France — Les virus oncolytiques infectent les tumeurs, détruisent les cellules cancéreuses et stimulent localement l'immunité. Pour Medscape, Jean-François Fonteneau, chercheur au Centre de Recherche en Cancérologie et Immunologie Intégrée Nantes-Angers (CRCI2NA), fait un point sur ces travaux.
Renforcer l'effet antitumoral de l'infection
Une infection virale est potentiellement beaucoup plus toxique pour les cellules cancéreuses que pour les cellules saines. Le phénomène est connu depuis longtemps, et un certain nombre de cas de régression tumorale après une infection virale, ont été rapportés.
Depuis le début des années 2000, la recherche s'est saisie de ces virus oncolytiques, et développe des virus porteurs de différents transgènes, renforçant l'effet antitumoral de l'infection.
En 2015, l'efficacité clinique de cette approche a été démontrée, et un premier virus oncolytique, le T-vec (Imlygic) a été autorisé dans le mélanome métastatique.
Dernièrement, le Japon a approuvé temporairement un virus oncolytique de troisième génération contre le glioblastome. Et l'on conçoit aujourd'hui des stratégies pour associer des virus oncolytiques à des chimiothérapies ou immunothérapies.
Le chercheur Jean-François Fonteneau fait un point sur ces travaux.
Medscape édition française : Quelles sont les spécificités d'une infection virale dans une tumeur ?
Jean-François Fonteneau : Par rapport aux cellules saines, les cellules cancéreuses présentent de nombreuses caractéristiques qui favorisent la réplication des virus. Citons-en quatre.
Les cellules cancéreuses prolifèrent : l'activité de synthèse d'ADN est donc intense, et les virus à ADN en profitent pour leur propre réplication.
Dans les cellules cancéreuses, la production d'énergie est reprogrammée vers la glycolyse (effet Warburg), et plus favorable à la réplication.
Alors qu'une cellule non cancéreuse, infectée, va se suicider, la cellule tumorale résiste à ce suicide, et offre ainsi plus de temps à la réplication virale.
Enfin l'environnement tumoral est immunosuppressif, et le virus, encore une fois, en tire un avantage.
Quels mécanismes font d'une infection virale un potentiel agent anti-tumoral ?
Jean-François Fonteneau : Ici encore, plusieurs mécanismes se cumulent. Un virus oncolytique est donc injecté, en IV ou dans la tumeur, où l'infection va préférentiellement se développer. Malgré leur résistance, un certain nombre de cellules tumorales vont être tuées par le virus. Il s'agit d'un premier bénéfice, direct.
S'y ajoute un bénéfice immunologique, puisque la lyse cellulaire provoque une diffusion d'antigènes tumoraux, et de signaux de dangers, inducteurs d'immunité.
Ces deux mécanismes naturels peuvent être complétés par un dernier mécanisme, puisque dans les virus oncolytiques utilisés aujourd'hui, on peut rajouter un ou plusieurs transgènes, produisant localement des protéines thérapeutiques dans la tumeur.
Depuis quand les virus sont-ils envisagés comme un traitement du cancer, et évalués cliniquement ?
Jean-François Fonteneau : L'idée est ancienne, puisque tout au long du XXème siècle, des cas ont été rapportés de patients atteints de cancer, et entrant en rémission totale ou partielle après une infection virale.
Les premiers essais ont été menés à la fin des années 90, avec des virus non modifiés. Clairement, on ne disposait pas encore des capacités de biologie moléculaire nécessaires à ces recherches.
Au début des années 2000, une seconde génération de virus oncolytiques a été développée, porteurs d'un transgène. Il s'agissait alors surtout du transgène codant le GM-CSF, cytokine activatrice des cellules présentatrices d'antigènes.
Nombre d'essais cliniques ont été entrepris, et certains menés jusqu'en phase III.
Le T-vec, un HSV modifié, portant le transgène du GM-CSF, développé par Amgen, a ainsi été approuvé contre le mélanome métastatique en 2015 aux Etats-Unis, et en 2016 en Europe.
Le développement commercial n'est toutefois pas qu'une question d'efficacité mais aussi de supériorité par rapport à un comparateur. Et il se trouve que les immunothérapies comme les anti-PD1 autorisées peu avant le T-vec, se sont révélées plus efficaces. Le virus a donc été peu utilisé.
Il reste que l'efficacité de l'approche est aujourd'hui démontrée et que les travaux se multiplient, avec des résultats.
Y-a-t-il des virus oncolytiques déjà autorisés et commercialisés ?
Jean-François Fonteneau : Le Japon vient d'autoriser contre le glioblastome G47D, un virus HSV porteur d'une triple délétion de gènes viraux. Sont inactivés : le gène ICP6 codant une enzyme nécessaire à la synthèse d'ADN ; le gène ICP47 codant un facteur inhibiteur du CMH de classe I et donc de la présentation d'antigène et le gène ICP34.5 codant un facteur de neurovirulence, qui permet au virus d'infecter les neurones sains. Sans ces trois gènes, le virus ne peut se répliquer que dans les cellules tumorales, et n'inhibe pas la présentation d'antigènes de tumeur.
L'étude qui a conduit à cette autorisation est une phase II, menée chez 19 patients. Elle montre une médiane de survie de 20 mois, contre 5 mois dans les études de référence combinant chirurgie et radiothérapie.[1]Les autorités japonaises ont estimé qu'il n'aurait pas été éthique de traiter un groupe contrôle par ce traitement de référence dans le cadre d'une phase III.
Quelles sont les perspectives ?
Jean-François Fonteneau : Les virus oncolytiques suscitent aujourd'hui de nombreuses recherches. Une quinzaine de virus sont étudiés, et certains évalués cliniquement, contre différents cancers.
Au CRCI2NA, nous étudions ainsi in vitro sur des biopsies de patients, et in vivo, chez la souris, un virus atténué de la rougeole, en collaboration avec le Pr Frédéric Tangy (Institut Pasteur – Paris).
La société Transgène, à Strasbourg, développe un virus de la vaccine portant un transgène (FCU1) codant l'enzyme transformant une prodrogue peu toxique, le 5FC, en une drogue toxique, le 5FU, directement dans la tumeur.
Ce virus fait l'objet d'une phase II dans le cancer du côlon.
Actuellement, les principales questions portent sur le ou les transgènes à intégrer au génome viral pour renforcer l'effet antitumoral de l'infection.
Certains virus oncolytiques portent des transgènes codant des antigènes tumoraux, d'autres des transgènes codants des chimiokines, recrutant localement des cellules immunitaires.
On note que de nouvelles stratégies thérapeutiques sont élaborées, associant les virus oncolytiques aux immunothérapies anti-PD1.
Les anti-PD1 constituent une révolution en cancérologie, mais leur efficacité reste limitée aux tumeurs infiltrées par des lymphocytes T CD8. La réplication virale permet de recruter des lymphocytes T CD8 dans la tumeur même, pour provoquer, ou amplifier cette infiltration et renforcer l'efficacité de l'immunothérapie anti-PD1 dans les tumeurs non-infiltrées.
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Citer cet article: Virus oncolytiques : un outil émergeant en cancérologie - Medscape - 10 oct 2022.
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