Fabriquer une chimiothérapie à partir d’une levure : un procédé pour éviter les pénuries ?

Sarah Amandolare

Auteurs et déclarations

5 octobre 2022

Copenhague, Danemark — Des scientifiques ont génétiquement modifié un processus de fermentation de la levure non pas pour fabriquer de la bière mais pour produire une chimiothérapie complexe, la vinblastine. Cette recherche ouvre la voie à la production de nombreux composés pharmaceutiques souvent difficiles à fabriquer à partir de plantes.

La vinblastine fait partie d’une famille de plus de 3 000 molécules produites par les plantes appelées alcaloïdes indoliques-monoterpéniques (AIM) dont certains sont des médicaments approuvés par l’agence du médicament américaines (FDA).

Chaque alcaloïde indolique-monoterpénique provient d’une plante différente, dont certaines sont rares ou sont menacées d’extinction par la surexploitation, d’après le Dr Jay Keasling (Université Technique du Danemark), co-auteur de l’étude.

« La conception d’une levure en vue de fabriquer ces molécules permettrait leur production et leur fermentation sur un seul site, plutôt que de devoir cultiver ces plantes ou de les récolter dans la nature », explique-t-il avant de préciser : « si vous donnez du sucre à la levure, elle produit de la bière et du vin. Dans ce cas précis, nous avons remplacé la voie de l’éthanol par des méthodes permettant de produire des principes actifs essentiels ».

 
« La conception d’une levure en vue de fabriquer ces molécules permettrait leur production et leur fermentation sur un seul site, plutôt que de devoir cultiver ces plantes ou de les récolter dans la nature. »
 

Commencer par le plus dur

L’équipe internationale de chercheurs, dirigée par l’Université Technique du Danemark (Kongens Lyngby, Copenhague), voulait prouver qu’elle pouvait synthétiquement fabriquer toutes sortes d’AIM, elle a donc commencé par le plus complexe qu’elle puisse connaître : la vinblastine.

Jusqu’à présent, la vinblastine ne pouvait être produite qu’à partir de deux principes actifs, la vindoline et la catharanthine, récoltés dans les feuilles de la pervenche de Madagascar. À noter qu’il faut environ 2 000 kg de feuilles séchées pour produire un seul gramme de vinblastine. Les retards d’approvisionnement ont entraîné une pénurie internationale de ce médicament entre 2019 et 2021.

Bien que les chercheurs n’aient pas pu produire la vinblastine directement dans la levure, ils ont réussi à la modifier génétiquement pour qu’elle produise de la vindoline et de la catharanthine. Ces composés ont ensuite été purifiés et couplés chimiquement pour former la vinblastine.

Sept ans pour y parvenir

Le processus a impliqué de reproduire une séquence des réactions biochimiques d’une cellule végétale dans une cellule de levure.

Selon les chercheurs, la reconstitution de la chaîne métabolique de la vinblastine a nécessité 56 modifications génétiques. Les réactions biochimiques qui se produisent à chaque étape de la chaîne métabolique nécessitent des enzymes, les chercheurs ont donc dû s’assurer qu’elles étaient produites en quantité adéquate.

« On ne peut pas avoir une étape qui fonctionne beaucoup mieux que toutes les autres, ou une étape qui ne fonctionne pas du tout », a déclaré le Dr Keasling avant d’ajouter : « c’est comme de devoir faire jouer un orchestre au diapason, car toutes les étapes doivent fonctionner ensemble afin d’arriver au produit final ».

Les enzymes dépendent également d’autres facteurs, tels que les vitamines et les minéraux, qui ont par ailleurs dû être apportés.

Les chercheurs n’ont produit qu’une très petite quantité de vinblastine, mais cette technique ouvre la voie à la production de nombreux autres médicaments.

« La molécule que nous avons choisie est en quelque sorte le Saint Graal. C’est une grosse molécule, vraiment difficile à produire d’une autre manière », a souligné le Dr Keasling. « Et donc, si nous pouvons fabriquer cette molécule, cela signifie que les autres sont certainement réalisables ».

 
« Si nous pouvons fabriquer cette molécule, cela signifie que les autres sont certainement réalisables. »
 

Financements et liens d’intérêts
Cette étude a été financée par l’Institut national de la Santé, le Conseil européen de la recherche, le Wellcome Trust, l’Open Philanthropy/Silicon Valley Community Foundation, la Weston Havens Foundation et le Center for Trophoblast Research.

 

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Yeast-Fermented Chemotherapy: If We Can Brew This Drug, We Can Brew Anything. Adapté par Mona El-Guechati

 

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