Paris, France __ L'assurance maladie n'est pas le seul organisme à prendre en grippe la téléconsultation. Dans un récent communiqué, le collège de médecine générale a dénoncé les dérives engendrées par ce type de consultations, et rappelé les bonnes pratiques en la matière. Entretien avec le vice-président du collège de médecine générale, le Pr Serge Gilberg.

Medscape édition française : Quelles sont les principales dérives de la téléconsultation qu'a pu constater le collège de médecine générale ?
Pr Serge Gilbert : Nous avons d'abord constaté une augmentation exponentielle des téléconsultations, dont l'utilité pose question. Aussi, dans une étude nous avions pris conscience que cette augmentation n'est pas localisée dans les déserts médicaux. Cette augmentation entraine une surconsommation médicale qui n'est pas du tout justifiée.
Par ailleurs, nous regrettons que certains patients téléconsultent pour des problèmes qui ne peuvent pas être gérés de cette manière, du fait d'examens ou d'explorations à mener. Si bien que certains de ces patients qui ont téléconsulté reviennent vers le cabinet car le problème n'a pas été réglé, et l'on constate alors une perte de chance ou une prise de risque inconsidérée.
Nous déplorons aussi le fait que les prescriptions d'antibiotiques sont plus importantes en téléconsultation qu'au cabinet, et c'est pour cela que l'on a voulu de nouveau communiquer autour de la prescription en antibiotique lors d'une téléconsultation.
Il y a très peu de circonstances qui justifient une antibiothérapie sans ausculter le malade. Nous regrettons également la commercialisation de la téléconsultation, et l'injonction faite aux médecins de téléconsulter.
Certaines plateformes par exemple incitent les médecins à réserver dans leur planning des plages pour ce type de consultations. D'autres médecins sont sollicités pour travailler dans des sociétés commerciales en tant que salarié alors que certains de ces médecins n'ont pas de formation en médecine générale.
Dans le dernier PLFSS, la tutelle veut encadrer les téléconsultations qui génèrent trop d'arrêts de travail. Avez-vous constaté vos aussi une multiplication de ces arrêts ?
Pr Serge Gilbert : Nous l'avons moins constaté. La Cnamts réagit parce qu'il existe une dérive économique induite par la téléconsultation tandis que nous réagissons parce que nous constatons que la qualité des soins se détériore, ce qui entraine des pertes de chance pour les patients.
Le parcours de soins est-il moins respecté du fait de la téléconsultation ?
Pr Serge Gilbert : C'est évident. Doctolib a ouvert la porte à ce phénomène, en favorisant des prises de rendez-vous avec des médecins disponibles.
Les médecins doivent être équipés de manière adéquate pour réaliser les téléconsultations. Que pensez-vous de leur équipement ?
Pr Serge Gilbert : Pour la plupart oui, ils sont correctement équipés, grâce en particulier à une société en lien avec des pharmacies d'officine qui proposent des cabines de téléconsultation. Ces médecins nous disent qu'ils ont des autoscopes, des stéthoscopes, etc. Mais pour avoir audité un médecin qui pratiquait la téléconsultation avec ces outils, nous nous sommes rendu compte que leur qualité est loin d'être exceptionnelle : ce que l'on voit avec l'autoscope n'est pas parfait par exemple. Surtout, nous regrettons que la téléconsultation fasse l'impasse sur une approche globale, après la formulation d'une plainte par un patient. Nous avons trop souvent l'impression que les médecins en téléconsultation suivent la plainte sans la questionner, du fait d'une absence entre autres d'un examen clinique. Il m'arrive par exemple de faire un diagnostic en regardant mes patients se déplacer entre la salle d'attente et le cabinet, ce qui m'est impossible à réaliser en téléconsultation.
La téléconsultation entraine donc un dévoiement de la médecine ?
Pr Serge Gilbert : Absolument, cela entraine un dévoiement de l'art médical. Nous assistons actuellement au développement de centres de premier recours, ce qui est compréhensible eu égard à la difficulté d'obtenir un médecin traitant. Mais il faut quand même avertir les patients et leur dire qu'il ne s'agit pas de la même qualité de prise en charge qu'en cabinet. Mais c'est encore pire en téléconsultation. Demain, avec l'intelligence artificielle il sera possible de se passer de médecins...
Quelles sont les recommandations que vous formulez pour éviter les dérives que vous constatez ?
Pr Serge Gilbert : Il faut revaloriser le rôle du médecin traitant et instaurer des organismes de régulation. La téléconsultation n'est pas de la consultation, c'est de la régulation médicale, et à ce titre, la rémunération doit être différente.
Quid des autres aspects de la télémédecine, en particulier de la téléexpertise ?
Pr Serge Gilbert : Nous nous exprimons sur la téléconsultation, la télé expertise étant un autre sujet. On peut aussi discuter de la pertinence de la téléconsultation effectuée par certaines spécialités pour le suivi de maladies chroniques, et qui nous parait intéressant. Il n'empêche que, même pour ces spécialistes, la téléconsultation abaisse la qualité de la relation avec le patient. La téléexpertise est aussi tout à fait utile dans des régions éloignées, qui manquent par exemple de neurologues, mais la téléexpertise possède aussi un véritable potentiel dans la consultation conjointe.
La téléconsultation n'est pas de la consultation, c'est de la régulation médicale, et à ce titre, la rémunération doit être différente.
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Citer cet article: « La téléconsultation entraine un dévoiement de l'art médical » - Medscape - 21 oct 2022.
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