Epidémie de bronchiolites : pour le Pr Dauger, les transferts ne sont pas la solution

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

24 octobre 2022

France – L'épidémie de bronchiolite qui commence met en évidence un système à bout de souffle. Entretien avec le Pr Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert Debré (Paris), qui avait exposé la situation au ministre de la Santé le 14 octobre dernier lors de sa visite aux urgences de Robert Debré.

Incompréhension

Comme l'année dernière, l'épidémie de bronchiolite connaît un début précoce. Comme en 2019, des transferts sont réalisés à cause de la déliquescence des services de pédiatrie et de réanimation pédiatriques. Sauf qu'aujourd'hui, le contexte est encore plus défavorable et avec un manque de lits comme jamais, le système est à bout de souffle. Et les personnels soignants redoutent que cette situation aboutisse à des drames, c'est-à-dire des décès d'enfants non pris en charge par les Smur pédiatriques indisponibles car mobilisés par les transferts. Se sentant incompris par leur ministre de tutelle, le médecin François Braun, 4 000 soignants  en pédiatrie et des représentants d'association de patients ont signé une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron et publiée dans Le Parisien ce samedi 22 octobre. Medscape édition française s'est entretenu avec le Pr Stéphane Dauger qui n'a cessé d'alerter ces dernières années sur les pénuries de personnels.

« Je dois le dire, c'est la première fois qu'un politique nous écoute jusqu'au bout. L'ensemble de la communauté de réa pédiatrique a donc très mal vécu la façon dont François Braun a ensuite résumé la situation en affirmant que les transferts étaient sécurisés. Il n'aurait retenu que ça, vraiment ? C'est sérieux ? » s'emporte Stéphane Dauger. « Avec une dynamique connue depuis plus de quarante ans, l'épidémie de bronchiolite aurait pu être anticipée. Pourtant, on la traite comme une pandémie exceptionnelle. On fait passer dans la tête des gens que c'est normal de recourir aux transferts. C'est un scandale.»

Avec une dynamique connue depuis plus de quarante ans, l'épidémie de bronchiolite aurait pu être anticipée Pr Stéphane Dauger

Ne pas banaliser les transferts

Depuis la mi-septembre, la saturation, liée à la fermeture de lits faute de personnels, des cinq services de réanimation pédiatrique franciliens (Trousseau, Necker, Robert-Debré, Raymond-Poincaré et Bicêtre) oblige à effectuer des transferts vers des CHU d'autres régions. Il y a eu des transferts vers Rouen, Amiens, Reims ou encore Orléans, principalement de bébés de moins de 21 jours, indique le Pr Dauger. « J'ai une famille de Seine Saint-Denis dont le bébé a dû être hospitalisé à Rouen. Imaginez-vous la douleur pour elle de cet éloignement » témoigne-t-il.

Si le Pr Dauger tient à rassurer les familles qui pourraient être concernées sur le fait que les transferts se font en effet en toute sécurité, il pointe les conséquences potentiellement dramatiques de tels transferts. D'abord, les bébés transférés prennent la place d'enfants du bassin de population du CHU dans lequel ils ont été transférés. Or, hormis la région PACA, Santé Publique France indique dans son point hebdomadaire que toutes les régions métropolitaines sont en phase épidémique depuis la semaine 41 (lundi 10 au dimanche 16 octobre 2022), ce qui signifie que des places en réa pédiatrique sont nécessaires pour accueillir les populations locales.

 

Recourir aux transferts pose le problème de l'opérateur qui les effectue, en l'occurence le Smur pédiatrique. « Pour faire un transfert, on mobilise pendant six heures un Smur pédiatrique sur les quatre dont dispose toute l'Ile-de-France. Si vous faites deux transferts, ce sont deux Smur pédiatriques qui sont mobilisés. 60% des prises en charge par le Smur pédiatrique le sont pour des enfants âgés de moins de deux ans, le Samu ne peut pas le remplacer » indique Stéphane Dauger. Avant de poursuivre : « Ce que les réanimateurs pédiatriques redoutent, c'est qu'il n'y ait plus de Smur pédiatrique pour une crise d'asthme, un accident de la route ou une défenestration. On prend sérieusement le risque qu'il y ait un raté, c'est-à-dire qu'un enfant meurt ». En 16 ans de chefferie et 25 de réanimation pédiatrique, c'est la première fois qu'il a ce sentiment.

Outre les transferts imposés, le manque de place en réanimation pédiatrique pourrait obliger à déprogrammer des interventions chirurgicales. En contact avec ses confrères et consœurs des autres CHU, Stéphane Dauger indique que des déprogrammations sont envisagées au CHU Lille et qu'à Lyon, le manque de lits d'aval empêchera le désengorgement de la réanimation pédiatrique.

Ce que les réanimateurs pédiatriques redoutent, c'est qu'il n'y ait plus de Smur pédiatrique pour une crise d'asthme, un accident de la route ou une défenestration Pr Dauger

Réa ped', spécialité maltraitée

Pour lui, cette situation trouve son origine dans le manque de reconnaissance de la spécialité de réanimation pédiatrique, pourtant de très haut niveau et pratiquée seulement dans les CHU. « Elle a été reconnue par le précédent gouvernement. Depuis 2018, elle est la seule, avec la neuroradiologie interventionnelle, qui exige six années d'études aux internes qui s'engagent dans cette voie » indique-t-il. Cela dit, cette évolution n'a pas été de pair avec l'octroi de moyens suffisants, en particulier le paiement des primes pour les infirmières et aide-soignant.es.

Le Pr Stéphane Dauger donne l'exemple des infimièr.es puéricultrices de son service. « Sous prétexte qu'elles reçoivent déjà 45 euros nets à la fin du mois car elles ont étudié une année supplémentaire dédiée à l'enfant, elles ne touchent pas de prime de soin critique. On a l'impression d'être traités comme des pions par l'institution » » fulmine-t-il. Il tient à rappeler que les services de réanimation pédiatrique ont aidé pendant la crise Covid en ouvrant des lits pour les adultes, en doublant les chambres. En revanche, il est impossible de demander à des infirmières qui n'ont pas l'habitude de bébés de s'occuper des tout petits nécessitant des gestes ultraspécialisés.

Que faudrait-il faire ? Payer les primes mais aussi « calculer des effectifs à 120 % ». « Il faudrait accepter de payer les gens pour rien [reste tout de même l'activité classique de chirurgie] quelques mois de l'année sachant qu'en période épidémique, on travaille énormément, ce qui je le répète ne nous pose pas de problème, c'est notre métier » propose Stéphane Dauger qui rappelle que des militaires d'élite ou les pompiers fonctionnent déjà ainsi.

 

 

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