Les pénuries de médicaments se multiplient

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

12 octobre 2022

Paris, France – Tandis que les pénuries de médicaments repartent à la hausse en France, Pierre Olivier Variot, président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO), invite les autorités à être plus volontaristes. Il réclame une meilleure traçabilité depuis la production jusqu’à la vente afin de garantir l’accès au médicament en France, mais aussi des mesures pour inciter les industriels à produire dans l’Hexagone.

Pierre Olivier Variot

Medscape édition française : Les ruptures d'approvisionnement des pharmacies durant au moins une semaine ont quasiment doublé depuis le début de l'année, passant de 6,5 % à 12,5 % du nombre de références, selon Les Échos. En tant que pharmacien, y êtes-vous fréquemment confronté ?

Pierre Olivier Variot : Oui, clairement. Je dois avoir une centaine de médicaments en rupture, cela va de l’antibiotique à l’anticancéreux et à l’insuline. Cela fait cinq ou dix ans qu’il y a des ruptures mais ces derniers mois, ce phénomène s’accélère très fort. Il y a des pénuries dans de très nombreuses classes thérapeutiques y compris pour les génériques.

Je dois avoir une centaine de médicaments en rupture, cela va de l’antibiotique à l’anticancéreux et à l’insuline.

Quelles sont les causes de ces ruptures de stock ?

Pierre Olivier Variot : Plusieurs raisons peuvent les expliquer. Tout d’abord, il peut y avoir une inadéquation entre la demande et la production. C’est ce qui arrive avec le paracétamol. Aujourd’hui, la demande explose et la production ne suit pas. Il peut aussi y avoir un problème de stock quand un, deux ou trois lots d’un médicament ne passent pas les contrôles et sont détruits : ce qui crée une pénurie.

Une pénurie peut aussi s’expliquer quand il y a une forte exportation d’un médicament. Aujourd’hui, la France est le pays où les médicaments sont les moins chers d’Europe. Quand un industriel fabrique 1000 boîtes et en réserve 100 pour la France, 100 pour l’Allemagne et 100 pour l’Italie, il a intérêt à en vendre 70 à la France et les 30 autres là où il sera mieux rémunéré. C’est ce qui se passe. C’est la raison pour laquelle l’ANSM a créé une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) et demande aux laboratoires qui les produisent d’avoir un stock minimum en France très vite mobilisable. Les industriels ne mettant pas à disposition ce stock s’exposent à une amende. Une autre raison des pénuries concerne les intermédiaires qui sont souvent des dépositaires et peuvent faire de l’exportation parallèle car ils ont intérêt, eux aussi, à davantage vendre à des pharmaciens allemands que français pour gagner un peu plus.

Les intermédiaires peuvent faire de l’exportation parallèle car ils ont intérêt, eux aussi, à davantage vendre à des pharmaciens allemands que français pour gagner un peu plus.

Ces pénuries sont-elles la conséquence directe ou indirecte du conflit entre l’Ukraine et la Russie ?

Pierre Olivier Variot : La Russie n’est pas un grand exportateur de médicaments mais on observe effectivement un effet rebond lié au conflit. Comme il y a une explosion des coûts de l’énergie, il arrive, quand les prix du médicament sont tellement bas, que certains labos travaillent à perte et donc arrêtent de produire. (Le Leem, syndicat patronal des laboratoires français, a indiqué à La Tribune avoir enregistré ces derniers mois « une hausse des coûts de production de 25% en moyenne », NDLR)

Ces pénuries peuvent-elles durer ?

Pierre Olivier Variot : Je crains même qu’elles ne s’accélèrent encore ! Une autre raison pourrait y contribuer, il s’agit d’une mesure du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2023) qui prévoit la mise en place d’appels d’offres sur certains médicaments, notamment génériques. Le laboratoire le moins cher remportera l’appel d’offres et il n’y aura plus que ce laboratoire-là qui sera remboursé, les médicaments non retenus ne le seraient plus… et cela va accélérer la pénurie. On a fini le « quoi qu’il en coûte » et on est revenu à « qui doit payer quoi » (devant l’opposition des laboratoires et des pharmaciens, le gouvernement a annoncé jeudi que cette mesure serait mise en place à titre expérimental, NDLR). C’est ce qui se passe dans tous les pays qui ont déjà adopté cette mesure : au Danemark, dans certains länders allemands, en Suède, aux Pays-Bas. C’est le risque que l’on court quand un seul laboratoire produit un traitement. Imaginez si on adopte cette mesure pour le paracétamol ! Aujourd’hui, huit ou neuf pays produisent du paracétamol. S’il n’y en a plus qu’un, il ne pourra pas produire pour tout le monde, c’est impossible.

Comme il y a une explosion des coûts de l’énergie, il arrive, quand les prix du médicament sont tellement bas, que certains labos travaillent à perte et donc arrêtent de produire.

Les autorités, dont l’ANSM, ont moins communiqué ces derniers mois sur les pénuries ? Y a-t-il un défaut d’information ?

Pierre Olivier Variot : Non car les autorités avaient l’impression que le sujet des pénuries était réglé mais on risque de revenir en arrière.

Les pharmaciens sont-ils suffisamment informés des ruptures de stock et comment gérez-vous la frustration des patients qui ne peuvent pas avoir le traitement prescrit ?

Pierre Olivier Variot : On estime que dans chaque pharmacie, deux heures de travail sont perdues chaque jour à cause des pénuries. Comment fait-on ? Parfois on a des génériques pour substituer, et on fait de la pédagogie pour expliquer le changement. Mais quand on n’a pas le traitement ni le générique, on appelle le laboratoire pour voir s’il ne peut pas nous dépanner en urgence. Ce qu’il fait parfois et on a le traitement en 3 ou 4 jours. Et parfois ce n’est pas possible car il n’y a plus du tout de médicament. On appelle alors le médecin pour voir par quelle classe thérapeutique on peut remplacer le traitement.

On estime que dans chaque pharmacie, deux heures de travail sont perdues chaque jour à cause des pénuries.

Aujourd’hui, il n’existe aucun moyen de connaître la disponibilité de tel médicament dans une autre officine ?

Pierre Olivier Variot : Non, personne n’a de vision des stocks mais nous devrions avoir dans quelques semaines une nouvelle fonctionnalité : dès lors qu’un médicament sera en rupture, notre machine nous proposera de le commander directement auprès du laboratoire, cette automatisation nous permettra de gagner du temps.

Vous arrive-t-il parfois de vous trouver sans solution satisfaisante pour les patients ?

Pierre Olivier Variot : On trouve toujours une solution mais il arrive que ce soit une solution dégradée, avec d’autres médicaments, avec d’autres effets. Il faut que le patient se réhabitue, ou parfois que l’on change de dosage.

De votre point de vue, quelles mesures pourraient-elles être mises en place pour améliorer la situation ?

Pierre Olivier Variot : Nous devrions pouvoir gagner en clarté. Si nous reprenons l’exemple des 1000 boîtes produites par un industriel dont 100 pour la France… Aujourd’hui, on sait que 100 boîtes ont été produites mais on ne sait pas si ces 100 boîtes ont bien été délivrées en pharmacie et vendues aux Français. Si nous savons que 100 ont été livrées et où elles ont été réparties entre les grossistes et les dépositaires, là on saura d’où viennent les problèmes et on pourra les régler. Tant qu’on est dans l’opacité, ça ne marchera pas. Il faut une meilleure traçabilité depuis la production jusqu’à la vente. Au moins, s’il y a une rupture à 100 boîtes, on saura qu’il en faut 120. Il faut aussi que l’ANSM soit aussi un gendarme ! Et si ça ne va pas, qu’elle mette des amendes quand les industriels ne disposent pas des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Elle a prévu de mettre des amendes qui vont être augmentées d’ailleurs.

Cette nouvelle situation de tension pose-t-elle la question de la souveraineté de la France en matière de production de médicaments, selon vous ?

Pierre Olivier Variot : Bien sûr. Il faut faciliter la production de médicaments en France, peut-être en augmentant leur prix. Les médicaments ne peuvent plus aujourd’hui être fabriqués en France car ils coûtent trop cher. Je vais prendre l’exemple du Levothyrox. Quand il y avait le Levothyrox, il y avait un seul générique car un seul laboratoire le produisait car c’était peu rentable. A un moment donné, ce n’était plus rentable du tout et le laboratoire a arrêté de le fabriquer. Quand on a eu le couac sur le Levothyrox il y a quelques années, on n’avait plus de générique vers lequel se retourner, on a dû importer des médicaments de Grèce, d’Allemagne, de Russie. Si on n’est pas producteur à un moment donné, cela pose problème. Quand vous avez une boîte qui sort à 40 centimes ou à un euro, l’industriel ne sait pas faire et à un moment décide d’arrêter. La production part ailleurs, en Chine, en Inde… cela a un impact environnemental et pose de sérieux problèmes.

Il faut faciliter la production de médicaments en France, peut-être en augmentant leur prix. Les médicaments ne peuvent plus aujourd’hui être fabriqués en France car ils coûtent trop cher.

 

 

 

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