
Le dépistage du cancer colorectal (CCR) par coloscopie était récement au cœur de l’actualité avec la publication d’études soulignant l’effet modeste de l’utilisation de cette méthode sur la mortalité, mais aussi des campagnes de sensibilisation menées par des célébrités, comme l’acteur Ryan Reynolds.
Bénéfices modestes de la coloscopie
Lors de la congrès 2022 de la Fédération européenne de gastro-entérologie (30th UEG week), des chercheurs ont présenté les résultats des 10 ans de suivi de l'essai randomisé multicentrique NordICC (Northern-European Initiative on Colorectal Cancer). Les résultats ont montré qu'une seule coloscopie de dépistage était bénéfique, mais peut-être pas autant que prévu (voir infographie). [1]
L'étude a été conçue pour être basée sur une population en vie réelle et reproduire les programmes nationaux de dépistage du CCR. Toutes les personnes invitées à subir une coloscopie de dépistage ont été comparées à celles ayant reçu les soins habituels (c'est-à-dire sans invitation, ni dépistage). Le risque provisoire de CCR à 10 ans était de 0,98% dans le groupe « invité », contre 1,20% dans le groupe recevant les soins habituels (RR 0,82 ; IC 95%, 0,70-0,93). Cela suggère qu'il faudrait inviter 455 personnes à subir une coloscopie pour prévenir 1 cas de cancer colorectal (IC à 95%, 270-1429). Le risque de décès par cancer colorectal était de 0,28% dans le groupe invité et de 0,31% dans le groupe recevant les soins standards (RR, 0,90 ; IC 95%, 0,64-1,16).
Des experts ont fait part de leurs préoccupations concernant l'étude, notamment le fait que seulement 42% des personnes invitées ont effectivement subi une coloscopie. Un éditorial accompagnant la publication souligne que les études de cohorte ont montré une diminution de 40 à 69% de l'incidence du CCR et une diminution de 29 à 88% du risque de mortalité. [2] Cependant, les auteurs notent que « les études de cohorte surestiment probablement l'efficacité réelle de la coloscopie en raison de l'incapacité à ajuster des facteurs importants, tels que l'adhésion incomplète aux tests et la tendance des personnes en meilleure santé à rechercher des soins préventifs. » Les éditorialistes suggèrent également que les avantages du dépistage par coloscopie prennent du temps « car l'incidence du CCR est initialement augmentée lorsque des cancers pré-symptomatiques sont identifiés. » Ils notent également que « la coloscopie est très dépendante de l'opérateur » et que le taux de détection des adénomes varie et affecte le risque de cancer et la mortalité associée.
Dépistage ciblé selon l’âge
Une autre étude récente a montré que, chez les personnes qui n'ont pas d'adénome détecté lors d'une coloscopie de référence, le risque de développer une néoplasie avancée et un CCR est plus faible chez les individus âgés de 40 à 49 ans que chez ceux de 50 à 59 ans. [3] Toutefois, aucune différence n'a été constatée entre les deux groupes d'âge en ce qui concerne les taux de détection des adénomes non avancés ou des adénomes avancés. L'étude a porté sur 2396 personnes âgées de 40 à 49 ans et 8978 de 50 à 59 ans. Une coloscopie de dépistage a été réalisée dans 40,2% du groupe le plus jeune contre 34,8% du groupe le plus âgé ; elle a été déclenchée par un résultat positif au test immunologique fécal dans 3,3% du groupe le plus jeune contre 32% du groupe le plus âgé.
Les auteurs ont constaté que « si l'on compare le groupe des 40-49 ans à celui des 50-59 ans, la coloscopie index n'a pas détecté d'adénome dans 62,9% des cas contre 40,1% (P < 0,0001), d’adénomes non avancés dans 25,4% des cas contre 39,0% (P < 0,001) et d’adénomes avancés dans 11,6% des cas, contre 21,0% (P < 0,0001), respectivement ». Lorsque les deux groupes d'âge ont été comparés pour la coloscopie de surveillance, aucun adénome n'a été détecté dans 67% du groupe plus jeune contre 54,7% du groupe plus âgé (P < 0,0001), tandis que les adénomes non avancés ont été détectés dans 25,4% contre 38,4%, respectivement (P < 0,0001), et un adénome avancé a été détecté dans 3,5% contre 6,95% (P < 0,0001), respectivement.
Une néoplasie avancée a été détectée lors de la coloscopie de surveillance après la coloscopie de référence chez 2,2% du groupe le plus jeune et 4,4% du groupe le plus âgé (P = 0,0003). Lors de la coloscopie de surveillance, des adénomes non avancés ont été détectés chez 4,6% vs 7% (P = 0,03), respectivement. Et les adénomes avancés ont été retrouvés dans 7,9% chez les plus jeunes contre 11,7% chez les plus âgés (P = 0,06).
Des acteurs de cinéma se mobilisent
Pour souligner l'importance du dépistage du cancer colorectal, les acteurs Ryan Reynolds et Rob McElhenney ont récemment sensibilisé le public avec humour. Les deux stars ont filmé leur propre coloscopie pour la campagne « Lead From Behind ». Les deux acteurs ont maintenant 45 ans, ce qui correspond à l'âge auquel de nombreuses organisations recommandent aux hommes présentant un risque moyen de subir leur première coloscopie. Au cours de la procédure avec Ryan Reynolds, les médecins ont identifié et retiré un polype qui aurait pu gravement évoluer avec le temps. Le médecin de Rob McElhenny a quant à lui retrouvé trois polypes et les a également retirés. Ces résultats ont contribué à démontrer l'importance du dépistage du CCR chez les hommes plus jeunes présentant un risque moyen.
Les patients préfèrent le test de dépistage immunologique
La préférence des jeunes patients pour certains types de dépistage du CCR est « alarmante » pour certains experts. Le Pr David A. Johnson (Chef du service de gastroentérologie, Eastern Virginia Medical School, Norfolk, É.-U.) a récemment fait part de son inquiétude concernant une étude réalisée en Californie. [4] Dans le cadre d'une enquête en ligne, 1000 personnes ont été interrogées sur leurs préférences parmi les cinq tests de dépistage du CCR recommandés par l'US Multi-Society Task Force (US-MSTF). Les résultats ont montré que la préférence était constante pour le test immunologique fécal (FIT)/test ADN fécal multicible chez tous les patients. Dans une comparaison des tests de dépistage de niveau 1 de l'US-MSTF, le test FIT annuel était préféré par 68,9% des personnes âgées de 40 à 49 ans et 77,4% de celles âgées de 50 ans ou plus, contre seulement 31,1% et 22,6% pour la coloscopie, respectivement. Le Pr Johnson s’inquiète de ce résultat car « le FIT passe à côté de 95% des lésions avancées en ce qui concerne les polypes dentelés sessiles. Lorsque l'on parle d'un taux de détection de 5%, cela relève de l'élément de hasard. »
Taux de détection des adénomes chez les endoscopistes
Ce qui se passe après le dépistage par le test immunologique (FIT) serait également préoccupant. Une nouvelle étude[5] a montré que les objectifs de taux de détection des adénomes par les endoscopistes effectuant une coloscopie après un résultat positif au test immunologique devraient être nettement plus élevés que les objectifs utilisés pour la coloscopie primaire. Le taux de détection des adénomes est un indicateur de qualité essentiel car il reflète la capacité à détecter les lésions et est inversement associé au risque de CCR postcoloscopie (CCRP). Les adultes ayant obtenu un résultat positif au test immunologique ont une prévalence élevée d'adénomes, ce qui entraîne des taux de détection des adénomes élevés pour les endoscopistes effectuant des coloscopies.
L'étude a porté sur 362 endoscopistes accrédités qui ont effectué 116 360 coloscopies. Au cours d'un suivi médian de 52 mois, 209 CCRP d'intervalle ont été identifiés. Les taux de détection des adénomes des endoscopistes variaient entre 40% et 82%, avec un taux médian de 67%. Un taux plus élevé était fortement associé à une incidence plus faible de CCRPC d'intervalle, avec un rapport de risque ajusté de 0,95 (IC 95%, 0,92-0,97) par augmentation de 1% du taux de détection des adénomes. Pour les endoscopistes ayant un taux de 60%, l'incidence cumulée des CCRPC d'intervalle était presque deux fois plus élevée que celle des endoscopistes ayant un taux de 7 %. Pour 1000 coloscopies réalisées après un test immunologique positif, le nombre prévu de patients chez qui on a diagnostiqué un CCRP d'intervalle en 5 ans était d'environ 2 pour les endoscopistes ayant un taux de 70%, comparativement à près de 3,5 pour les taux de 60% et à plus de 4,5 pour les taux de 55%.
Impact de l’IA sur la surveillance par coloscopie
Autre préoccupation : l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) pendant la coloscopie pourrait alourdir le fardeau des patients en augmentant la fréquence des coloscopies et les coûts de santé qui en découlent. Une nouvelle étude [6] a montré que l'association coloscopie et IA (par rapport à la coloscopie seule) augmentait la proportion de patients nécessitant une surveillance intensive par coloscopie après polypectomie d'environ 35% aux États-Unis et au Japon, et d'environ 20% en Europe. L'étude a porté sur 5796 patients : 2894 ont subi une coloscopie assistée par IA et 2902 ont subi une coloscopie standard sans assistance de l'IA. On observait, dans tous les essais, des taux de détection des adénomes plus élevés dans les groupes de coloscopie assistée par IA.
Lorsque les recommandations américaines et japonaises étaient suivies, la proportion de patients référés pour une surveillance intensive est passée de 8,4% (IC 95%, 7,4%-9,5%) dans le groupe sans IA à 11, % (IC 95%, 10,2%-12,6%) dans le groupe avec IA. Lorsque les directives européennes étaient suivies, l'augmentation est passée de 6,1% (IC 95%, 5,3%-7,0%) à 7,4% (IC 95%, 6,5%-8,4%). Les chercheurs suggèrent que ces augmentations sont principalement dues à la reclassification des patients de la catégorie "faible risque" à celle de "risque intermédiaire ou élevé". Ce changement est probablement dû à l'augmentation des détections des adénomes par coloscopie liée à l'IA. Cela peut conduire à une prévention plus efficace du cancer, mais aussi à un alourdissement potentiel de la prise en charge et des coûts.
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Source image : Medscape
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Citer cet article: Dans l’Actu : coloscopie - Medscape - 21 oct 2022.
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