
Dr Éric le Bihan
Paris, France — Le statut de docteur Junior, issu de la réforme du troisième cycle des études médicales, suscite encore des interrogations et des réticences de la part des médecins. Pour accompagner l'instauration de cette mesure, les sociétés savantes et les syndicats en anesthésie-réanimation ont formulé des recommandations diffusées à l'échelle nationale qui insistent sur l’importance de la supervision du Dr Junior, d’une acquisition progressive de l’autonomie et sur la nécessité d’établir un contrat formalisé précisant les objectifs de formation, mais aussi le périmètre de travail du Dr Junior. Le point par le Dr Éric le Bihan, président du SNPHARE et anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Beaujon (AP-HP).
Medscape édition française : Comment avez-vous accueilli la mise en place du statut de docteur Junior ?
Dr Éric Le Bihan : Il est un peu tôt pour faire un bilan, car nous rencontrons pour le moment peu d'internes docteur Junior dans nos services. A ce stade, nous avons surtout publié une note de cadrage pour borner l'activité des docteurs Juniors en anesthésie réanimation. Mais nous avons peu de retour sur d'autres spécialités.
Dans votre document vous faites état de la mise en place — avant cette réforme— d'une forme de séniorisation des internes en fin de parcours. Qu'est-ce qu'a apporté le statut de docteur Junior à cette séniorisation ?
Dr Éric Le Bihan : En 2019 j'ai mené une enquête pour le SNPHARE sur la séniorisation des internes. Il existait à cette époque une réglementation datant de 1995 qui autorisait les internes en fin de parcours à réaliser des gardes de séniors dans les hôpitaux périphériques, sous réserve qu'ils soient en stage en CHU. Il fallait aussi que l'hôpital général et le CHU aient signé une convention pour réaliser ces gardes.
Au final, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait énormément d'internes qui effectuaient des gardes séniors sans respecter la réglementation de 1995. Cela pouvait poser des problèmes de responsabilité car ces internes étaient sous le régime de la délégation de taches, et non sous le régime de l'autonomie. Cet état de fait avait entrainé une prise de conscience du Collège d'anesthésie réanimation, qui s'était alors penché sur le cadrage du docteur junior en anesthésie-réanimation.
Le Collège voulait éviter que les docteurs Juniors soient utilisés comme des docteurs à tout-va, et sans limite. Un groupe de travail a été mis en place avec les syndicats, la société savante d'anesthésie-réanimation, la SFAR, ainsi que le collège d'anesthésie réanimation. Nous avons formulé des recommandations, pour éviter que les docteurs Juniors soient jetés dans la fosse aux lions. Nous n'avons pas eu de retours sur ce document, sinon que ces recommandations ont été ajoutés de manière nationale aux demandes d'accréditation de stage des docteurs Juniors en anesthésie réanimation. C'est une contrainte supplémentaire qui n'est pas réglementaire mais qui est forte. Par exemple, dans mon service, qui est un CHU, nous avons respecté ces recommandations. Il y a une progressivité qui a été instituée dans le parcours du docteur Junior : pendant les deux premiers mois, les docteurs Juniors font un stage d'internes classique, puis ensuite, ils sont autonomisés de manière très progressive, un senior les accompagnant à tout moment. En deuxième partie de stage, ils font des gardes sur place en anesthésie, accompagnés d'un senior.
Formaliser les attentes et les conditions de travail par un contrat
Selon les recommandations du groupe de travail « autonomie supervisée », les équipes d’accueil de docteur junior doivent « identifier précisément les objectifs en termes de compétence permettant de passer d’une étape à l’autre [vers l’autonomie] en les incluant sous la forme d’un contrat de formation qui doit être absolument fourni et validé par le coordonnateur pour pouvoir obtenir l’agrément de stage de consolidation ».
Le périmètre de travail du docteur junior, du fait des spécificités liées au caractère critique de l’exercice de l’anesthésie-réanimation, doit aussi être « clairement précisé dans ce contrat de formation permettant de sécuriser la pratique du docteur junior ».
Par exemple, le groupe de travail préconise que les actes et situations laissés à l’étudiant en autonomie supervisée soient clairement indiqués « en précisant l’évolutivité de ces derniers sous forme d’objectifs plus que de période temporelle ».
Quel est le ressenti de ces docteurs Juniors ?
Dr Éric Le Bihan : J'ai eu quelques retours notamment sur le temps de travail. Ils ont le sentiment de travailler plus que le temps réglementaire et à ce sujet, il y a des recours en justice d'internes pour faire respecter le temps de travail réglementaire. Grace à certaines décisions du conseil d'État, l'administration de l'APHP par exemple commence par faire preuve de plus de vigilance à l'endroit du respect du temps de travail des internes. Il existe donc, il est vrai, un risque de surmenage, mais dans mon service, nous accordons une grande attention à cela. Sinon, en termes d'expérience professionnelle, c'est plutôt positif pour ces docteurs Juniors, à condition que les recommandations soient respectées. Cela leur permet d'exercer en étant accompagné d'un senior en cas de problème. Nous avons affaire à de jeunes professionnels très compétents qui n'hésitent pas à poser des questions en cas de doute. L'application des recommandations permet de soigner en toute sécurité et de faire progresser des étudiants. (Lire encadré en fin de texte).
Vous avez ressenti une différence entre l'interne « classique » et le docteur Junior ?
Dr Éric Le Bihan : Entre l'interne de base qui fait des gardes séniors hors de tout cadre légal et le docteur Junior qui les effectue dans un cadre sécurisé, oui, il y a une grande différence. Néanmoins, il faut que ce cadre soit respecté. Mais il faut noter que l'appellation de docteur Junior est malheureuse, tout le monde est d'accord là-dessus. J’ajoute aussi que ce nouveau statut a permis à ces internes de pouvoir prescrire.
Pour prescrire il faut une thèse de médecine. Le statut de docteur Junior est un artifice qui a permis aux internes de pouvoir prescrire en avançant la remise de leur thèse avant de débuter leur phase de consolidation de docteur Junior. Auparavant la thèse était remise dans les derniers mois de l'internat. Mais sur le plan de la formation, je ne suis pas sûr que cette réforme ait eu un effet palpable.
Quels sont les autres changements mis en place par ce statut ?
Dr Éric Le Bihan : Il existe dorénavant un tableau des gardes spécifiques à ces étudiants au conseil de l'Ordre. Je trouve que c'est une bonne chose. Avant nous pouvions rencontrer des internes en master qui effectuaient des gardes de séniors autorisées par le chef de service, sans cadre réel. Donc on peut estimer que le statut de docteur Junior a apporté un progrès dans ce domaine-là. Il subsiste néanmoins une ambiguïté car si la remise de la thèse a été avancée d'un an, le docteur Junior ne possède pas le diplôme de la spécialité. Par ailleurs, je le répète : le terme de docteur Junior n'est pas adapté. L’appellation en soi est plutôt humiliante, cela peut aussi compliquer la relation qu'ils entretiennent avec leurs patients.
Au final, ce statut de docteur Junior permet d'encadrer des gardes qui s'effectuaient auparavant hors cadre légal ?
Dr Éric Le Bihan : Ce n'est pas le cas dans toutes les spécialités. Les recommandations et le cadrage du statut de docteur Junior ne sont valables qu'en anesthésie-réanimation, je ne suis pas sûr que le même cadre existe pour d'autres spécialités. En chirurgie par exemple, cela n'existe pas. En anesthésie réanimation, il nous faut aussi évaluer l'application de ce cadrage mais il est encore un peu tôt pour le faire. Depuis l'arrivée des premiers docteurs juniors dans les services, il y a moins d'un an de recul. Je ne sais pas si les recommandations que nous avons émises sont respectées.
Sécuriser l’environnement de travail du Dr Junior en anesthésie-réanimation : les recommandations du Collège National des Enseignants d’Anesthésie Réanimation
Le groupe de travail recommande plusieurs éléments afin de sécuriser l’environnement de l’autonomie supervisée :
· En Anesthésie , l’interne en autonomie supervisée ne peut pas travailler sur plus d’une salle que cela soit en période ouvrée ou en PDS et sans sénior de recours immédiat.
La supervision en anesthésie en journée doit se faire en présence physique d’un sénior d’Anesthésie-Réanimation sur le même site qui peut faire face à tout moment à une complication liée à l’intervention ou l’anesthésie effectuée (décret sécurité 1994).
Dans le cadre de la PDS, la supervision en anesthésie doit se faire dans le cadre d’une double garde avec un sénior sur place.
· En Réanimation , l’interne peut travailler en autonomie supervisée sur un nombre de lits qui sera à définir précisément par chaque équipe que cela soit en période ouvrée ou en PDS. La supervision en réanimation en journée doit se faire en présence physique d’un sénior sur le même site qui peut intervenir dans un délai raisonnable en cas d’une urgence (cas de la ventilation/intubation impossible).
Dans le cadre de la PDS, la supervision en réanimation peut se faire dans le cadre d’une astreinte formalisée dans un tableau de service à partir du moment où il existe un sénior de la discipline (MAR ou réanimation médicale) de garde sur place sur un autre tableau après rédaction d’une charte de collaboration.
· Exclusion de l’interne dans la pratique l’anesthésie délocalisée des blocs opératoires
· Exclusion de l’interne dans la visite postopératoire le WE sans praticien sénior de recours présent.
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Citer cet article: « Nous avons publié une note de cadrage pour borner l'activité des docteurs Juniors en anesthésie réanimation ». - Medscape - 31 oct 2022.
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