Paris, France—Pris pour cible par l'association Papageno et d’autres professionnels de santé qui leur reprochent une campagne médiatique nocive de lutte contre le suicide chez les soignants, le Dr Éric Henry, président de l'association SPS (Soins aux Professionnels de la Santé) à l'origine de cette campagne ainsi que Catherine Cornibert, directrice générale de SPS, ont bien voulu répondre à ces critiques et justifier le bien-fondé de leurs actions en direction des soignants.
Avez-vous été surpris par la virulence des attaques qui ont visé votre film de campagne, dans le cadre de votre journée de débats consacrée à la prévention du suicide chez les soignants ?
Dr Éric Henry : Nous sommes habitués à chaque fois que nous initions une action à nous confronter à des retours un peu violents de gens investis par la cause concernée. En 2015, on nous avait reproché de faire de l'interprofessionnalité sur notre plateforme d’écoute, par exemple. Certains nous considèrent peut-être comme disruptifs mais nous sommes constructifs, car derrière nos élans, nos initiatives sont reprises et la polémique retombe comme un soufflet.
Vous a-t-on déjà accusé de favoriser le passage à l'acte suicidaire ?
Dr Éric Henry : On vient de nous accuser de cela, mais nous avons mis un an avant de sortir cette vidéo, nous avons analysé tous les textes, tous les effets négatifs possibles, nous avons lu tous les programmes sur le sujet. Je rappelle que notre film est une fiction, qui propose des solutions. Je rappelle aussi que trois professionnels de santé se suicident tous les deux jours, on ne peut pas nous critiquer sur le fait d'avoir représenté trois soignants se suicider puisque cela reflète les statistiques nationales. On ne peut pas non plus nous critiquer sur l'intention, donc on nous critique sur la manière, c'est ce que je retiens de cette polémique.
On vous a accusé avec cette vidéo de favoriser le passage à l'acte autrement appelé effet Werther* et vous vous êtes défendu en affirmant que vous mettiez à disposition de personnes traversées par des idées suicidaires des solutions pour éviter le passage à l’acte, et que vous favorisiez plutôt l'effet Papageno ?
Dr Éric Henry : Nous avions comme cible les soignants. Seule l'association Papageno a refusé de venir à notre journée de débats, alors même que ses membres n'avaient pas vu le film. C'est dommage parce que nous avions ouvert un espace de discussion pour essayer d'avancer ensemble. Deuxième chose : l'effet Werther. On fait appel à un système qui date du 18e siècle (Ndlr, le roman, Les Souffrances du Jeune Werther, de Goethe, date du 18e siècle) et nous sommes au 21e siècle, il est temps de revoir sa copie. J'entends que de grandes études ont permis de démontrer que cet effet existait, mais l'effet Werther est la clé du sarcophage dans laquelle on a enfermé le suicide depuis des siècles. Si l'on ouvre une discussion sur le suicide, on déclenche un raz-de-marée. Il est temps d'ouvrir le sarcophage.
Parlons maintenant de l'effet Papageno. Nous avons étudié cela. Il est dit parmi les recommandations, que si l'on produit une fiction sur le suicide et que l'on propose dans cette fiction une ou des solutions alors nous sommes dans l'effet Papageno.
À la télévision française et sur les sites Internet, il y a à foison tout un tas de films où les gens se pendent, etc. Nos enfants ont vu les massacres de Daesch sur leurs écrans, et l'on vient nous reprocher ce film ! Il faut que les gens comprennent la douleur qui traverse les personnes qui se suicident au moment de leur acte, c'est pour cela que nous l'avons montré, pour que les gens comprennent cette douleur du suicidé.
L'association Papageno vous rejoint lorsque vous dites que la fiction est moins nocive qu'un acte réel de suicide, toujours est-il qu'elle n'est pas non plus inoffensive, qu'en pensez-vous ?
Dr Éric Henry : J'écoute tous les reproches, je les entends et je les range, cela n'empêchera pas le monde d'avancer. Cela n'empêchera pas de se mettre ensemble autour d'une table pour tenter d'éradiquer le suicide puisqu'apparemment Papageno a en charge la lutte contre le suicide.
Pour notre part, nous n'avons insulté personne. Nous avons pris une initiative, nous avons obtenu des retours, etc. Nous avons travaillé avec tout le monde, sauf avec Papageno, et c'est dommage. La porte reste ouverte. Je rappelle tout de même que notre plateforme d'écoute pour les soignants traversés par des idées suicidaires est la seule ouverte H24 et 7/7 selon les recommandations de l'ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine. Des psychologues répondent et nous affichons une statistique de 100% de décrochés.
Quels ont été les retours des professionnels de santé suite à votre campagne au-delà de la réaction de l'association Papageno ?
Dr Éric Henry : Nous avons eu des retours positifs, nous avons par exemple pu compter sur la présence du Dr Claude Leicher, président de l'association des CPTS, qui a accepté de participer à notre journée de débats.
Catherine Cornibert : Au-delà des critiques médiatiques sur Twitter, de nombreux journalistes ont suivi notre journée, on a eu beaucoup de retombées de médias. Notre débat était le suivant : comment prendre en charge des professionnels de santé ? Notre journée du 30 août était l'avant-première du film que tout le monde a pu visionner. J'ai participé au congrès de la mutualité française, mais aussi au congrès des jeunes libéraux la semaine dernière, je suis intervenue également à la FHP et à la réunion des CPTS. Tous sont venus nous voir pour nous dire : enfin, vous l'avez fait. Les gens avec qui nous avons pu en discuter nous ont dit : ce n'est pas une fiction, votre film, c'est la réalité. Nous avons donc des retours de terrain excellents. Il faut faire la part des choses entre les attaques médiatiques qui nous ont visées, et les actes que nous posons, comme cette plateforme d'écoute dont nous vous avons parlé. Depuis 2018, nous faisons des formations, des ateliers sur la prévention du suicide, c'est cela qui est important. La question c'est : comment travailler ensemble pour soulager toute cette souffrance ? Il est urgent d'agir ensemble.
Quelle est la situation de la santé mentale des professionnels de santé, après deux ans de pandémie ?
Dr Éric Henry : Les infirmières de bloc opératoire et anesthésistes, pendant la pandémie, ont été réquisitionnés pour exercer dans les autres services, en particulier les réanimations. Après cette période, ces Iade qui avaient déjà travaillé plus que de raison sont retournés au bloc opératoire, où elles ont dû, avec les chirurgiens, rattrapé le retard en matière d'opérations. Résultat : elles sont maintenant sur les genoux. Au chapitre du suicide, en début d'année et à la fin de l'année dernière, nous avons réceptionné beaucoup d'appels de soignants qui avaient des intentions suicidaires.
Catherine Cornibert : Nous avons réceptionné 19000 appels sur la plateforme depuis 2016 dont les trois quarts sont concentrés depuis mars 2020. Nous gradons par ailleurs les appels de 1 à 5, les appels 4 et 5 étant les plus graves. Depuis 2021, les appels de type 4 sont plus importants et les appels de type 5 sont au nombre de 40 depuis deux ans. Pour ce type d'appels nous appelons systématiquement le samu pour une intervention auprès de l'appelant.
Dr Éric Henry : Parmi les appels de niveau 4 nous avons beaucoup d'appels d'étudiantes infirmières qui sont en passe de décrocher leur diplôme, et à qui on le refuse, très souvent pour des raisons subjectives proches du harcèlement. Il faut que l'on sorte de cette situation et que l'on confie les dossiers de ces étudiantes infirmières recalées au conseil de l'Ordre des infirmiers, pour avoir un jugement objectif sur leurs compétences.
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* L’effet Werther (du nom du roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther) est l’augmentation du nombre de suicides induite par une exposition au geste — la publication du roman de Goethe a coincidé avec une augmentation du nombre de suicides en Europe. Les personnes qui se suicidaient étaient de jeunes hommes, utilisaient le même moyen létal que le jeune protagoniste, et avaient lu cet ouvrage, c'est ainsi qu'un lien a été fait entre les deux.
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Crédit de Une : SPS
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Citer cet article: Campagne médiatique contre le suicide des professionnels de santé: SPS répond aux critiques - Medscape - 29 sept 2022.
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