Villejuif, France – A 55 ans, le Pr Karim Fizazi est l'un des 1000 scientifiques les plus cités au monde, ses travaux ont bouleversé la prise en charge du cancer de la prostate. Il a reçu l'ESMO Award à l'occasion du congrès de l’ESMO 2022. Médecin et chercheur à Gustave Roussy, le Pr Fizazi a dirigé pendant plusieurs années le Comité Génito-urinaire de l’Institut, puis le Département de cancérologie médicale et pris la tête du pôle "Réseau académique international" en septembre 2021. Il est l’auteur de plus de 450 articles scientifiques publiés dans des revues internationales. Il a également mis en place le « Prostate Cancer Consortium in Europe » (PEACE) et dirigé les deux premiers grands essais européens de phase III, PEACE 1 et PEACE 2.
Lors de la remise des prix, le vendredi 9 septembre dernier, il a choisi de s'adresser aux plus jeunes. Et c'est justement à ses premières années d'oncologue et leur lot de défis professionnels et personnels que Medscape édition française a décidé de s'intéresser.
« J'ai adressé ma présentation aux médecins âgés de 30 ou 40 ans avec l'envie de leur dire comment j'étais avant d'avoir la reconnaissance professionnelle d'aujourd'hui », explique l'oncologue médical de l'Institut Gustave Roussy qui enseigne aussi aux plus jeunes depuis qu'il a été nommé Professeur en oncologie à l’Université Paris-Saclay en 2009. « Il me semblait important d'être transparent sur ce qui nous a aidé, quelles opportunités sont à prendre et quels pièges sont à éviter ».
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Plonger dans l'univers de l'ESMO
Dès l'externat, Karim Fizazi se forge deux certitudes : il s'orientera vers une spécialité médicale et il choisira une spécialité variée et couvrant des maladies graves. « J'ai choisi d'être médecin avant d'être cancérologue mais j'ai trouvé dans la cancérologie une diversité comme dans aucune autre spécialité », explique-t-il. Avant de rappeler « qu'à l'IGR, on a tendance à se spécialiser dans un second temps pour devenir expert mais que la plupart des oncologues médicaux ont une activité généraliste ». Découvert lors de son internat, dont les résultats au concours feront déménager le natif de Poitiers à Paris, l'IGR est l'hôpital où il a fait toute sa carrière, hormis un passage au MD Anderson Cancer Center de Houston dans le cadre de sa thèse de science en 1999-2001.
Il tient à souligner le tournant professionnel qu'a constitué sa première participation, imprévue, au congrès de l'ESMO au milieu des années 1990. « C'était un véritable coup de chance. Mon chef de service est venu me voir en salle pour me proposer la rédaction de brèves à la demande du congrès. Le congrès commençait trois jours après ! », se souvient-il. Une de ces fameuses opportunités qu'il faut savoir saisir. « La plongée dans cet univers international avec des présentations d'un très haut niveau m'a convaincu que j'avais choisi la bonne voie : l'oncologie médicale ».
Un couple de médecins
Tout paraît si fluide aujourd'hui dans la façon dont le Pr Fizazi égrène les années de sa carrière hospitalo-universitaire exemplaire. Attention, l'oncologue ne nie pas les difficultés auxquelles il a dû faire face, surtout pendant les années où la famille se construit en même temps que la carrière. « Pendant l'internat, vous n'appartenez pas à une structure. Mais après, alors que vous commencez à avoir des enfants ou que vos enfants sont en bas âge, votre institution vous demande de développer en plus d'un soin de qualité, des activités de recherche, d’enseignement et de management. Cela peut conduire à des horaires délirants », précise Karim Fizazi qui se dit être un manager particulièrement vigilant à rappeler à ses jeunes collègues la nécessité de se ménager du temps non professionnel. « C'est un métier très dur et, même si on est solides, il faut savoir se protéger du risque de burn-out ».
Pour traverser ces années de tourbillon, il reconnaît la chance de partager sa vie avec une épouse médecin. « Elle connaît l'énergie physique et intellectuelle qu'exige le soin ». Alors parents de trois jeunes enfants, aujourd'hui adultes, sa femme et lui avaient une organisation bien rodée. « Psychiatre en libéral, elle faisait beaucoup la semaine et moi je prenais le relai – courses et enfants – le week-end », explique-t-il, détestant le schéma encore trop fréquent des hommes accaparés par leur carrière professionnelle au détriment de celle de leur partenaire. Et dans la maison, une règle, qu'il juge fondamentale, s'impose vite : « ne pas se raconter nos histoires affreuses de la journée afin de laisser de la place pour d’autres sujets ».
Des traitements qui changent la donne
C'est « au milieu de la trentaine », à son retour des Etats-Unis, qu'il se spécialise dans les cancers génito-urinaires et y consacre son activité de recherche. Il devient alors prolifique dans une spécialité où les options thérapeutiques évoluent quasiment année après année.
Karim Fizazi est à la tête d’études majeures en oncologie : rôle du denosumab dans la prévention des complications des métastases osseuses du cancer de la prostate, impact d’une chimiothérapie associée au traitement de référence sur la survie sans rechute chez des patients atteints d’un cancer de la prostate localisé et à haut risque (étude GETUG 12), nouveau standard de traitement pour les jeunes patients atteints d’un cancer grave du testicule (étude GETUG 13).
L'exemple, non-exhaustif, de l'abiratérone reflète bien la contribution majeure du récipiendaire de l'ESMO Award aux évolutions des traitements des patients atteints d'un cancer de la prostate. L'essai LATITUDE (2017), qu'il a piloté, conclut qu'associée à l’hormonothérapie traditionnelle, l'abiratérone permet de réduire de 40 % les risques de décès et double le délai de survie sans progression du cancer. Et présentée par Karim Fizazi l'année dernière au congrès de l'ESMO, l’étude européenne de phase 3 PEACE-1, montre que l’association hormonothérapie + docetaxel + abiraterone améliore encore plus la survie chez les patients avec un cancer de la prostate métastatique d’emblée. Comparativement à l’utilisation de deux médicaments seulement, la trithérapie permet de réduire le risque de décès de 25%.
Autre évolution porteuse d'espoir pour les hommes touchés par un cancer de la prostate métastatique qui ne répond plus à l'hormonothérapie standard : l'utilisation du darolutamide, un inhibiteur du récepteur des androgènes, permet de réduire le risque de décès de 30%, d'après les résultats de l'étude ARAMIS , présentée en 2019, dont il est là-encore l'investigateur principal.
Et demain ?
Pour Karim Fizazi, prédire où en sera la cancérologie à long terme est trop périlleux. Mais à cinq ans, il imagine un avènement de la pathomics. Le principe ? Pour faire simple, il s'agit de s'aider d'un algorithme d’une intelligence artificielle (IA) pour mieux soigner les patients car l'œil humain ne fait pas forcément de différence entre deux lames (d’anatomopathologie) qui montrent apparemment la même maladie. Il s'agit de présenter à un ordinateur des dizaines de milliers de clichés de lames de biopsies pour lesquelles on sait ce qu'il est advenu des patients. L'ordinateur deviendra capable de séparer des sous-groupes de patients et ainsi de prédire le pronostic et la sensibilité de tel ou tel sous-groupe au traitement (entrainement).
« Par exemple, on peut demander à la machine de nous fournir un algorithme qui réponde à la question : « dis-moi qui va rechuter parmi les patients avec un cancer de la prostate localisé à haut risque de rechute ? » A chaque question, vous allez refaire ce gros travail d'amont de machine learning à partir de milliers de scanners de lame », explique le Pr Fizazi. Autre exemple : l'intérêt d'administrer une hormonothérapie dans le cancer de la prostate chez ces patients atteints de formes en apparence localisées mais à risque de rechute. La machine semble de plus en plus capable de prédire quelles sont les tumeurs qui bénéficient d’une hormonothérapie et donc de ne traiter seulement ceux-là sans surtraiter les autres de manière inutile.
« Le travail est en cours et on n'est pas loin d'obtenir des algorithmes. Une fois qu'on les aura, on pourra les utiliser partout sur la planète à moindre coût » observe avec enthousiasme le Pr Fizazi, qui lâche « ce serait un formidable outil de justice sociale en médecine ». De quoi satisfaire à la fois le médecin et le citoyen. Car l'injustice sociale le fait enrager depuis « tout gamin ». « J'ai eu la chance de voyager dans de nombreux pays, et j'adore ça, mais que voulez-vous, voir des enfants dans la grande pauvreté à côté de grandes richesses me retourne toujours autant les tripes ».
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Citer cet article: Karim Fizazi récompensé à l’ESMO 2022 pour sa contribution exceptionnelle à la recherche sur le cancer de la prostate - Medscape - 5 oct 2022.
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