Paris, France — L’incidence des tumeurs du pancréas a explosé ces dernières années, avec 16 000 nouveaux cas par an des tant redoutés adénocarcinomes versus 6 000 cas en 2006 sans que l’on puisse identifier les facteurs de risque.
« En 2025, à ce rythme, cela va devenir la seconde cause de mortalité par cancer dans les pays occidentaux », a commenté le Dr Jean-Jacques Raynaud, gastro-entérologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny lors d’une session des Journées Nationales de Médecine Générale (JNMG) intitulée : « Découverte d’une tumeur pancréatique en médecine générale. 50 nuances de prises en charge ».
Si l’annonce d’une tumeur au pancréas est souvent vécu comme « la fin du monde », l’intervenant a tenu à souligner que « la majorité des tumeurs du pancréas ne sont pas des cancers du pancréas ». L’incidence des tumeurs solides, qui sont malheureusement des adénocarcinomes dans 80 % des cas, est de 20 000/an alors que l’incidence des tumeurs kystiques, dont la plupart sont bénignes, est de plus de 500 000/an.
Pour savoir faire la part des choses, , le gastro-entérologue a donné quelques clés pour reconnaitre les principales tumeurs solides et liquidiennes, préciser leur caractère malin ou bénin et la surveillance ou les traitements à mettre en place.
Dépistage : les examens à éviter
Le dépistage d’un cancer du pancréas peut être initié par des douleurs épigastriques, une perte de poids, un ictère, l’apparition récente d’un diabète chez l’adulte ou par une imagerie suspecte découverte fortuitement.
Lors des explorations, il n’est pas nécessaire de rechercher des marqueurs tumoraux. « Le C.19.9 est un mauvais examen. Quand on fait 100 000 examens, on obtient 40 diagnostics et 10 000 faux positifs liés au diabète, à la pancréatite chronique des cholestases, à la cirrhose, par exemple. Or, sur ces 40 cas, beaucoup sont déjà métastatiques et nous n’avons pas besoin du C.19.9 pour le savoir. Aussi, le marqueur n’est pas spécifique du cancer du pancréas. On le retrouve dans le cancer du foie, colique, gastrique et même dans le non-digestif. C’est le mauvais examen par excellence. Le marqueur sera utile dans le suivi », a précisé le Dr Raynaud qui ajoute que la lipasémie n’est pas non plus nécessaire car elle ne sert qu’à dépister les pancréatites.
Autre examen à éviter : l’échographie, en raison des gaz qui rendent toute visualisation difficile.
Scanner et IRM
Scanner et IRM sont les examens de choix qui apportent des données complémentaires.
Toutefois, pour un diagnostic précis, il est essentiel de préciser que l’on souhaite un scanner ou une IRM « du pancréas » car les modalités d’injections et les temps d’acquisition sont différents.
« Si le radiologue voit scanner du pancréas, il va faire une injection précoce, des coupes fines alors que s’il voit scanner abdominopelvien, il va faire des coupes épaisses et vous allez passer à côté de tumeurs du pancréas », indique l’orateur.
Parmi les autres examens, la scintigraphie peut s’avérer utile pour les tumeurs endocrines car elle balaye tout le corps et permet de savoir s’il y a des métastases. Son deuxième intérêt étant qu’elle permet de faire de la radiothérapie ciblée.
Aussi, l’échoendoscopie, qui nécessite une anesthésie générale, n’est pas un examen de dépistage mais sert à cibler ou à caractériser les tumeurs. L’échoendoscopie radiale permet d’avoir une vision large et l’échoendoscopie ponction permet de faire des biopsies.
Les tumeurs solides du pancréas
La visualisation d’une masse solide au niveau du pancréas correspond malheureusement un cancer du pancréas dans 80 % des cas. Cependant, il peut s’agir dans les 20% restant d’une pseudo tumeur, d’une pancréatite auto-immune ou de nodules de pancréatite aigüe, ou encore d’un lymphome, entre autres. Le Dr Raynaud en a détaillé les spécificités devant une assemblée de médecins généralistes très attentive.
L’adénocarcinome
Les facteurs de risque du très redouté adénocarcinome du pancréas sont le diabète, le surpoids, le tabac, les antécédents familiaux. Il peut se manifester par un ictère, une douleur, une perte de poids, un diabète. « Quand un diabète est récent, il faut faire un scanner pancréatique », souligne l’orateur.
L’adénocarcinome du pancréas est une tumeur qui ne prend pas de contraste. Elle entraine une dilatation de la voie biliaire principale et elle peut entraîner une dilatation du canal de Wirsung.
L’âge moyen de la découverte est de 70 ans. « Cet âge est problématique parce que l’on ne peut guérir le cancer du pancréas que par une chirurgie lourde. Lorsque la chirurgie n’est pas recommandée, une chimiothérapie et une radiothérapie sont réalisées. La survie globale à 5 ans est de 6 % et de 25 % post-chirurgie si la tumeur est localisée. La médiane de survie se situe entre 3 et 6 mois », rapporte le Dr Raynaud.

Les tumeurs neuroendocrines
Elles représentent 3% des tumeurs solides du pancréas. Elles ont un fort taux de métastases. Elles sont très vascularisées et prennent le contraste à la phase artérielle à un temps précoce. Elles ne sont pas forcément malignes. Dans 5 % des cas, ce sont des lésions endocrines multiples.
Les syndromes fonctionnels les plus fréquents sont ceux liés à l’hypersécrétion d’insuline (insulinome), de gastrine (gastrinome ou syndrome de Zollinger-Ellison), puis de glucagon (glucagonome) et de peptide vasointestinal (VIPome ou syndrome de Verner-Morrison), mais d’autres hormones peuvent être plus rarement impliquées (SST, ACTH, PTHrp)
Concernant la prise en charge, les toutes petites sont à surveiller. Dans ce cas, la chirurgie est à éviter car elle est très lourde. Celles de taille un peu plus importante et non-métastatiques peuvent être retirées car elles ont un potentiel évolutif plus élevé. Lorsque des métastases non résécables sont observées, une chimiothérapie peut être réalisée. Il existe aussi des thérapies ciblées, la radiothérapie vectorisée et la chimioembolisation. On s’appuie sur le niveau de mitoses pour prendre une décision thérapeutique (haut niveau de mitose = tumeur plus agressive).
>Le gastrinome
Le gastrinome est souvent très petit (<1cm), il évolue très lentement. En revanche, il donne des sécrétions de gastrine très importantes (10 fois la normale) qui induisent des ulcères. A noter que lorsque les patients sont sous IPP, la gastrine est élevée et qu’il peut être utile de les arrêter pour y voir plus clair.
La prise en charge consiste à donner des IPP à 2 à 4 fois la dose habituelle puis à réaliser une chirurgie parfois difficile car les lésions sont multiples.
La survie à 10 ans est de 90 % à 100% après une résection chirurgicale complète de la tumeur isolée versus 43% à 5 ans et 25% à 10 ans respectivement après une résection incomplète.
>L’insulinome
L’insulinome possède à peu près les mêmes caractéristiques que le gastrinome. La tumeur est rarement maligne, elle est hypervasculaire, avec un âge médian de survenue de 50 ans. Elle donne parfois des hypoglycémies notamment en cas d’exercice physique prolongé. La prise en charge consiste en une chirurgie. Il est possible de faire une énucléation car les tumeurs sont périphériques. La survie à 10 ans est de 97 % lorsqu’il est bénin et de 30 % lorsqu’il est malin.

Les métastases pancréatiques
Elles sont rares et peuvent provenir de multiples tumeurs primitives comme les tumeurs rénales, pulmonaires, mammaires, colorectal et le mélanome. Elles reprennent la structure de la tumeur primitive.
Elles sont uniques ou multiples, souvent périphériques. Elles entrainent rarement une dilatation du canal de Wirsung.
La plus fréquente est la métastase pancréatique de cancer du rein. Elles ressemblent aux endocrines et prennent le contraste de manière très précoce au temps artériel. Elles peuvent survenir jusqu’à 20 ans après le cancer du rein. Elles sont opérables avec une survie entre 34 et 88 %.
Les lymphomes pancréatiques
Assez rares, ils sont assez infiltrants et surviennent souvent dans un contexte de lymphome (ganglions…). Ils répondent à la chimiothérapie et ne s’opèrent pas.
Les tumeurs pseudo-papillaires et solides du pancréas (TPPS) ou tumeurs de Frantz
Elles se développent majoritairement chez les femmes jeunes, souvent d’origine noire ou antillaise. Elles sont de taille assez importante. Elles sont douloureuses et peuvent être à l’origine d’hémorragies. Elles sont bénignes dans 90 % des cas. Elles ne doivent pas être biopsiées en raison des risques de dissémination. Elles sont opérables. Le pronostic est bon mais avec un risque de rechutes fréquentes.
La pancréatite auto-immune : une fausse tumeur
Il s’agit d’un faible pourcentage des pancréatites chroniques (2%). Il existe des formes diffuses et des formes localisées qui peuvent ressembler à des tumeurs du pancréas. Il est donc primordial de faire une histologie avant d’opérer une masse au niveau du pancréas. « Lorsque l’on met des corticoïdes, on voit fondre ces pancréatites en deux mois » a précisé l’orateur.
A noter également que dans le contexte d’une pancréatite aigüe ou chronique, des nodules peuvent être visibles.
Les lésions kystiques
Les lésions kystiques sont plus fréquentes que les lésions tissulaires (environ 500 000/an versus 20 000/an). Certaines sont bénignes sans potentiel malin, d’autres bénignes avec risque de dégénérescence et de très rares tumeurs sont malignes d’emblée ou des bénignes initialement qui ont dégénéré.
Les plus fréquentes sont les pseudokystes pancréatiques, les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) et beaucoup plus rares sont les cystadénome séro-mucineux et les cystadénocarcinomes. Le Dr Raynaud en a dressé un descriptif rapide.
Le pseudokyste du pancréas
Elle est bénigne. Il s’agit d’une boule d’eau hypodense au scanner. Elle survient dans les suite d’une pancréatite. Elle peut être très grosse. Si elle n’est pas symptomatique, on attend qu’elle diminue avec le temps. Si elle est gênante, on peut la drainer.

Les TIPMP
Les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP ont l’image d’une grappe de raisins. Elles produisent de la mucine qui bouche les canaux, ce qui créé les petites dilatations kystiques. Ces kystes communiquent avec le canal de Warsung.
Elles sont souvent infracentimétriques. Elles augmentent avec l’âge.
Les TIPMP peuvent devenir malignes. Le risque de transformation pour le canal principal est très important (50%) ce qui nécessite d’opérer.
En revanche, le risque de transformation pour les canaux secondaires est très faible surtout lorsque les TIPMP sont petites. Une surveillance par imagerie est souvent pertinente sauf chez les personnes âgées. A noter que certaines de ces TIPMP sur canaux secondaires ont des critères de gravité, peuvent dégénérer et doivent être opérées.
Les cystadénomes séreux
Il s’agit de 35 % des tumeurs kystiques. Elles surviennent surtout chez la femme. On les découvre par hasard. Ce sont des tumeurs bénignes qui n’ont pas de potentiel de dégénérescence. Elles ont, la plupart du temps, un aspect de nid d’abeille. Ce sont des kystes qui se situent plutôt dans la tête du pancréas. Ils sont multiples, de petite taille, avec des cloisons internes, un aspect arrondi, une paroi fine, sans bourgeon.
A noter qu’il existe des cystadénomes séreux atypiques comme les séreux macrocystiques qui n’ont pas un aspect de nid d’abeille.

Les cystadénomes mucineux
Le contenu du cystadénome mucineux n’est pas liquidien mais un peu épais. La lésion est unique et macrokystique. La paroi est épaisse. Il n’y a pas de communication avec le canal de Warsung. Il se situe plutôt au niveau de la queue ou du corps du pancréas.
Il peut dégénérer. Si nécessaire, pour faire la différence avec un cystadénome séreux macrocystique, le liquide peut être ponctionné à la recherche de marqueurs tumoraux. Lorsque le taux d’ACE est élevé, il s’agit d’un cystadénome mucineux (spécificité élevée, sensibilité faible).
Il est recommandé de l’opérer mais si le risque opératoire est majeur, si la tumeur fait moins de 4 cm, si la personne est âgée et s’il n’y a pas de nodule tissulaire, une surveillance étroite est suffisante.
Les cystadénocarcinomes
Ces tumeurs sont rares. Il s’agit de lésions de grande taille, avec une paroi épaisse et des nodules à l’intérieur, des métastases. Ils se traitent par chirurgie ou chimiothérapie.
Le dépistage du cancer du pancréas
Il n’existe pas de dépistage systématique du cancer du pancréas. Un dépistage familial est réalisé s’il y a deux patients atteints au premier degré ou trois cas intrafamiliaux quel que soit le degré de parenté. Un dépistage est aussi réalisé dans le contexte de pancréatite chronique héréditaire. Il débute à 50 ans ou 10 ans avant l’apparition du premier cancer ou dès 30 ans lorsqu’il existe des mutations particulières. Le dépistage repose sur l’IRM.
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Crédit adénocarcinome : Wendy Walker, Medscape.com
Crédit insulinome et cystadénome séreux : Medscape.com
Crédit pseudokyste du pancréas : Wikipedia
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Citer cet article: Tumeur du pancréas :quand ce n’est pas un adénocarcinome - Medscape - 9 nov 2022.
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