Rétinopathie diabétique : agir en amont de la neurodégénérescence rétinienne

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

10 octobre 2022

Stockholm, Suède __ Les facteurs de risque de rétinopathie diabétique sont associés à des changements neurodégénératifs rétiniens précoces : l’étude de Maastricht[1] confirme ainsi l’existence d’une fenêtre d’opportunité très en amont des conséquences délétères sur la vision. Mais au-delà de la prévention de la dégénérescence rétinienne, les études présentées à l’EASD 2022 nous en apprennent plus sur les mécanismes intrinsèques.

Si les déterminants de la neurodégénérescence rétinienne, qui précède la rétinopathie diabétique, sont connus (alimentation, alcool, tabagisme, hypertension artérielle, cholestérol notamment), des chercheurs confirment qu’une prévention précoce de la rétinopathie diabétique serait possible chez les personnes à risque de diabète de type 2, en particulier les personnes prédiabétiques ou en situation d’obésité.

Avec cet objectif en tête, les chercheurs ont étudié les associations de facteurs de risque de rétinopathie diabétique avec les changements neurodégénératifs rétiniens, en utilisant des données de la cohorte Maastricht (5 666 participants, 50,5 % d’hommes ; âge moyen 59,7 ± 8,7 ans ; 22,6 % atteints de diabète de type 2).

« Nous avons observé que la plupart des facteurs de risque de rétinopathie diabétique étaient indépendamment associés à des changements neurodégénératifs rétiniens, résumait le Pr Frans van der Heide de l’université de Maastricht (Pays-Bas). Par conséquent, la prévention précoce des facteurs de risque de rétinopathie diabétique, chez les personnes atteintes de prédiabète ou d’obésité, peut contribuer à la prévention de la rétinopathie diabétique. »

Dans le détail, après ajustement complet, une hémoglobine glyquée HbA1c plus élevée et un score d’alimentation saine plus faible étaient associés à la fois à une sensibilité rétinienne plus faible et à une épaisseur moindre de la couche des fibres nerveuses rétiniennes.

Par ailleurs, une consommation d’alcool élevée (en comparaison à une consommation qualifiée de légère) était associée à une épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes moins importante, mais pas à une sensibilité rétinienne.

Le tabagisme actif par rapport au fait de n’avoir jamais fumé était associé à une sensibilité rétinienne réduite.

Chez les personnes atteintes de diabète de type 2, mais pas chez celles qui en sont exemptes, une pression artérielle systolique ambulatoire plus élevée sur 24 heures était associée à une sensibilité rétinienne ainsi qu’à une épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes plus faibles.

Enfin, un taux de cholestérol total plus élevé était associé à une plus grande sensibilité rétinienne et à une épaisseur plus importante de la couche des fibres nerveuses rétiniennes (cette dernière uniquement chez les personnes diabétiques de type 2).

Le sexe n’intervenait en rien dans toutes ces constatations.

 
« La prévention précoce des facteurs de risque de rétinopathie diabétique, chez les personnes atteintes de prédiabète ou d’obésité, peut contribuer à la prévention de la rétinopathie diabétique » Pr Frans van der Heide
 

Freiner aussi la neurodégénérescence cornéenne

Toujours fondée sur la cohorte de Maastricht, une seconde analyse menée par une équipe de chercheurs du département de médecine interne au Centre médical universitaire de Maastricht a montré que le prédiabète et le diabète et une glycémie plus élevée sont continuellement associés à la neurodégénérescence cornéenne (3 471 participants d’âge moyen 59,4 ans, 48,4 % d’hommes, 14,7 % atteints de prédiabète et 21 % atteints de diabète de type 2)[2].

Lors de la neuropathie diabétique, les changements morphologiques précoces des petites fibres nerveuses dans la cornée sont visibles par microscopie confocale cornéenne.

L’objectif ici était d’évaluer une potentielle association entre l’état du métabolisme du glucose et les différentes mesures continues de la glycémie avec des mesures des fibres nerveuses cornéennes. Il s’agit d’ailleurs de la première étude observationnelle à pointer le fait qu’un métabolisme du glucose plus défavorable et des niveaux de glycémie plus élevés sont associés de manière linéaire et indépendante à la neurodégénérescence cornéenne.

D’après les auteurs, la neurodégénérescence cornéenne associée à la glycémie constitue un processus continu qui commence déjà avant l’apparition du diabète de type 2. La suite logique des recherches sera de déterminer si une réduction précoce de l’hyperglycémie peut prévenir cette neurodégénérescence cornéenne.

 
« La suite logique des recherches sera de déterminer si une réduction précoce de l’hyperglycémie peut prévenir cette neurodégénérescence cornéenne.»
 

Un lien ténu entre rétinopathie diabétique et albuminurie

L’équipe menée par le Dr TineWillum Hansen du Steno Diabetes Center Copenhagen (Herlev, Danemark)[3] s’est intéressée de son côté à l’association entre la rétinopathie diabétique et le développement d’une albuminurie (rapport albumine-créatinine urinaire > 30 mg/g sur ≥ 2 échantillons d’urine sur 3), d’une fonction rénale altérée (DFGe <60 ml/min/1,73 m2) et d’événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, intervention coronarienne et hospitalisation pour insuffisance cardiaque) chez les personnes atteintes de diabète de type 2 normoalbuminuriques.

Ceci en réalisant une analyse post-hoc de l’étude prospective observationnelle PRIORITY (1756 diabétiques de type 2 normoalbuminuriques suivis pendant trois ans).

« Selon nos calculs, a expliqué Tine Willum Hansen à l’EASD 2022, il apparaît que les diabétiques de type 2 normoalbuminuriques avec une rétinopathie ont un risque plus élevé de développer une albuminurie, mais pas d’altération de la fonction rénale. De plus, ils présentaient un risque nettement plus élevé de maladie cardiovasculaire au cours du suivi de 3 ans, par rapport aux personnes indemnes de rétinopathie. »

Au départ, 287 (16,3 %) présentaient une rétinopathie. Comparativement aux personnes sans rétinopathie, elles étaient plus âgées (moyenne 62,7±7,7 contre 61,4±8,3 ans, p=0,019), avaient une durée de diabète plus longue (17,9±8,4 contre 10,6±7,0 ans, p<0,001) et une HbA1c plus élevée (62±13 contre 56±12 mmol/mol, p<0,001). Les rapports de risque ajustés de la rétinopathie au départ pour le développement de l’albuminurie (n = 197), de la maladie rénale chronique (n = 166) et des événements cardiovasculaires (n = 64) étaient : 1,54 (IC à 95 % : 1,06, 1,73), 0,89 (IC à 95 % : 0,57, 1,38) et 2,56 (IC à 95 % : 1,40, 4,66), par rapport aux personnes sans rétinopathie.

 
« Il apparaît que les diabétiques de type 2 normoalbuminuriques avec une rétinopathie ont un risque plus élevé de développer une albuminurie, mais pas d’altération de la fonction rénale » Tine Willum Hansen
 

L’unité neurovasculaire, une cible thérapeutique émergente

Une autre étude sur la transcriptomique concernant la rétinopathie diabétique [4], réalisée cette fois-ci chez la souris, révèle que la neuromodulation rétinienne est le principal mécanisme sous-jacent de l’effet neuroprotecteur de la sitagliptine dans la rétine diabétique.

Afin de comprendre l’intérêt de cette découverte, il faut savoir que ce que l’on appelle unité neurovasculaire (NVU) est un couplage fonctionnel entre les neurones, les cellules gliales et les vaisseaux sanguins. Cette unité neurovasculaire adapte le flux vasculaire à l’activité métabolique. Son altération (dont les mécanismes sous-jacents sont la réduction de l’expression des protéines synaptiques, les altérations de la neurotransmission, de la morphologie neuronale) constitue un événement précoce dans la pathogenèse de la rétinopathie diabétique, qui participe à la neurodégénérescence et à l’altération microvasculaire précoce.

Pour cette raison, l’unité neurovasculaire devient une cible thérapeutique émergente dans la prévention de la rétinopathie diabétique. L’équipe espagnole qui présentait ces données à l’EASD 2022, de l’unité Diabetes and Metabolism Research au Vall d’Hebron Research (Barcelone, Espagne) avait déjà rapporté que l’administration topique (collyre) de sitagliptine (inhibiteur de la dipeptidyl peptidase-4), prévenait la neurodégénérescence rétinienne induite par le diabète chez les souris db/db (un modèle expérimental de rétinopathie diabétique).

L’objectif cette fois-ci était d’explorer davantage les mécanismes impliqués dans les effets bénéfiques de la DPP-4i sur la neurodégénérescence rétinienne induite par le diabète, ceci en comparant par analyse transcriptomique les profils d’expression rétinienne de l’ARNm chez des souris db/db par comparaison à des souris db/db traitées à la sitagliptine.

« Nous avons constaté que la sitagliptine exerçait des effets neuroprotecteurs sur la rétine des souris db/db en inhibant la régulation à la baisse de protéines présynaptiques clés induites par le diabète, a commenté le Dr Hugo Ramos du Val d’Hebron, mais nous avons remarqué que cet effet n’était pas lié à l’amélioration du contrôle métabolique.

L’administration topique de sitagliptine inhibe cette régulation négative induite par le diabète et améliore la fonctionnalité des rétines diabétiques, sans aucun effet sur la glycémie. Cette découverte ouvre une nouvelle piste stratégique pour traiter non seulement la rétinopathie diabétique, mais aussi d’autres maladies rétiniennes dans lesquelles les anomalies synaptiques et, de ce fait la neurodégénérescence, jouent un rôle crucial ».

 
« L’administration topique de sitagliptine inhibe cette régulation négative induite par le diabète et améliore la fonctionnalité des rétines diabétiques, sans aucun effet sur la glycémie » Dr Hugo Ramos
 

 

Liens d’intérêt :

Frans van der Heide déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec cette présentation.
Hugo Ramos déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec cette présentation.
Tine Willum Hansen déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec cette présentation
S.B.A. Mokhtar déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec cette présentation.

 

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