Nouvelles recommandations européennes sur l’évaluation cardiovasculaire avant chirurgie non cardiaque

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

4 octobre 2022

Barcelone, Espagne — Les nouvelles recommandations européennes sur l’évaluation cardiovasculaire avant une chirurgie non cardiaque ont été présentées lors du congrès de la Société européenne de cardiologie (ESC 2022) [1]. Pour la première fois, les experts introduisent un âge seuil de 65 ans, à partir duquel des examens complémentaires sont à réaliser avant une opération à haut risque ou à risque intermédiaire pour réduire le risque de complications cardio-vasculaires. La gestion des traitements antithrombotiques y est également largement détaillée.

Publiées dans l’European Heart Journal, ces nouvelles recommandations viennent actualiser la version précédente de 2014 [2]. Elles apportent des indications sur la prise en charge avant, pendant et après une chirurgie non cardiaque, en présence ou non d’une cardiopathie, dans l’objectif de prévenir le risque de complications cardiovasculaires associé à l’intervention.

Place accrue des biomarqueurs

« Par rapport aux précédentes recommandations, la principale nouveauté se trouve dans la stratification du risque. En plus du seuil des 65 ans, qui devient un critère dans cette stratification, on peut noter une place accrue des biomarqueurs, notamment pour avoir des valeurs de référence avant l’opération », a commenté auprès de Medscape édition française, le Pr Bernard Iung (hôpital Bichat-Claude Bernard, AP-HP, Paris), qui a participé à la relecture du document.

Le risque de la chirurgie non cardiaque reste classé en trois groupes, selon le risque de complications cardiovasculaires. On distingue les opérations à faible risque (< 1 %) (chirurgie mammaire, thyroïdienne, ophtalmologique…), à risque intermédiaire (de 1 à 5 %) (angioplastie périphérique, neurologique et orthopédique majeure, transplantation rénale…) et à haut risque (> 5 %) (aortique, vasculaire des membres inférieurs, résection hépatique, perforation intestinale…).

Par rapport aux précédentes recommandations, la principale nouveauté se trouve dans la stratification du risque   Pr Bernard Iung.
 

Chez les patients âgés de 45 à 65 ans sans facteur de risque cardiovasculaire, les recommandations indiquent qu’un examen par électrocardiogramme (ECG) et un dosage de la troponine doivent être envisagés avant une chirurgie à haut risque (Classe IIa). Pour les interventions moins risquées, des examens sont conseillés avant l’opération uniquement chez les patients ayant des antécédents familiaux de cardiomyopathie d’origine génétique (Classe I).

Au-delà de 65 ans et sans facteur de risque, l’ECG et les biomarqueurs (troponine et peptides natriurétiques) sont recommandés avant une chirurgie à haut risque ou à risque intermédiaire (Classe I), en complétant avec une évaluation de la capacité fonctionnelle du patient (capacité à effectuer un effort d‘au moins 4 METS, soit la montée de deux étages) (Classe IIa).

Pour les patients avec une maladie cardiovasculaire ou des facteurs de risque cardio-vasculaire, les recommandations valorisent davantage le dosage de la troponine avant une chirurgie à haut risque ou à risque intermédiaire, qu’importe l’âge (Classe I). Le dosage est à répéter à 24 heures, puis à 48 heures après l’opération. Le dosage des BNP est à considérer (Classe IIa).

Échographie en cas de symptômes suspects

En cas de souffle à l’auscultation ou de symptômes évoquant une cardiopathie, comme une dyspnée inexpliquée ou des douleurs thoraciques suspectes, les recommandations préconisent désormais un examen par échocardiographie avant opération (Classe I). En présence uniquement d’un souffle, l’examen doit être réalisé lorsque la chirurgie est à haut risque (Classe I) et considéré pour un niveau de risque plus faible (Classe IIa).

Pour la première fois, l’arrêt du tabac est mentionné dans les stratégies de réduction des risques avant chirurgie. Les patients sont ainsi invités à arrêter de fumer au moins quatre semaines avant l’opération (Classe I).

Par ailleurs, il est recommandé d’optimiser le traitement administré en prévention du risque cardiovasculaire chez les patients avec une maladie cardio-vasculaire ou présentant un ou plusieurs facteurs de risque (Classe I). L’introduction de bêta-bloquant est déconseillée (Classe III).

Concernant la gestion des traitements antithrombotiques en péri-opératoire, les recommandations y consacrent un chapitre. « Ce chapitre est très bien construit, avec des tableaux qui apportent des recommandations précises sur les durées d’arrêt des antithrombotiques selon le type de traitement, le risque hémorragique ou encore la fonction rénale », souligne le Pr Iung.

 
Pour la première fois, l’arrêt du tabac est mentionné dans les stratégies de réduction des risques avant chirurgie.
 

Des restrictions sur les relais d’anticoagulants

Les indications sur la gestion des anticoagulants oraux direct (AOD) étaient particulièrement attendues. « Il est maintenant affirmé de manière explicite que le traitement par AOD doit être interrompu de manière temporaire, en respectant un délai, et sans relais avec un autre anticoagulant », précise le cardiologue. Les indications de relais sont limitées aux patients sous AVK et en cas de chirurgie à haut risque thromboembolique.

« Comparativement aux précédentes, ces recommandations sont beaucoup plus restrictives en ce qui concerne le relais des traitements par anticoagulants », a confirmé la Pre Sigrun Halvorsen (Oslo University Hospital Ulleval, Oslo, Danemark), co-auteure des recommandations, au cours de sa présentation à l’ESC 2022 [1].

En cas d’intervention chirurgicale en urgence, le traitement par AOD doit être interrompu immédiatement (Classe I). A l’inverse, le traitement par AOD peut être maintenu en cas de chirurgie à risque hémorragique faible, à condition de respecter un délai minimum depuis la dernière prise (12 à 24 heures) (Classe I).

La reprise des antithrombotiques doit être adaptée en fonction du risque hémorragique de la chirurgie et des événements post-opératoires éventuels. 

Autre point important: il est conseillé d’interrompre le traitement par inhibiteurs de SGLT-2 (gliflozines) au moins trois jours avant l’intervention (Classe IIa) « afin de limiter le risque d’acidocétose », un effet secondaire encore peu pris en compte par les cardiologues, précise le Pr Iung.

« Chez les patients insuffisants cardiaques, la tendance est à l’inverse de maintenir le traitement par inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ».

 
Comparativement aux précédentes, ces recommandations sont beaucoup plus restrictives en ce qui concerne le relais des traitements par anticoagulants. Pre Sigrun Halvorsen
 

Les interventions sur cardiopathies limitées

Concernant les patients présentant une cardiopathie, « ces nouvelles recommandations n’apportent pas de bouleversements majeurs », souligne le Pr Iung. « Les interventions sur cardiopathie avant la chirurgie non cardiaque restent limitées et concernent certains patients, qui seraient dans tous les cas traités conformément aux recommandations relatives à la prise en charge de la cardiopathie ».

En cas de cardiopathie ischémique, l’évaluation pré-opératoire est à envisager pour déterminer si une revascularisation myocardique est nécessaire avant l’opération (Classe IIa). « Si une revascularisation est programmée, la chirurgie doit être repoussée d’au moins trois mois », rappelle le cardiologue. « La règle générale est tout de même d’être assez restrictif avec les revascularisations ».

Nouveauté: une échographie de stress doit être considérée avant une chirurgie à haut risque chez les patients asymptomatiques ayant déjà bénéficié d’une revascularisation et présentant une faible capacité fonctionnelle (Classe IIa).

 
Si une revascularisation est programmée, la chirurgie doit être repoussée d’au moins trois mois  Pr Iung
 

S’agissant des patients atteints d’une valvulopathie, en particulier ceux présentant un rétrécissement aortique, un algorithme spécifique est proposé pour la prise en de ces patients particulièrement à risque de complications. « Si le rétrécissement est serré et symptomatique, un traitement est à envisager avant l’opération. En cas de valvulopathie asymptomatique, la décision dépend du niveau de risque associé à la chirurgie », note le Pr Iung.

Ainsi, chez les patients asymptomatiques avec un rétrécissement aortique, un remplacement de la valve par chirurgie ou par TAVI doit être envisagé avant une opération à haut risque de complications, en s’appuyant sur l’avis d’une équipe de cardiologues (Classe IIa). Il s’agit là d’une nouvelle recommandation. Si la chirurgie non cardiaque est urgente, « on favorisera le TAVI, car la récupération est plus rapide ».

En cas de troubles du rythme et de la conduction, les traitements antiarythmiques préexistants doivent, en règle générale, être poursuivis. Chez les patients présentant des tachycardies ventriculaires soutenues monomorphes répétées malgré un traitement optimal, une ablation est recommandée avant l’opération (Classe I). Si la pose d‘un pacemaker est indiquée, elle est à envisager et le report de l’intervention chirurgicale non cardiaque doit être considéré (Classe IIa).

Pendant l’intervention chirurgicale, si une instabilité hémodynamique s’aggrave en présence d’une fibrillation auriculaire, une cardioversion en urgence est recommandée (Classe I).

Chez les patients avec une hypertension artérielle (HTA), les recommandations déconseillent désormais de reporter une opération en cas d’HTA de stade 1 (PAS de 140 à 159 mmHg et/ou PAD de 90 à 99 mmHg) ou de stade 2 (PAS 160 à 19 mmHg et/ou PAD 100-109 mmHg).

Le choix des anesthésiques à discuter

En per-opératoire, il est important d’éviter l’hypotension. Les recommandations précisent qu’il ne faut pas avoir une pression artérielle réduite de plus de 20 % par rapport à la valeur pré-opératoire ou d’avoir une pression sous les 60 à 70 mmHg pendant plus de dix minutes (Classe I).

Elles apportent notamment des indications sur le choix des anesthésiques en fonction de leur effet hypotenseur. Selon le Pr Iung, « ce choix est à discuter selon le profil des patients, la présence d’une cardiopathie et le niveau de risque de l’intervention chirurgicale. La concertation pluridisciplinaire est fondamentale en cas d’opération à haut risque et de patients à risque avec une cardiopathie avérée. »

En phase péri-opératoire, la place des biomarqueurs apparait importante dans la surveillance pour évaluer leur évolution par rapport aux valeurs de référence pré-opératoire. « En péri-opératoire, l’infarctus est souvent silencieux sur le plan clinique et le l’ECG est parfois difficile à interpréter », précise le Pr Iung.

Enfin, s’agissant de la prévention des complications post-opératoires, une surveillance doit être mise en place après une chirurgie à risque intermédiaire ou à haut risque (Classe I). « Cette surveillance s’appuie surtout sur la clinique et les biomarqueurs ».

 
En per-opératoire, il est important d’éviter l’hypotension.
 
La Pre Halvorsen a déclaré des liens d’intérêt avec BMS, Boehringer-Ingelheim, Novartis et Sanofi.

 

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