France, Paris – Alors que chefs d’État, ministres et négociateurs, mais aussi des militants pour le climat, des maires, des représentants de la société civile et des chefs d’entreprise sont réunis dans la ville côtière égyptienne de Charm el-Cheikh pour le plus grand rassemblement annuel sur l’action climatique (COP 27), plusieurs associations se mobilisent en France pour inviter les laboratoires pharmaceutiques, à réduire l’empreinte carbone du secteur qui pèserait 8% du bilan national de gaz à effet de serre, selon un récent rapport du Shift Project.
Le think tank présidé par Jean-Marc Jancovici estime que les filières du médicament et des dispositifs médicaux (DM) seraient à l’origine de la moitié de l’ensemble des émissions du secteur.
Parmi ses préconisations, le Shift Project recommande que la délivrance ou le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament ou le marquage CE d’un dispositif médical soient conditionnés à la publication du contenu carbone de ces produits.
Les experts de l’Association des professionnels en conseil Climat Energie et Environnement (APCC) demandent aussi aux laboratoires de s’engager.
« Pour arriver à réduire les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur de 40 % d’ici 2030, voire de 55 % comme l’exige l’Europe, les industriels des produits de santé et médicaments doivent impérativement fournir l’analyse du cycle de vie (ACV)* de tous leurs produits, précise l’APCC dans une note présentée lors d’un atelier organisé le 3 octobre à Paris. Ceci permettra de constituer une base de facteurs d’émission fiable privilégiant les produits à faibles impacts. »
L’association à but non lucratif, qui conseille collectivités et établissements sur les sujets liés au changement climatique et à la mobilité durable, estime que cette mesure devrait même devenir opposable avant toute commercialisation d’un médicament ou d’un dispositif médical.
« Nous souhaiterions que la fourniture d’une analyse du cycle de vie des produits soit intégrée dans la procédure de délivrance des AMM », a déclaré Fanny Penet, présidente de l’APCC, en ouverture des débats.
Besoin d’une méthode d’évaluation fiable
S’il existe aujourd’hui de nombreux outils d’analyse des impacts environnementaux et d’éco-conception dans l’agroalimentaire avec AGRIBALYSE ou dans le BTP avec la base INIES, le secteur de la santé s’appuie seulement sur la méthode générale du Bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES). Or, ce bilan exclut quasi-systématiquement les médicaments et les dispositifs médicaux, observe l’APCC.
L’ACV permettrait à l’ensemble des acteurs du secteur de la santé désireux de s’engager dans des pratiques éco-responsables d’agir plus efficacement, poursuit l’association.
Appliquer cet outil de mesure aux industriels permettrait de « calculer et rendre publics les facteurs d’émission des substances actives des médicaments et leurs excipients », précise l’APCC qui souhaite par ailleurs obliger les fabricants à fournir la liste exhaustive des matières premières.
« L’AMM, qui conditionne le remboursement par l’Assurance maladie, doit être donnée sur la base de l’ACV et en connaissant la toxicité du médicament, abonde Olivier Toma, pilote du groupe de travail Climat et Santé de l’APCC mais aussi directeur général de Primum Non Nocere, agence de coaching RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Il faut que l’on puisse mesurer l’impact des médicaments sur l’environnement. Il est aujourd’hui fou que personne ne connaisse la composition des dispositifs médicaux qu’on peut mettre dans le corps. »
Pas si simple, répondent les industriels
Invités à débattre de ces propositions, des représentants de l’industrie pharmaceutique ont assuré de leur bonne volonté mais ont aussi opposé que de nombreuses contraintes réglementaires et financières entravaient leur action.
« Il y a entre 200 000 et 3 millions de produits mis sur le marché, explique Virginie Delay, responsable RSE de SGH Healthcaring, société adhérente au Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM). Une PME compte environ 500 références et une analyse du cycle de vie (ACV) coûte en moyenne 15 000 euros. Rendre obligatoire l’ACV pour tous les dispositifs médicaux représenterait donc un coût insurmontable pour la majorité des fabricants ! »
La responsable du fabricant concepteur de DM estime qu’il faudrait aider au financement de cette démarche ou la limiter aux 20 dispositifs médicaux « les plus représentés ou les plus problématiques ».
Si la réalisation d’une analyse du cycle de vie pourrait théoriquement aider à réduire l’empreinte carbone du secteur, sa mise en place est tout sauf automatique.
« Un médicament est composé de 100 à 400 matières premières. Evaluer l’ACV n’est pas si simple, analyse Sébastien Taillemitte, président d’Ecovamed, société qui fait de la mesure d’empreinte carbone des produits de santé ou de la chimie. Il faut réunir des professionnels de santé, des industriels de santé, des experts du climat et de l’ACV, les autorités…
Cette opération complexe ne sera résolue que si une collaboration s’opère sur l’élaboration d’une base de données. Ça prendra quelques années à se mettre en place. »
Un outil pour aider les petits labos à réaliser leur bilan carbone
Les laboratoires ne sont pas indifférents à la problématique du climat, c’est même tout le contraire, assure Julie Langevin, responsable RSE pour Les Entreprises du médicament (LEEM).
« Seulement une cinquantaine d’entreprises sur les 260 que représente le LEEM sont tenues de réaliser un bilan carbone (ndlr : car elles comptent plus de 500 salariés). Nous avons donc mis en place Carbonem, un outil gratuit qui permet à toutes les entreprises de réaliser leur bilan carbone. »
Le LEEM a par ailleurs lancé, le 2 décembre 2021, un plan d’engagement sociétal intitulé PACTES qui vise notamment à répondre à l’urgence du réchauffement climatique et protéger l’environnement et faire de la RSE un pilier de la stratégie de l’entreprise. Contestant les chiffres du Shift Project, l’organisation patronale prépare son bilan carbone du secteur et devrait présenter en janvier 2023 une trajectoire de réduction de son empreinte.
* L’analyse du cycle de vie est une méthode d’évaluation normalisée qui permet de mesurer le bilan environnemental d’un objet sur l’ensemble de son cycle de vie, depuis l’extraction de ressources naturelles issues du sol ou sous-sol nécessaires à sa fabrication, son transport, jusqu’à son traitement en fin de vie (mise en décharge, recyclage…).
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Citer cet article: Réduire l’empreinte carbone des médicaments en analysant leur cycle de vie ? - Medscape - 10 nov 2022.
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