Les réseaux sociaux, frein ou outil pour l’éducation des jeunes à la sexualité ?

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

8 novembre 2022

Montpellier, France – Lors des Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle  (JF3SEXO 2022) qui se sont tenues à Montpellier, le Dr André Corman, médecin sexologue et andrologue, vice-président de l’Association interdisciplinaire post-universitaire de sexologie (AIUS), a montré, comment l’explosion des médias sociaux conduit à repenser de nombreux paradigmes de la santé sexuelle [1].

Les médias sociaux ont transformé notre condition humaine

En tant qu’acteurs de la santé sexuelle, « nous nous sommes aperçus combien les médias sociaux avaient transformé la sexualité dans toutes ses composantes, de la rencontre aux pratiques sexuelles, en passant par la notion d’intimité, et, par-là même, nos prises en charge en santé sexuelle, du soin à l’information et l’éducation, a-t-il expliqué en introduction. Mais nous nous sommes aussi rendu compte combien ils avaient modifié la société – notre condition humaine – au point que de nombreux auteurs y voient un changement anthropologique. Nous devons prendre la mesure du changement anthropologique que constitue l’obsolescence de nombreux paradigmes qui structuraient la construction et l’organisation de notre vie intime et sexuelle. »

 
Les réseaux sociaux ont modifié la société – notre condition humaine – au point d’y voir un changement anthropologique.
 

La réalité virtuelle s’impose

Si la condition de l’Homme n’a pas radicalement changé au cours des dernières décennies, ce qui caractérise l’Homme moderne, c’est « sa propension à se connecter, dès qu’il peut, aux médias » [3]. Cette extension du domaine de la connexion semble irrésistible et aucun pan de l’expérience humaine n’échappe à son emprise : la manière de consommer, de s’informer, de travailler, de se déplacer, de « draguer », de se divertir ou même de s’érotiser et de jouir. En un mot : la manière de vivre.

Les moins jeunes sont également pris dans ce tourbillon, y compris les esprits les plus réfractaires aux nouvelles technologies. Cependant, « la jeunesse se situe au cœur de ce vaste renouvellement des formes de socialité, souligne André Corman. Elle en constitue l’épicentre car ce sont les premières générations humaines à se construire ainsi. »

Une étude a montré que 20 % des enfants scolarisés dans le primaire possédaient un compte TikTok, Discord, Snapchat, Instagram ou autres, pourcentage qui s’élevait à 48 % pour les collégiens et à 90 % pour les lycéens [3]. Selon un rapport du Sénat, les jeunes générations passeraient environ 800 heures par an à l’école, 80 heures à discuter avec leur famille et 1500 heures devant un écran [4]

 
La jeunesse est au cœur de ce vaste renouvellement des formes de socialité. André Corman
 

Accès facile à du matériel sexuel

Les réseaux sociaux constituent d’une part des moyens de réduction ou de suppression des intermédiaires et, d’autre part, ils ouvrent un accès au monde sans la médiation de la famille et de l’école, lesquelles sont alors dépossédées du monopole de la socialisation de la jeunesse.

D’autre part, les réseaux sociaux se posent en accélérateurs de « détraditionalisation », plongeant le jeune dans une incapacité à imaginer ce à quoi pouvait ressembler ce qu’il convient désormais d’appeler « la vie d’avant », c’est-à-dire sans smartphone et sans réseaux.

« Le jeune se trouve seul en réseau, sans tuteurs de médiation et sans repères historiques, souligne André Corman, ce qui met en lumière toute l’importance d’un accompagnement éducatif ». 

Avec pour conséquences que la construction de la sexualité va s’opérer par un accès libre à un contenu sexuel illimité, que ce soit via une multitude d’informations portant sur la sexualité mais aussi par la facilité à consommer, échanger, ou produire du matériel pornographique sans discernement [5].

« Dans bien des cas, cet accès facile à du matériel sexuel de provenance « inconnue » peut aussi être une richesse, poursuit le sexologue. L’optimiste pourrait estimer que les médias sociaux visent à déconstruire les stéréotypes sexuels, permettant désormais à chaque individu de questionner sa propre sexualité et pourquoi pas d’explorer une sexualité jusqu’ici contenue. Néanmoins, le manque d’informations claires et scientifiquement fondées de l’éducation sexuelle en ligne peut conduire à propager de la confusion et de l’anxiété sur la sexualité. »

 
Le manque d’informations claires et scientifiquement fondées de l’éducation sexuelle en ligne peut conduire à propager de la confusion et de l’anxiété.
 

La fin de l’intime

Les intimités s’étalent sur les réseaux sociaux, redéfinissant nos espaces de vie et « le besoin de s’exposer sans honte dépasse la peur de devoir abandonner sa sphère privée et intime »[6]. Au fond, l’espace public médiatique enveloppe aujourd’hui les espaces public et privé. L’infiltration des médias sociaux dans la sphère privée opère une mise en commun publique de « ce qui m’est singulier », un partage de « ce qui me tient à cœur ».

Vivre, dès le plus jeune âge, cela consiste alors à alterner incessamment une sociabilité « en face-à-face » et une sociabilité « médiatique » ; c’est effectuer un va-et-vient permanent entre l’une et l’autre.

Les conséquences en santé sexuelle sont innombrables. Par exemple, quand les ados s’échangent des photos « intimes », ils sont persuadés que ça restera entre eux et, du reste, c’est ce partage du secret qui est le principal moteur de l’excitation et, de ce fait, la raison de ce partage. L’intime désigne ce que j’offre à autrui de mon propre gré, donc ce que je peux garder secret et dissimuler. Ce qu’ignorent ces adolescents, c’est qu’en s’exposant, l’intime perd ainsi son pouvoir protecteur. 10 % de ces photos seront partagées ou transférées, notamment dans le cadre de harcèlement ou du revenge porn (pornodivulgation en français).

 
10 % des photos intimes seront partagées ou transférées, notamment dans le cadre de harcèlement ou du revenge porn.
 

Confort virtuel vs altérité de la vie réelle

C’est à un véritable travail de composition auquel chacun se livre, consistant à sélectionner photos, vidéos ou informations personnelles dignes de figurer sur sa « story ». « On peut donc ainsi ajuster le dévoilement de soi auquel on se livre et entrer en relation avec d’autres que l’on a soi-même sélectionnés au sein d’un monde à sa mesure, décrypte André Corman. Tout concourt à un confort virtuel avec une sensation de maîtrise de sa relation au monde et aux autres. Or, la vie réelle n’offre pas ce confort. En effet, l’humain y est exposé aux vents imprévisibles de l’altérité. Impossible de congédier l’aléa et l’incertitude qui forment le lot ordinaire des relations humaines. »

La relation réelle détourne du confort virtuel, c’est-à-dire : « le confort d’être soi sans l’autre (bien que connectés) » Elle devient « dérangement », d’où le concept de « flemme d’aimer » développé par le philosophe Vincent Cespedes[7], avec ses conséquences sur les dysfonctions sexuelles et, singulièrement, le désir.

 
La relation réelle détourne du confort virtuel.
 

Croire les réseaux sociaux plutôt que les institutions établies

Les médias sociaux sont de plus en plus utilisés pour obtenir de l’information sur la santé et les jeunes (90 % des 18-24 ans) font plus confiance aux informations recueillies par ces moyens qu’à tout autre support [8]. Cette « apomédiation » c’est-à-dire le rôle que joue le média dans la connexion entre les gens et l’information a pour conséquence que les usagers s'appuient désormais moins sur les experts traditionnels et les institutions établies [10].

La santé sexuelle et reproductive occupe une place prépondérante dans les forums par les récits de vie, les témoignages et les conseils s’appuyant sur la pratique [11]. Étienne Klein a décrit ce phénomène : à la recherche de vulgarisation scientifique, l’individu peut désormais choisir les communautés numériques qui lui correspondent le mieux [12]. En retour, il est partiellement façonné par les contenus qu’il reçoit en permanence. Ainsi, il bâtit une sorte de monde sur-mesure, de « chez-soi idéologique » en résonance avec lui-même. « La victime, c’est finalement la pédagogie à grande échelle au profit d’une concurrence d’intérêts et d’une interminable foire d’empoigne entre égos », résume le Dr Corman.

Conserver une démarche scientifique et un esprit critique

Pour le Dr André Corman, « la fulgurante importance des médias sociaux rend plus que jamais nécessaire un accompagnement éducatif qui doit préférentiellement se faire par le même canal, c’est-à-dire les médias sociaux [11].  A condition que la démarche soit scientifique, en prenant le modèle des conférences de consensus.

Le second levier, c’est l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne. « C’est la compétence-clé de notre siècle : la capacité d’une personne à aborder avec un esprit critique les informations qu’elle peut rencontrer dans les médias contemporains comme, par exemple Internet ou les réseaux sociaux. Cela s’apprend et il est temps que notre école l’enseigne ».

 
La fulgurante importance des médias sociaux rend plus que jamais nécessaire un accompagnement éducatif qui doit préférentiellement se faire par le même canal.
 

 

Dr André Corman ne déclare aucun lien d’intérêt en rapport avec sa présentation.

 

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