
William Shakespeare (Source : Dreamstime)
On sait que le dramaturge, poète et acteur britannique William Shakespeare avait un certain faible pour les puissants, leurs forces et (surtout) leurs faiblesses. Le chercheur américain Stephen Greenblatt, spécialiste de Shakespeare, s’est intéressé à sa représentation des puissants et du pouvoir. « Comment se peut-il, notamment, qu'un pays entier tombe entre les mains d'un tyran ? », s’interroge-t-il, en se référant à l'actualité au début de son livre « Le tyran - l'étude du pouvoir par Shakespeare pour le 21ème siècle ». [1] En s’appuyant sur des histoires courtes et des drames écrits par le poète, il y explique les mécanismes de l'émergence du pouvoir et de ses abus, en s’attardant particulièrement sur la pièce Richard III.
Instructif aussi pour les médecins
Outre les historiens, les politiciens et les politologues, les médecins pourraient apprendre de Shakespeare. Ainsi, le neurologue américain Brandy Matthews (Indiana Alzheimer Disease Center, à Indianapolis) a relevé dans l’œuvre de Shakespeare une représentation extrêmement précise de plusieurs affections médicales et psychiatriques : « Il n'avait pas de formation médicale, mais il a observé différents troubles neurologiques avec un regard acéré. Il avait noté non seulement les signes et les symptômes, mais aussi ― ce qui est peut-être encore plus important pour un dramaturge ― les conséquences importantes pour les personnes concernées et celles qui les soignent, y compris les médecins. » [2 ]Ainsi, selon ce spécialiste, plusieurs affections neurologiques apparaissent dans l’œuvre shakespearienne, dont :
la démence, dans Le conte d'hiver (le personnage de Polixenes),
l’épilepsie, dans Othello et Jules César,
la parasomnie et la démence à prions, dans Macbeth,
le parkinsonisme, dans Troïlus et Cressida (Achille),
l’apnée du sommeil, dans Henri IV (Falstaff)
La représentation la plus connue est sans doute celle du vieillissement et de la déchéance mentale du personnage principal du Roi Lear. [3 ]On trouve des indices de cette déchéance mentale dès le premier acte. Ainsi, dans la scène 4 :
Lear, à Gonerille – Êtes-vous notre fille ?
Gonerille. – Allons, seigneur, je voudrais vous voir user de cette raison solide dont je sais que vous êtes pourvu, et vous défaire de ces humeurs qui depuis quelque temps vous rendent tout autre que ce que vous êtes naturellement.
Le fou. – Un âne ne peut-il pas savoir quand c’est la charrette qui traîne le cheval ? — Dia, hue ! cela va bien.
Lear. – Quelqu’un me connaît-il ici ? Ce n’est point là Lear. Lear marche-t-il ainsi ? Parle-t-il ainsi ? Que sont devenus ses yeux ? Ou son intelligence est affaiblie, ou son discernement est en léthargie – Suis-je endormi ou éveillé ? — Ah ! Sûrement il n’en est pas ainsi – Qui pourra me dire qui je suis ?
Syndrome cérébral, psychose, trouble bipolaire, démence à corps de Lewy ?
Les symptômes cognitifs et émotionnels présentés par le roi Lear ont déjà fait l'objet de plusieurs discussions de cas psychiatriques. Les diagnostics posés étaient variés, allant du syndrome cérébral organique au trouble bipolaire en passant par le délire et la psychose réactionnelle. Les considérations diagnostiques se sont toutefois élargies avec la compréhension actuelle des maladies neurodégénératives. Selon une opinion répandue aujourd'hui, c’est à la démence à corps de Lewy (DCL) que les symptômes du vieux roi correspondent le mieux.
Parmi ceux qui sont convaincus que Lear présente les symptômes d'une telle démence, on trouve notamment le célèbre acteur de théâtre britannique Simon Russel Beale, qui s'est intéressé de près à la démence en se préparant au rôle du vieux roi. Il en est ainsi arrivé à la conclusion que la folie de Lear semble le bien correspondre à une DCL, qui se caractérise également par des hallucinations et des troubles moteurs.
Les indices d'une démence à corps de Lewy
Plusieurs caractéristiques fondamentales de la DCL sont effectivement présentes chez Lear, écrit Brandy Matthews. La tendance aux fluctuations cognitives, par exemple, est manifeste dans l'acte IV, lorsque Lear commence par parler de manière incohérente (décrivant ainsi une autre caractéristique centrale : les hallucinations visuelles), avant d’expliquer sa situation au comte de Gloster avec une grande clarté :
Lear . – La nature compte plus que l'art à cet égard. Voilà de l'argent pour toi. Ce drôle manie son arc comme un épouvantail à corbeaux : une coudée pour le tendre, une coudée de drapier. Regarde, regarde ! Une souris. Chut, chut ! Cette petite croûte de fromage, je l'aurai avec ça. Mon gant de guerre est là, j’en veux faire l’essai même sur un géant. Allez, allez les cavaliers. Oh, chevaleresque, la buse des voleurs ! Dans le mille : ftzzzzz ! Holà, le mot d'ordre.
En outre, selon Matthews, des signes possibles de parkinsonisme, comme une dysarthrie hypokinétique, apparaissent dans cette œuvre : la demande du roi "S'il te plaît, défais ce bouton" (acte V, scène 3) peut être interprétée comme un signe de dysfonctionnement subtil de la motricité fine. En plus des hallucinations visuelles décrites plus haut, Lear souffrait également d’hallucinations, comme le montre l'idée du bouffon d'être un noble philosophe dans le troisième acte. Lors de sa rencontre ultérieure avec Cordélia (acte IV), il est possible, selon Matthews, qu'une confusion délirante se soit produite :
Lear. - Tu es un fantôme, je le sais; quand donc es-tu morte ? (…) Je crains de ne pas avoir toute ma tête. (…) Il me semble que je devrais vous connaître, vous et cet homme. Mais je ne sais pas trop... (…) Car je pense, aussi vrai que je suis un homme, que cette dame est ma fille Cordélia.

Illustration du roi Lear, par N. Kozhevnikov, 1894 (Source : Dreamstime)
Parmi les autres symptômes évoqués dans la pièce, on trouve des hallucinations tactiles (par exemple : "...mes propres larmes/brûlent comme du plomb fondu" ; acte IV, scène 7) et des signes de dépression, comme : "Si tu as du poison pour moi, je le boirai" (acte IV, scène 7).
La question de savoir si Shakespeare décrit effectivement une démence à corps de Lewy dans son drame royal est et reste bien entendu de nature spéculative. Les recherches sur le personnage historique qui lui aurait servi de modèle pour Lear n’ont été d'aucune aide. Tout ce que l'on sait, c'est que Shakespeare s'est inspiré du récit de Holinshed sur Leir, un roi légendaire de Grande-Bretagne et dont l'histoire se déroulait au 8e siècle avant Jésus-Christ. L'œuvre a été une source d’inspiration majeure pour de nombreux auteurs de la Renaissance, dont Marlowe et Shakespeare.
La démence à corps de Lewy : symptômes et traitement
Le fait est que la DLB est une forme fréquente de démence. Selon le Dr Robert Haussmann (clinique de psychiatrie et de psychothérapie, de l'université technique de Dresde), il s'agit de la deuxième forme de démence dégénérative la plus fréquente après l'âge de 65 ans. Cliniquement, la maladie se caractérise par un syndrome démentiel, des symptômes moteurs extrapyramidaux spontanés, des hallucinations et des fluctuations de l'attention. Les critères diagnostiques cliniques seraient surtout utiles pour faire la distinction avec la démence d'Alzheimer. Cependant, le diagnostic clinique des synucléinopathies telles que la maladie de Parkinson et la démence à corps de Lewy est particulièrement difficile en raison des chevauchements cliniques et pathologiques avec d'autres démences neurodégénératives.
Tant le traitement que le diagnostic représentent un défi. À ce titre, chez Shakespeare, un médecin ne peut que réconforter Cordélia, la fille de Lear : « Soyez rassurée, madame. Le grand tumulte, voyez, il est mort en lui. Et pourtant il est dangereux, de combler les lacunes du temps perdu. Demandez-lui de se reposer ; ne le dérangez pas plus longtemps, jusqu'à ce qu'il soit plus calme. »
Si la médecine moderne peut souvent offrir bien plus que du réconfort, les options thérapeutiques ne sont pas encore particulièrement nombreuses. Les auteurs du guide S3 [4 ]sur les démences affirment par exemple qu’il n’existe "pas de médicament autorisé ou à l’efficacité suffisamment prouvée pour le traitement de la démence à corps de Lewy. Il existe des preuves de l'efficacité de la rivastigmine sur les symptômes comportementaux et du donépézil sur la cognition, l'impression clinique générale et les symptômes comportementaux. Il existe également des preuves de l'efficacité de la mémantine sur l'impression clinique globale et les symptômes comportementaux, mais pas sur la cognition. Des essais de traitement approprié peuvent être envisagés..."
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Citer cet article: Les hypothèses diagnostiques, selon William Shakespeare - Medscape - 20 oct 2022.
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