric Caumes, ancien chef de service en maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière (Paris) a pourtant réitéré son positionnement contre la PrEP dans les colonnes de L'Express.

Pour lui, il s'agirait d'un traitement préventif qui conduirait une population d'hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes à faire courir un danger sanitaire à l'ensemble de la population. De quoi faire bondir les infectiologues à l'heure où commence le déploiement en ville de la prescription de la PrEP.

Certains ont décidé de répondre par voie de presse, comme l'épidémiologiste Dominique Costagliola, récipiendaire du grand prix Inserm 2020 qui s’est également exprimée dans l’ hebdomadaire cité précédemment, d'autres se sont abstenus craignant que parler ne fasse encore plus publicité au livre.

D’autres encore ont choisi de publier une tribune sur le site vih.org qui reprend et contredit point par point l'argumentaire du Pr Caumes. Son titre : « En 2022, on ne peut plus être contre la PrEP! ».

Lutter contre la désinformation

Interrogé par Medscape édition française, le Pr Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon mais aussi vice-président de la Société Française de Lutte contre le Sida (SFLS), rédacteur en chef de vih.org et qui compte aussi parmi les responsables du site Formaprep « se sen[t] le devoir de lutter contre la désinformation et la confusion qui pourrait brider les médecins qui peuvent désormais prescrire la PrEP en ville ».

« Tout ce qui attentatoire à ce qui est fondé sur la science est très perturbant, surtout après la baisse de confiance en l’information médicale durant la crise du covid. D'autant plus quand cela vient d'un spécialiste des infections sexuellement transmissibles. Cela oblige les experts à remettre les certitudes dans la réalité scientifique. Oui, la PreP est très efficace contre le VIH quand elle bien prise, à hauteur de 96 à 99 % pour la borne supérieure de l’intervalle de confiance dans les essais Ipergay et Proud. Et oui, la Prep est coût-efficace dans les populations cibles d’autant qu’elle est génériquée. Non, elle ne protège pas des IST mais l’offre de santé sexuelle qui lui est associée permet de les dépister et de les traiter dès le stade asymptomatique. A tel point que les personnes sous PrEP sont parmi les mieux dépistées des IST », indique l’infectiologue.

Une hausse des IST imputables à la Prep ?

Ce n'est pas la première fois que le Pr Caumes se prononce contre la prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP) qu'il accuse d'être à l'origine de la recrudescence des IST. Celle-ci est en fait antérieure à l'arrivée de la PrEP, qui est prescrite aujourd'hui à moins de 30 000 personnes en France.

« On constate cette hausse de l'incidence depuis le début des années 2000, alors que les premiers essais de la PrEP datent de 2012, et sa validation en France de 2016 », explique Dominique Costagliola dans L'Express. Et d'en conclure : « Donc il ne paraît pas très raisonnable de lier les deux. » « La modification des comportements date du milieu des années 1990 avec l'arrivée des trithérapies. On a vu alors une augmentation des rapports anaux sans préservatif, avec en effet une réémergence des IST dans les années qui ont suivi » confirme Gilles Pialoux qui insiste sur le fait que « le recours à la PrEP n'exclut pas le port du préservatif. Le Prep est un outil de prévention combinée et de réduction des risques.

Concernant les IST, il faut garder en tête que la PrEP fait partie d'une stratégie de prévention combinée. De fait, la prescription de la PrEP est assortie du dépistage et du traitement, si nécessaire, des autres IST. Les médecins prescripteurs recommandent à leurs patients recevant la PrEP un dépistage des IST tous les trois mois. « Avec ces dépistages systématiques combinés à l'utilisation de nouvelles techniques de tests par PCR, on trouve maintenant des cas positifs d'infections par le gonocoque ou par chlamydia chez des hommes asymptomatiques », fait remarquer Dominique Costagliola. Cela signifie qu'une partie des IST n'était pas repérée auparavant dans la mesure où elles n’étaient recherchées qu’en cas de symptômes. Ceci expliquerait une partie de l'augmentation observée.

Ne pas mettre les IST et le VIH sur le même plan

« Les IST augmentent et il faut l'accepter même si la seule PrEP ne peut être mise en cause », considère Gilles Pialoux. Reste qu'il tient à éclaircir un point essentiel pour lui dans ce débat ravivé. « C'est complètement aberrant de mettre sur le même plan l'infection au VIH et une infection à Chlamydia. On n'est pas sur le même registre », martèle-t-il. Car les IST sont des maladies qui se soignent très bien aujourd'hui alors que le sida reste une maladie avec des impacts pour le patient et la société lourds à supporter : traitements à vie et certaines carrières empêchées.

« Il [ndlr : Eric Caumes] oublie le fardeau immense du sida, porté par les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) pendant près de deux décennies, jusqu’à l’arrivée des trithérapies (…) : une sexualité entravée, une maladie infiniment pénible et douloureuse, des conjoints, des amants, des amis qui meurent semaine après semaine, une vie de deuils et de peur », accuse la publication de la rédaction de vih.org qui dénonce une position morale discriminatoire sous couvert d'argumentation scientifique.

« Les années Sida sont censées nous avoir ouvert à une certaine tolérance. On ne peut pas revenir sur les acquis de ces 40 ans de lutte contre le sida en termes de réduction des risques sans jugement sur les pratiques. La science n’est pas une opinion. Or, lorsqu'il existe un outil de prévention très efficace qui protège à plus de 95 % contre l'infection au VIH, quelle serait la responsabilité du médecin qui déciderait de ne pas la prescrire, dans une offre globale de santé sexuelle, à une personne aux comportements à risques qui ne se protège pas avec d’autres moyens »?

 

Financements et liens d’intérêts
Gilles Pilaoux : Invitation à un congrès, participation à un board ou réunions pour : Gilead, MSD, Bristol-Myers Squibb, Janssen, Abbvie, AAZ.
Dominique Costagliola déclare avoir des liens d’intérêts avec : Gilead (Board VIH France, de janvier 2011 à décembre 2015), Innavirvax et Merck Switzerland (consultance en 2015 et 2016), Janssen (exposé en 2016 et 2018), MSD (en 2015 et 2017), et ViiVhealthcare (en 2015).
Éric Caumes a des liens d’intérêt avec Pfizer et Valneva.

 

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