Pathologies gastro-intestinales : pensez à leur impact sur la sexualité

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

19 octobre 2022

Autriche, Vienne – Les hépato-gastroentérologues sont frileux lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la sexualité de leurs patients. D’après une étude italienne [1] présentée au Congrès européen d’hépato-gastroentérologie (UEG Week2022), plus de 70 % des gastro-entérologues ne s’enquièrent pas d’éventuels problèmes sexuels chez leurs patients, alors même que les pathologies rencontrées sont d’importantes pourvoyeuses de troubles sexuels. Et ce par pudeur, par manque de connaissances en la matière, ou parce que les patients eux-mêmes n’osent pas s’en ouvrir auprès de leur médecin.

Enquête italienne

De nombreux patients atteints de troubles gastro-intestinaux souffrent de dysfonction sexuelle, génératrice de stress et d’anxiété qui impactent leur qualité de vie et/ou celle de leurs partenaires. En qualité de soignants, les hépato-gastroentérologues pourraient se renseigner adroitement sur d’éventuelles difficultés vécues par leurs patients. Mais aucune donnée sur cet aspect n’a été publiée, jusqu’à une communication italienne, détaillée à l’UEGW 2022.

Les gastro-entérologues discutent-ils régulièrement de la dysfonction sexuelle avec leurs patients ? Malgré la forte prévalence de ce problème chez les patients atteints de troubles gastro-intestinaux, les conseils ne sont pas systématiquement prodigués par les spécialistes : « Plus de 70 % n’ont jamais/peu évoqué ce sujet avec leurs patients et, de même, la plupart des patients n’ont jamais discuté de problèmes sexuels lors d’une visite chez leur gastro-entérologue », a résumé le principal auteur de l’étude, le Pr Marco Romano (département de médecine interne, Université de Campanie Luigi Vanvitelli, Naples, Italie).

A cette fin de recherche, un questionnaire de 29 items, évaluant l’attitude, les connaissances et les modèles de pratique concernant la dysfonction sexuelle a été envoyé aux membres (gastro-entérologues jeunes ou expérimentés) de la Société italienne de gastro-entérologie et d’endoscopie digestive (SIGE). 426 réponses ont été retournées, provenant principalement de la part des médecins expérimentés (âge moyen 47,2 ans). 21 % étaient des jeunes praticiens d’âge moyen 29 ans. Dans l’ensemble, 48 % des répondants travaillaient dans un CHU.

Les troubles sexuels, pourtant fréquents en gastro-entérologie

La grande prévalence des troubles sexuels parmi la population des patients en gastro-entérologie est bien connue.

Exemple parmi d’autres, une étude française récente a montré que l’altération de la fonction sexuelle était plus fréquente chez les malades atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) comparé à la population générale [2]. Elle concernait près d’une femme sur deux et un homme sur six. Ces taux sont significativement plus élevés que chez les personnes en bonne santé, principalement dus à des facteurs psychologiques et indépendants de la gravité de la maladie. Les prédicteurs de la dysfonction sexuelle et de la dysfonction érectile étaient le fonctionnement social et émotionnel, l’anxiété chez les femmes et la dépression chez les hommes. La majorité des patients attendaient de leur gastro-entérologue qu’il prenne en compte cet aspect majeur de leur vie quotidienne, soulignaient les auteurs.

Une seconde enquête européenne chez les patients atteints de MICI, conduite en ligne auprès d’adhérents d’associations de patients, amontré que pour 40 % d’entre eux, la maladie avait empêché la poursuite d’une relation intime [3].

Dans une étude espagnole, 40 % des patients rapportaient une influence négative de la MICI sur leur vie sexuelle [4]. Dans ces travaux, l’état thymique, les symptômes digestifs et la fatigue altéraient la qualité de vie sexuelle, trois facteurs associés à la MICI pour lesquels une intervention thérapeutique pourrait être envisagée.

Il a, en effet, été montré que les patients suivis pour une MICI souffraient plus souvent de troubles anxieux ou dépressifs et de fatigue chronique, facteurs fortement associés à des troubles de la sexualité [5].

Le retentissement de l’intestin irritable sur la vie sexuelle

Les sujets souffrant du syndrome de l’intestin irritable ne sont pas exempts de retentissement sur la vie sexuelle. Celui-ci est d’ailleurs souvent sous-estimé, alors que les études sont nombreuses à montrer que cette maladie joue sur la libido, la fatigue et la sexualité en général.

Des études réalisées aux Etats-Unis ont montré que la maladie pouvait altérer la sexualité chez deux tiers des patients, et avoir parfois un retentissement sur le conjoint. Chez les patients atteints de formes sévères (20 à 25 % des cas), la qualité de vie peut être autant altérée, voire plus, que chez ceux souffrant de la maladie de Crohn, de diabète ou de dépression sévère.

Une étude conduite par le Pr Jean-Marc Sabaté (gastro-entérologue, hôpital Avicenne de Bobigny) avec l’association française de patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable (APSSII) le confirme. Conduite en mai 2016 (patients d’âge 46 ans en moyenne) [6], cette enquête réalisée chez des patients avec SII dont la plupart étaient sévères, a révélé qu’une dysfonction sexuelle existait chez deux tiers des femmes, et une dysfonction sexuelle et érectile sévère à moyenne sévère chez plus d’un homme sur deux.

Cette étude confirmait aussi que dans un cas sur deux, la qualité de vie des conjoints était également impactée par le SII. « En pratique, nous devrions poser la question de la qualité de vie en général (travail, sorties, alimentation…) avec une question sur la sexualité », a recommandé le Pr Sabaté.

Cette étude n’est pas isolée. D’autres ont conclu que les patients atteints de colopathie rencontraient plus de difficultés sexuelles que les autres [7]. Dans une grande étude américaine, 51 % des femmes souffrant du côlon irritable avaient une satisfaction sexuelle globale diminuée, ainsi que des troubles du désir [8].

Manque de temps, de connaissances… et embarras

Dans l’enquête italienne discutée à l’UEGW22, les raisons les plus souvent invoquées par le praticien pour ne pas aborder une éventuelle dysfonction sexuelle étaient le manque de connaissances (58 %), de temps (44 %) et l’embarras (30 %).

Pour autant, plus de 70 % des répondants ont indiqué que tous les spécialistes devraient être capables de gérer les problèmes sexuels, et plus de 80 % ont déclaré qu’il serait utile que les gastro-entérologues suivent des cours dédiés à ce type de problème.

On aurait pu penser que la jeune génération serait plus à même d’aborder le sujet des problèmes sexuels. Il n’en est rien, du moins dans cette étude : le pourcentage de jeunes gastro-entérologues qui ne discutent jamais du sujet avec leurs patients est significativement plus élevé que celui des gastro-entérologues expérimentés (38,5 % contre 21,3 %, respectivement p = 0,001).

En outre, un pourcentage plus élevé de jeunes gastro-entérologues par rapport aux gastro-entérologues expérimentés ont signalé que les patients n'avaient pas établi de lien entre leur dysfonction sexuelle et le traitement prescrit (47,8 % contre 32,5 %, respectivement, p = 0,007).

Vie intime, les jeunes gastro-entérologues plus timorés

De manière plus fréquente que les jeunes, les gastro-entérologues expérimentés ont estimé que les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) (5,8 % contre 0 %, respectivement p = 0,018) ou les prokinétiques (19,8 % contre 9,5 %, respectivement, p = 0,028) pourraient être responsables d’un certain degré de dysfonction sexuelle chez leurs patients. D’un autre côté, les jeunes ont estimé plus fréquemment que les plus âgés que d’autres médicaments (non-gastro-entérologiques) pourraient contribuer aux problèmes sexuels chez leurs patients (57,1 % contre 44,7 %, p = 0,043).

« Le manque d’éducation/de connaissances dans le domaine apparaît comme le facteur le plus important à l’origine de la sous-évaluation des problèmes liés à la sexualité dans le cadre de la gastro-entérologie, a conclu le Pr Marco Romano. La plupart des gastro-entérologues et des jeunes gastro-entérologues estiment qu’il pourrait être important de suivre un enseignement afin d’accroître la sensibilisation sur ce sujet, lorsqu’ils ont en face d’eux des patients atteints de troubles gastro-intestinaux chroniques. »

 

Le Pr Marco Romano déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec sa présentation.

 

Suivez Medscape en français sur  Twitter .

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur  Twitter .

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape :  sélectionnez vos choix

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....