Les professionnels de santé grossophobes ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

4 octobre 2022

Paris, France — La stigmatisation et la discrimination liées au poids, dite « grossophobie », est fréquente, peut avoir des conséquences sur la santé des victimes et émane souvent des professionnels de santé eux-mêmes, selon une enquête réalisée par WeightWatchers en collaboration avec le Dr. Rebecca Puhl (Directrice adjointe du Rudd Center for Food Policy & Obesity et professeure du Département du développement humain et des sciences de la famille de l’Université du Connecticut)[1,2].

L’étude menée en Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis montre que parmi près de 14 000 adultes participants, plus de la moitié (55,6 à 61,3 %) ont déclaré avoir été victimes de discrimination à cause de leur poids.

En France, les expériences de grossophobie étaient les plus fréquentes pendant l'enfance et l'adolescence, la détresse associée étant plus élevée pendant ces périodes.

Famille, camarades de classe, médecins…

L’enquête indique qu’au cours des 12 derniers mois, un pourcentage élevé de participants français ont été victimes de grossophobie de la part de membres de leur famille (76%), de camarades de classe (73,2%), de collègues de travail (54,1%), d'amis (48,8%) mais aussi de professionnels de santé (63,5%). Un taux de grossophobie de la part des soignants qui est encore plus important aux Etats-Unis (69,7%) ou encore en Allemagne (73,5%)

Dans l’étude, les participants ont indiqué être plus souvent jugés par les médecins en raison de leurs poids, avoir vécu des expériences de soins de santé de moins bonne qualité et déclarer que leurs médecins les écoutaient moins attentivement et respectaient moins souvent ce qu’ils avaient à dire, indique le communiqué de WeightWatchers.

« Par manque de connaissance ou par maladresse, il existe encore parfois des discours très restrictifs et jugeants de certains soignants qui restent dans les interdits alimentaires et les injonctions à maigrir », commente la Dr Vanessa Folope, Médecin endocrinologue nutritionniste spécialiste de l'obésité et des troubles du comportement alimentaire (TCA).

 « Comment voulez-vous que je vois quelque chose à l’écho? Faut arrêter de bouffer ! », « Attention! Vous allez me casser ma table d’examen! », voici quelques-uns de propos auxquels peuvent être confrontés les patients, relayait récemment la spécialiste dans une présentation.

« Tout ceci alimente la faible estime de soi des personnes qui ne parviennent pas à perdre du poids. Les soignants doivent porter le message que l’obésité est plurifactorielle et n’est pas un choix de vie », explique-t-elle. L’obésité est une maladie chronique évolutive qui résulte de plusieurs causes : troubles des conduites alimentaires, sédentarité, causes biologiques et génétiques (+ de 1200 gènes impliqués), facteurs psychologiques ou encore causes environnementales.

La spécialiste ajoute qu’il peut s’avérer difficile pour les prestataires de santé de parler du poids en consultation, principalement par manque de temps (15 minutes par consultation maximum) mais aussi par crainte de vexer leurs patients. L’experte ajoute que l’absence d’outils ou de réseau d’adressage constitue également un frein à la discussion, les consultations chez les diététiciens ou psychologues n’étant pas prises en charge, par exemple.

Des conséquences sur la santé physique et psychique

Après prise en compte des données démographiques, de l'IMC et de la stigmatisation vécue, les participants ayant un poids plus élevé que la moyenne ont déclaré dans l’enquête passer moins souvent des examens médicaux réguliers, éviter davantage les soins de santé parce qu’ils se sentaient mal à l’aise à l’idée que leur corps soit examiné.

« Sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie, l’apparence physique est fortement valorisée, et cela renforce le sentiment de culpabilité et de honte qui s’accompagne parfois d’un renoncement aux soins ou de retard de prise en charge chez les personnes souffrant d’obésité », confirme la Dr Folope.

Aussi, être victime de grossophobie constitue un obstacle à une alimentation saine et une activité physique régulière[3].

A contrario, les recherches montrent qu’un schéma corporel positif peut améliorer la perte de poids[4].

« Changer ensemble les attitudes à l’égard de l’obésité est un défi éthique dans les soins aux patients que nous devons relever », conclut l’endocrinologue française.

Former les professionnels de santé
Depuis 2015, la Dr Folope a développé une formation dédiée aux soignants au CHU de Rouen. L’objectif : changer le regard sur l’obésité en abordant avec eux leur vision de l’obésité mais aussi en leur faisant revêtir une combinaison qui simule un corps de 200 kilos et les confronte à des situations de la vie quotidienne des patients obèses (essayer des chaussures…).En pratique, la formation a aussi pour but d’apprendre les bons gestes techniques pour manipuler les patients.

 

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