50 ans après le « drame de la cordillère des Andes », médecins et patients relèvent un nouveau défi de « survie »

Matías A. Loewy

Auteurs et déclarations

17 octobre 2022

Buenos Aires, Argentine ― Lors d’une expédition hautement symbolique, 30 femmes et 1 homme dont le cancer du sein a été guéri, ont parcouru 50 km en trois jours pour se rendre à Malargüe, en Argentine, lieu du « Drame de la cordillère des Andes ». Accompagnés d’une dizaine d’oncologues et professionnels de santé, ils ont choisi cette destination qui a été le théâtre d’une des « histoires de survie » les plus épiques de notre époque (lire encadré ci-dessous).

Drame de la cordillère des Andes (ou Miracle des Andes) ― Il y a 50 ans, le 13 octobre 1972, un avion de l’armée uruguayenne assurant la liaison entre Montevideo et Santiago du Chili, et avec à son bord 45 passagers dont les joueurs d’une équipe de rugby locale, s’écrase dans la cordillère des Andes. Dans des conditions climatiques extrêmes, à près de 3 600 m d’altitude et sans vivres, les rescapés n’auront d’autre choix que d’avoir recours à l’anthropophagie sur leurs amis et collègues décédés. Deux mois plus tard, on retrouvera seulement 16 survivants, dont l’histoire tragique a fait l’objet de plusieurs films, livres et documentaires. Les épreuves physiques, psychologiques et éthiques qu’ont dû surmonter les victimes de l’accident ont profondément marqué les esprits en Amérique latine.

 

Source : Fernando Petracci, Pablo Petracci y Bruno Brachetta

« Cet exemple de dépassement m’a fait penser aux défis et aux étapes que mes patients doivent surmonter à partir du moment où ils découvrent qu’ils ont un cancer », a déclaré le chef de l’expédition et initiateur du projet, le Dr Fernando Petracci (spécialisé en oncologie moléculaire et de précision, génomique et Big Data, et spécialiste du cancer du sein à l’Institut Alexander Fleming de Buenos Aires).

Dr. Fernando Petracci / Source : Oribe Comunicaciones

En 2021, le Dr Petracci, lui-même ultra-marathonien et andiniste [pratiquant l’alpinisme dans les Andes, NDLR] chevronné, s’était rendu sur les lieux du drame avec des amis. « C’était surprenant et fascinant. Les sensations et les expériences que j’ai pu ressentir au regard des survivants de cette tragédie m’ont fait faire une analogie avec ce qui arrive aux patients, du diagnostic à la guérison. Avant de quitter la « Vallée des larmes », lieu de la tragédie, j’ai dit à un de mes amis que je devais y retourner avec mes patients », se souvient-il.

Comprendre qu’il existait des points communs entre ces « histoires d’incroyable résilience » et le « retour à la vie après un cancer du sein » a été l’étincelle qui a inspiré cette aventure, a-t-il ajouté.

Le projet s’est concrétisé entre le 4 et le 6 mars de cette année, avec le slogan « Del cáncer de mama se vuelve » (« Du cancer du sein, on peut s’en sortir ») et le soutien de la Fundación Cáncer – FUCA (Fondation pour la recherche, l’enseignement et la prévention du cancer) et des laboratoires Novartis et Roche, ainsi que le parrainage de l’Association argentine d’oncologie clinique (AAOC). Il a également pris la forme d’un documentaire de 45 minutes présenté dans une grande salle de cinéma de Buenos Aires.

« L’idée était que tous ces efforts ne devaient pas constituer seulement notre propre expérience, mais plutôt un exemple pour les personnes qui sont en bonne santé et celles qui sont actuellement confrontées à un cancer ― que ce soient elles-mêmes ou un membre de leur famille », raconte le Dr Petracci à l’édition espagnole de Medscape.

De nombreux parallèles entre la traversée périlleuse des Andes, la tragédie des jeunes rugbymen et les défis auxquels doivent faire face les patients souffrant de cancer, se retrouvent dans les témoignages des participants à l’expédition. « Le diagnostic est comme une chute qui vous laisse là, immobile, plein d’incertitudes » ; « Ce n’est pas comme un avion qui s’écrase, mais c’est une terrible douche froide » ; « Après l’impact, il faut voir comment s’en sortir, quel chemin prendre » ; « Chacun traverse sa propre cordillère » ; « Tout comme les rugbymen, nous nous sommes soudainement retrouvés dans une situation que nous n’aurions jamais imaginée » ; « Comme pendant la maladie, au cours de cette expédition j’ai développé du courage, de la volonté et de la résilience » ; « Le voyage et la maladie génèrent tous deux ce besoin de s’éloigner du bruit extérieur et de se tourner vers soi-même », ont décrit des patients rétablis.

« Le défi, ce n’est pas l’arrivée, mais le chemin », a comparé un autre membre de l’expédition, le Dr Romina Luca, oncologue. Mais pas à pas, après deux nuits sous une tente et une difficile ascension de 1 000 mètres jusqu’au mémorial situé à 3 500 mètres d’altitude, où reposent les restes des passagers et des membres d’équipage décédés, ils ont tous atteint leur objectif, entre sourires, larmes et émotion.

« La vie nous mettra à l’épreuve »

Source : Fernando Petracci, Pablo Petracci y Bruno Brachetta

Cette expérience dans les Andes a été transformatrice, tout comme la maladie, ce qui implique le défi de reprendre le cours de sa vie avec les changements que chacun estime pertinents après la guérison. « De nombreux patients restent dans un état de désorientation, d’apathie et de peur permanente qui les bloque et les empêche de poursuivre et de profiter de leur vie », a constaté le Dr Petracci.

En conclusion du documentaire, le cancérologue a déclaré : « Faut-il souffrir pour réaliser les choses essentielles de la vie ? À un moment donné, chacun devra faire face à sa propre cordillère et la traverser. La vie nous met à l’épreuve et c’est à nous de décider comment y faire face, comment nous voulons continuer ».

 

Source : Fernando Petracci, Pablo Petracci y Bruno Brachetta

Le spécialiste a souligné la rareté de ce type d’expéditions. « Il y a eu des ascensions effectuées par des personnes qui ont bénéficié de greffes. Et j’ai rencontré un médecin d’Afrique du Sud qui est allé sur le Kilimandjaro avec des survivants du cancer du sein... mais il y a peu d’exemples », selon lui. Il ajoute que l’année prochaine, il a l’intention de répéter l’expérience avec des patients atteints d’un cancer du sein avancé, pour montrer que « l’on peut bien vivre pendant de nombreuses années ».

Avant le voyage, les participants ont rencontré, lors d’une vidéoconférence d’une heure et demie, l’un des survivants de la tragédie des Andes, José Luis "Coche" Inciarte, qui a également été diagnostiqué d’un cancer du sein en 2013 et a fait une rechute avec métastases en 2018. Il a raconté en détails cette épopée tragique. Le Dr Petracci collabore d’ailleurs désormais avec un oncologue uruguayen concernant certaines décisions thérapeutiques pour ce patient hors du commun.

Dans une vidéo diffusée avant le documentaire, J. L. Inciarte a félicité les autres survivants du cancer pour leur « volonté indéfectible d’arriver » en marchant jusqu’à la tombe où reposent ses amis. « Je suis allé sept fois à cet endroit, mais toujours à cheval. C’est donc une émotion incommensurable », a-t-il déclaré.

En Argentine, environ 20 000 cas de cancer du sein sont diagnostiqués chaque année. Et selon les données officielles, la mortalité par cancer du sein a connu une baisse significative et constante d’environ 1 % par an entre 2002 et 2019, avec un taux ajusté de 16,93 décès pour 100 000 femmes en 2019, tandis que le nombre de survivants de différentes tumeurs a augmenté de 25 % en une décennie.

 

Publié initialement sur Medscape édition espagnole, sous le titre  A 50 años de la tragedia de los Andes, médicos y pacientes recrean otra historia de sobrevivencia . Traduit par Véronique Duqueroy.

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