POINT DE VUE

Consommation de crack : on manque de lieux de « sortie de rue »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

4 novembre 2022

Paris, France — Au début du mois d'octobre, les forces de l'ordre ont décidé l'évacuation du square Forceval de la porte de la Villette (19ème arrondissement de Paris), devenue une zone de consommation de drogue (essentiellement du crack), et ce, sans la moindre concertation avec les associations concernées.

Celles-ci regroupées autour de la Fédération Addiction avaient pourtant proposé, plusieurs mois auparavant, un plan d'actions de suppressions des scènes ouvertes de drogue. Ce plan alliait l'accueil d'urgence, les haltes soins addictions, l'accès au parcours de sevrage, l'insertion professionnelle...

Force est de constater que les pouvoirs publics n'en ont pas tenu compte. Retour sur la gestion tant sanitaire que sécuritaire de ce lieu, avec le psychiatre et addictologue Mario Blaise, par ailleurs chef de pôle du centre médical Marmottan dédié aux prises en charge d'addictions, une structure partie prenante de la fédération du même nom.

Mario Blaise

Medscape édition française : Quelle est votre opinion en tant que psychiatre sut l'évacuation de Forceval ?

Dr Mario Blaise : Je pense que la question des scènes ouvertes est une question compliquée. De nombreux facteurs rentrent en ligne de compte : santé, précarité, sécurité publique... Il faut pouvoir prendre en compte l'ensemble de ces facteurs. Malheureusement, il n'y a guère que la sécurité publique qui est considérée. Il est dommage que l'on ait laissé grossir cette scène de cette manière-là pendant un an, pour finalement opter pour cette solution. Il aurait mieux valu se saisir de cette occasion pour formuler des réponses à ce problème. S'il ne s'agit que d'évacuer, on aurait pu le faire plus tôt, il y a un an. Mais il est certain que l'on ne pouvait pas laisser cette scène ouverte comme cela. Cela a des répercussions néfastes pour les usagers de drogue, les riverains, l'ensemble des Parisiens...

 
Il est dommage que l'on ait laissé grossir cette scène de cette manière-là pendant un an, pour finalement opter pour cette solution.
 

Où sont passés ces usagers de drogue ?

Dr Mario Blaise : Nous ne savons pas exactement où ils se trouvent, ils sont certainement disséminés dans les interstices de la ville, d'autres consomment dans les lieux d'hébergement précaires qui sont les leurs... Il existe des lieux de soins où ils peuvent se rendre.

Le fait de les avoir regroupés sur la scène ouverte de Forceval ne facilitait-il pas la prise en charge sanitaire ?

Dr Mario Blaise : Pas dans ces conditions. Il est vrai que cela permettait un contact, mais notre équipe qui intervenait sur place nous faisait part de leur grande difficulté pour y travailler, car la violence était perceptible par les équipes...

À court terme, quelle aurait été la prise en charge sanitaire idéale qui aurait pu aussi sécuriser les résidents alentour ?

Dr Mario Blaise : Il aurait fallu penser à une prise en charge multiple, étagée... Cela se concrétise par des espaces de premier contact, pourquoi pas des salles de consommation, mais c'est une partie infime d'un plan plus général. Il faut aussi des espaces de repos, des lieux d'hébergement, des places en sanitaire, en postcure... Il manque également des lieux de « sortie de rue ». On a tendance à opposer les salles de consommation d'un côté et les lieux de sevrage de l'autre. Tout simplement, pour des gens très précarisés, il manque des structures résidentielles de « sortie de rue ». Il faut bien comprendre que la consommation de crack est emblématique de l'ensemble des problèmes d'addiction.

 
Il faut aussi des espaces de repos, des lieux d'hébergement, des places en sanitaire, en postcure... Il manque également des lieux de « sortie de rue ».
 

Comment expliquez-vous que la question sécuritaire et politique prenne le pas sur les aspects sanitaires ?

Dr Mario Blaise : Vous mettez le doigt sur l'aspect électoraliste du problème. Les drogues entrainent des répulsions, et j'ai eu l'impression que cette question a été instrumentalisée dans les campagnes politiques. Jusqu'aux législatives, il ne s’est rien passé sur le terrain. Pour qu'il y ait des ouvertures de structures dans ce genre de problématique d'addiction, il faut un « alignement de planètes » : il faut que les autorités locales, la police, la santé... se mettent d'accord, non seulement sur le bien-fondé de l'initiative, mais aussi sur les aspects pratiques. Quand cet alignement n’a pas lieu, les choses ne se font pas. Exemple : la salle de consommation de Lille devait ouvrir à l'automne 2021. Tout était prêt, la salle de consommation devait être localisée dans une structure hospitalière, l'association qui portait ce projet était prête, les locaux étaient prêts, des financements étaient fléchés, mais la préfecture a bloqué l'ouverture de cette salle de consommation. La concertation la plus compliquée à obtenir se situait au sein même du gouvernement, entre les ministères de la santé et de l'Intérieur.

Vous prônez la création de nouveaux espaces de consommations sécurisés. Pouvez-vous faire un bilan de ceux qui existent déjà ?

Dr Mario Blaise : Un programme Inserm d'évaluation a été adossé à la salle de consommation de moindre risque. Le rapport Inserm a été rendu il y a peu de temps pour décider de la prolongation de cette expérimentation. Le bilan est globalement positif sur un certain nombre de critères et d'items, non seulement sur la santé des usagers, mais aussi sur le quartier. Cela n'enlève pas tous les aspects nuisibles, mais cela permet de les réduire. Il est à déplorer qu'il n'y en ait qu'une en région parisienne, nous prônons la création d’au moins quatre salles.

L'évacuation de Forceval a-t-il relancé le débat sur l'ouverture de salles de consommation à moindre risque ?

Dr Mario Blaise : Oui, cela a relancé le débat, il y a eu des projets évoqués, mais rien de vraiment concret.

Ca bloque du côté du ministère de l'Intérieur ?

Dr Mario Blaise : Oui, il semble effectivement. Il est bon que le ministère de l'Intérieur donne son avis, mais il s'agit ici de mesures de santé publique.

Le ministère de la Santé est-il pro-actif sur cette question ?

Dr Mario Blaise :  Quand Olivier Véran était ministre de la Santé, il avait fait en sorte que les HSA (haltes soins addictions) soient validées, mais on n'entend pas beaucoup le nouveau ministre de la santé sur ces questions. Il faut aussi considérer qu'il s'installe et qu'il a aussi à gérer d'autres urgences.

Y a-t-il d'autres scènes ouvertes en France comparables à Forceval ?

Dr Mario Blaise : Non, pas que je sache. Il y a des points de regroupement, mais pas de scènes ouvertes de cette ampleur.

 
Il est bon que le ministère de l'Intérieur donne son avis, mais il s'agit ici de mesures de santé publique.
 

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