« Le cyberharcèlement scolaire est un fléau qui a ses solutions »

Carole Stavart

Auteurs et déclarations

27 octobre 2022

Bruxelles, Belgique – A l'occasion de la semaine de la santé mentale, nos collègues belges de MediQuality ont interviewé Bruno Humbeeck, psychologue et pédagogue, chargé de recherche à l'Université de Mons (UMons, Bruxelles) sur la question du cyberharcèlement en milieu scolaire. Celui-ci touche un élève sur trois en Fédération Wallonie-Bruxelles, tandis qu’en France, 20% des jeunes affirment avoir déjà été confrontés à une situation de cyber-harcèlement selon une étude réalisée par e-Enfance, association de protection de l'enfance.

Comment faire face à ce phénomène ?

« Il est important de comprendre que le cyberharcèlement n’est pas un autre type de harcèlement, explique Bruno Humbeeck, auteur d'un ouvrage sur le sujet [1]. C’est juste une caisse de résonnance mise sur le harcèlement traditionnel qui, lui, existe dans les écoles depuis toujours. Le harcèlement est une forme d’agressivité hiérarchique tout à fait naturelle, existant d’ailleurs chez tous les êtres humains quand ils sont dans des espaces contraints ».

« Le cyberharcèlement est une caisse de résonnance du harcèlement traditionnel qui existe dans les écoles depuis toujours. Ce cyberharcèlement accompagne quasi systématiquement tout harcèlement désormais. Et on peut considérer qu'il intervient de façon quasi systématique à partir de l'âge 10 ans », explique le psychopédagogue.

« Dans un premier temps, on parlait de cyberharcèlement pour les élèves de secondaire mais aujourd’hui les élèves des écoles primaires sont également concernés, cela fait partie des problématiques auxquelles ils sont confrontés », considère-t-il.

Un phénomène intense et virulent

 « Si les réseaux sociaux agissent comme une caisse de résonnance, cela est dû au fait qu’on augmente le nombre de ‘’spectacteurs’’, c’est-à-dire des personnes qui agissent en regardant. Il n’y a pas de témoins dans le harcèlement. Dès que vous êtes témoin, vous êtes participant. Sur les réseaux sociaux, il y a une fulgurance qui se met en place et une intensité de l’agressivité qui est beaucoup plus forte, et pour laquelle il faut des réponses appropriées », poursuit-il.

Les techniques traditionnelles à savoir la stimulation de l’empathie, et ce que Bruno Humbeeck essaie de mettre en place au travers des espaces régulés, ne sont pas très efficaces par rapport au cyberharcèlement, selon lui. « Car celui-ci est beaucoup plus intense et virulent. C’est un phénomène très rapide, on n’a pas le temps de voir les choses arriver. Le terme flaming en anglais explique très bien ce fait. Cela peut se passer en quelques jours, voire en quelques heures, et l’adolescent peut passer d’un état qui n’inquiète personne à un état de désespoir absolu. Ce qui explique les suicides ou les tentatives de suicides. »

Il est également important de savoir qu’on doit être protégé par rapport au cyberharcèlement par des lois et des institutions. Et que celles-ci peuvent interdire l’usage asocial des réseaux sociaux. « C’est pour cela que je travaille dans les écoles, pour mettre en place des dispositifs qui permettent des captures d’écran. Car il est important de travailler sur du tangible », insiste Bruno Humbeek. 

 
C’est un phénomène très rapide. Cela peut se passer en quelques jours, voire en quelques heures, et l’adolescent peut passer d’un état qui n’inquiète personne à un état de désespoir absolu Bruno Humbeek.
 

Cyber alert : une application face au cyberharcèlement

Le « cyber help » est une appli qui fonctionne un peu comme un interrupteur, explique le psychologue pour enfants. « Si l’adolescent vit une agression, il appuie sur le cyber help, aussitôt il y a un tuto qui met en place des copies d’écran, ensuite un deuxième bouton arrive, vous appuyez dessus et tous les écrans sont envoyés à l’école qui, à son tour, envoie directement une réponse à la personne qui est agressée lui disant, "ne t’inquiète pas, on met en œuvre des réponses pour mettre fin à tout cela". Cela permet à l’adolescent de ne pas se retrouver à deux ou trois heures du matin isolé devant son écran face à une agression dont il mesure l’ampleur mais face à laquelle il est impuissant. »

Le premier réflexe qu’un ado doit avoir quand il est cyberharcelé, et que le parent doit stimuler chez son enfant, c’est de faire une capture d’écran, car c’est ce qui va induire, quand les écoles sont équipées, une réponse possible sous forme de sanction probatoire.

« Le principe c’est que les institutions, notamment scolaires, mais les autres aussi, puissent émettre des réponses qui donnent très rapidement le sentiment à celui qui vient d’être agressé qu’il est protégé par des lois. S’il est important que les écoles se munissent de ce type d’outil par rapport à ce type d’agression numérique, il faut également que le système juridique bouge. C’est pour cela que dans mon livre [1] sur le cyberharcèlement, il y a une partie écrite par Olivier Bogaert, commissaire et responsable des technologies de l’information et de la communication au sein de la cellule informatique de la police fédérale. Il explique comment le monde judiciaire, sur base du même système d’alerte va permettre d’initier des réponses judiciaires, car il fonctionne aussi sur des preuves tangibles. »

 
Le premier réflexe qu’un ado doit avoir quand il est cyberharcelé, et que le parent doit stimuler chez son enfant, c’est de faire une capture d’écran.
 

Des résultats très positifs avec l'appli Cyber help

Les premiers résultats ont été très positifs, explique-t-il. « Nous avons installé l’appli de manière expérimentale dans des écoles de Mons et le phénomène est complètement contrôlé. Un deuxième résultat positif, c’est lorsque l’on a demandé aux élèves s’ils préféraient surfer maintenant qu’il y a un cyber help, nous avons eu 100 % de réponses positives. Cela veut dire que les victimes se sentent protégées. Mais les agresseurs potentiels trouvent aussi qu’il est plus serein de fonctionner ainsi, avec un frein aux agressions dont ils ne mesurent pas l’impact. C’est d’ailleurs le grand problème des réseaux sociaux : un peu comme si vous donniez les clés d’une Ferrari à quelqu’un qui vient juste de recevoir son permis de conduire. Il ne mesure pas la virulence, et il est vite dépassé par ce qui se passe lorsqu’il y a des tentatives de suicides ou des suicides par exemple. L’appli est donc bénéfique pour tout le monde, mais il faut d’abord équiper les écoles. »

 
Lorsque l’on a demandé aux élèves s’ils préféraient surfer maintenant qu’il y a un cyber help, nous avons eu 100 % de réponses positives.
 

Nécessité d'une volonté politique clairement affichée

La ministre de l’Éducation au Gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles, Caroline Désir, a évoqué un projet structurel qu’elle veut mettre en place, explique Bruno Humbeeck. « Nous remarquons que les écoles veulent être outillées et parviennent à se regrouper. Nous voyons également de plus en plus que les écoles ont tendance à adhérer et demandent une prise en charge. 90 % des écoles ont considéré dans leur plan de pilotage que la gestion du climat scolaire était prioritaire, en tenant compte des dérives en termes de harcèlement et de cyberharcèlement. »

« Il y a une réelle demande des écoles », ajoute-t-il. « Nous savons comment agir et avons les dispositifs efficaces pour contrôler le phénomène. Maintenant ce qu'il faut, c'est une intention politique clairement établie. Nous savons que les finances sont plus que dans le rouge en ce moment, c’est ce qui explique en partie la lenteur du mouvement, mais ces dispositifs ne sont pas très couteux. Donc, je peux espérer que ce projet structurel voit le jour dans un futur relativement proche », soutient-il.

 

Cet article a initialement été publié sur Mediquality.net, membre du réseau Medscape

 

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