Paris, France – Dans un rapport de 150 pages, le Sénat lève le voile sur l’envers du décor de l’industrie pornographique et dénoncent les violences « systémiques » faites aux femmes – une première pour une institution publique.
Les auteures s’attaquent ici à un véritable « business » qui produit des vidéos et des films dont « 90 % des scènes montrées sont des scènes de violence non simulées » en s’affranchissant de toutes règles morales, éthiques et légales.
Les sénatrices s’inquiètent également de l’impact extrêmement délétère du visionnage de ces films sur les mineurs qui ont accès en 1 clic, sans aucun contrôle, à des contenus pornographiques violents et toxiques » avec des conséquences possibles sur leur santé (traumatismes, troubles du sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes).
Avec ce document choc, elles comptent bien « donner un coup de pied dans la fourmilière », « ouvrir les yeux » du public et des politiques et « mobiliser les pouvoirs publics » autour d’une vingtaine de recommandations – dont elles veulent faire en sorte qu’elles soient suivies d’effet, notamment sur le plan législatif.
Porno : l’enfer du décor
Issues de partis politiques différents, mais toutes membres de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, les sénatrices Annick Billion (Union centriste), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (groupe communiste républicain citoyen et écologiste) et Laurence Rossignol (groupe socialiste, écologiste et républicain) se sont « auto-saisies » — ce n’est pas une commande, a précisé l’une d’elles en conférence de presse — d’un sujet inédit pour le Sénat, mais oh combien important, à savoir les pratiques de l’industrie pornographique.
Après une véritable plongée de 6 mois dans ce monde « sordide », elles ont présenté leur travail à la presse, lequel s’appuie sur des dizaines d’heures d’auditions, dont celle à huis clos de victimes de l’affaire dite French Bukkabe, mais aussi de représentantes d’associations féministes (Osez le féminisme, Le Nid…), de réalisateurs comme Grégory Dorcel (PDG du groupe Dorcel) ou la réalisatrice Ovidie, une analyse des contenus pornographiques disponibles en ligne, le recueil de données chiffrées, etc.
De quoi donner une vision réaliste — et sans tabou — du contenu « violent, dégradant et humiliant » produit par l’industrie du porno aujourd’hui, tant il est vrai que ce travail a conduit à la « découverte d’un monde assez abject auquel nous n’étions pas toutes préparées au début de ce travail », a reconnu Annick Billion, lors de la présentation en conférence de presse.
2,3 millions de mineurs sur les sites pornos en France chaque mois
Il faut dire que, depuis les années 1970, la production de films pornographiques – « abusivement associés à la libération sexuelle » selon les sénatrices – a fortement évolué, devenant à partir du milieu des années 2000, une véritable industrie s’accompagnant d’une massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne véhiculant des contenus de plus en plus extrêmes et violents.
L’apparition des « tubes » (tels Pornhub.com et Youporn.com), grandes plateformes numériques de diffusion de milliers de vidéos pornographiques, pour la plupart d’accès libre et gratuit, sans véritable contrôle a priori des contenus diffusés, a entraîné une consommation massive et banalisée chez les mineurs comme chez les adultes, au point que le contenu porno occupe désormais un quart du trafic sur le web.
« Chaque mois, en France, 19 millions d’internautes se rendent sur des sites pornos dont 2,3 millions de mineurs, décrit Alexandra Borchio Fontimp. Et un tiers des moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques parfois involontairement à l’occasion de recherches sur Internet, de téléchargement d’un film ou d’un dessin animé ou d’une discussion sur les réseaux sociaux ».
Des chiffres alarmants et pourtant rien n’est fait. Tous les sites sont aisément accessibles en clic, sans vérification d’âge, et le principe de l’autodéclaration domine sur les réseaux sociaux.
Des contenus de plus en plus « trash »
Cette « révolution » technologique et la massification des contenus « ont contribué à l’apparition de contenus de plus en plus « trash » et violents, à la mise en ligne de vidéos souvent piratées, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits. « Si bien que cette diffusion massive d’images et vidéos pornographiques gratuites et libres d’accès a permis de façonner un nouveau modèle économique et commercial dans lequel les violences systémiques à l’encontre des femmes sont devenues la norme », peut-on lire dans le rapport.
En conférence de presse, les sénatrices ont confirmé l’existence de vidéos de plus en plus « violentes, extrêmes et dégradantes ». Laurence Cohen n’hésitant pas à parler d’une industrie où la violence est poussée à son paroxysme. Et ce d’autant que les experts interrogés ont expliqué qu’« en cas d’accoutumance au porno, les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents (« gonzo » selon le terme employé pour décrire un genre de porno ultra-violent) » — une demande alimentée par les producteurs de vidéos et de films pour continuer à être attractifs dans une industrie devenue « plus une affaire d’argent que de sexe ».
Une porosité avec le milieu de la prostitution
Dans cette industrie décrite comme une « machine à broyer les femmes », les actrices sont les principales victimes. Les travaux de la délégation ainsi que les récentes recherches et enquêtes sur le milieu de la pornographie ont mis en évidence le caractère « systémique et massif des violences » perpétrées envers elles dans ce milieu, sachant qu’il s’agit très souvent de jeunes femmes, voire très jeunes, la plupart du temps dans des situations de précarité et de vulnérabilité économiques et psychologiques extrêmes.
« Elles sont traquées, et mises sous emprise pour qu’elles acceptent l’inacceptable », décrit Laurence Cohen. Leur recrutement présente d’ailleurs des « similitudes marquantes et sordides avec les pratiques du milieu du proxénétisme, et de la prostitution avec un viol initial pour « casser [les filles] et profiter de leur vulnérabilité », décrit-elle. Les actrices se retrouvent alors à faire des actes qu’elles ne souhaitaient pas faire et dont elles n’étaient même pas informées. Et si, par la suite, elles demandent ensuite le retrait d’une vidéo – qui s’avère de toute façon quasi impossible une fois en ligne et dupliquées –, les producteurs leur réclament généralement dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée, empêchant ainsi les femmes filmées d’exercer leur « droit à l’oubli ».
Au vu de ces constats et de l’omerta qui entoure encore aujourd’hui les violences pornographiques – à la fois favorisées par le poids des lobbys qui protègent cette industrie et la vulnérabilité des femmes face à une industrie puissante et organisée –, les rapporteures appellent à une prise de conscience de toutes et de tous.
« Que le spectateur de porno sache que ce qu’il regarde – c’est à dire des images non simulées, obtenues par une exploitation et des viols de femmes vulnérables – est possiblement une infraction pénale (sous forme de viols, de violences, d’humiliations et d’atteintes à la dignité) », considère Laurence Rossignol.
Lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, a pour sa part, confirmé que « les incriminations applicables aux sites pornographiques violents sont nombreuses : viol aggravé, agression sexuelle, actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains, proxénétisme ».
On ne peut que s’étonner du laxisme dont a profité l’industrie de la pornographie jusqu’à présent. « Autant il est possible d’agir face à des propos haineux en ligne ou quand il s’agit de lutte contre le terrorisme, autant on n’arrive pas à signaler et à bloquer les contenus quand il s’agit d’images pornographiques extrêmement violentes qui enfreignent des lois françaises » s’indigne Annick Billion.
23 recommandations
Fortes de toutes ces connaissances acquises et d’un contexte sociétal plus favorable aux dénonciations des violences faites aux femmes, les sénatrices comptent bien aller plus loin. « Nous voulons déstabiliser l’industrie pornographique, lui compliquer la vie car elle colonise les cerveaux et intervient dans la reproduction des violences sexistes et sexuelles faite aux femmes », clame Laurence Rossignol. « Il y a urgence à s’emparer du sujet et à apporter des solutions », renchérit Annick Billion. Et si la prise de conscience du public et du gouvernement est une « priorité », il va s’agir aussi « de voter des lois et de les appliquer ».
Sur la même longueur d’onde quant à leur engagement sur cette question, les quatre femmes ont formulé 23 recommandations qui s’articulent autour de quatre grands axes.
Primo, faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique. Concrètement, les sénatrices proposent de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).
Secundo, faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli.
Tertio, appliquer enfin la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse. En pratique, cela reviendrait, par exemple, à assermenter les agents de l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs, et non plus faire appel à un huissier.
Enfin, le rapport propose de mettre en œuvre les séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et sensibiliser les parents, professionnels de santé et professionnels de l’éducation aux enjeux liés à la pornographie.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Credits:
Lead image: Dreamstime.com
Actualités Medscape © 2022
Citer cet article: Pornographie et violences faites aux femmes : des sénatrices donnent un coup de pied dans la fourmilière - Medscape - 29 sept 2022.
Commenter