Bruxelles, Belgique — Lors du 44e Congrès du Comité international de Médecine militaire, qui s’est tenu début septembre à Bruxelles, la phagothérapie était en première ligne. Connue depuis une vingtaine d’années en Belgique, notamment grâce aux études menées par Jean-Paul Pirnay, directeur du laboratoire de technologie moléculaire et cellulaire (Hôpital militaire Reine Astrid), cette thérapie est encore peu utilisée car elle rencontre des problèmes de réglementation, et d’acceptabilité pour certains.
La thérapie par les phages utilise des virus tueurs de bactéries pour combattre les infections. Cette pratique existe depuis plus d’un siècle et a connu un regain considérable avec la montée en puissance de la résistance aux antibiotiques.
En Belgique, même si certains scientifiques estiment cette thérapie peu fiable, une centaine de patients ont été traités de cette manière dans différents hôpitaux comme dernier recours. Par ailleurs, depuis 2019, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé [l’équivalent de l’ANSM en France, NDLT] a intégré la phagothérapie dans un système spécifiquement conçu pour que les médecins puissent l’essayer.
En France, les Hospices civils de Lyon ont lancé récemment PHAG-ONE, un grand projet dédié à la phagothérapie et à l’heure actuelle un seul laboratoire privé produit des phages thérapeutiques, Pherecydes pharma. De son côté, l’ANSM a autorisé, en juin dernier, un accès compassionnel pour des bactériophages dans les infections ostéo-articulaires
Eliava : le plus grand centre de phagothérapie au niveau mondial
C’est Mzia Kutaleladze, directrice de l’Institut Eliava en Géorgie, qui a présenté le plus grand institut de thérapie par phages devant le Comité international de Médecine militaire.
Le George Eliava Institute of Bacteriophages, Microbiology and Virology possède actuellement la collection de souches bactériennes et bactériophages la plus vaste et la plus précieuse au monde. Elle compte plus de 1 000 phages actifs contre les agents pathogènes bactériens humains, végétaux et animaux. Elle contient également plus de 12 000 représentants différents de 180 espèces bactériennes et 44 genres isolés de différentes régions géographiques de Géorgie, ainsi que de divers pays du monde entier (Europe, Amérique, Asie, Australie, Afrique).
C’est en 1923 que le Pr George Eliava, bactériologiste et chercheur en phages, fonde son institut et y accueille Félix d’Hérelle, scientifique franco-canadien qui découvre les bactériophages, rencontré à l’Institut Pasteur de Paris. En 1937, George Eliava est exécuté par Staline pour suspicion d’espionnage et Félix d’Hérelle quitte la Géorgie, mais l’Institut se poursuit.
Pendant la période soviétique, des préparations biologiques et des produits contre les grandes maladies bactériennes et virales, telles que l’anthrax, la rubéole, la tuberculose, la brucellose, la salmonellose et la dysenterie, sont élaborées.
L’Institut développe également aujourd’hui des cocktails de bactériophages prêts à l’emploi contre les infections bactériennes dans différents domaines.
L’hôpital militaire Reine Astrid collabore en dernier recours avec l’Institut George Eliava lorsque les antibiotiques ne font plus effets.
Une femme traitée après blessure lors des attentats de Bruxelles
Lors de l’attentat à l’aéroport de Zaventem (Bruxelles) en 2016, une femme de 30 ans grièvement blessée, se voit administrer des antibiotiques lors de son admission à l’Hôpital Erasme. Ses plaies s’infectent, empêchant la guérison, et les traitements antibiotiques intensifs provoquent de graves effets secondaires, n’éliminant pas l’infection. Pour cause, une souche de la bactérie Klebsiella pneumoniae résistante à presque tous les médicaments.
Un médecin envoie alors un échantillon de la bactérie à l’Institut Eliava pour trouver un phage capable de la tuer. Après avoir trouvé le phage correspondant, l’Institut fait évoluer le virus afin qu’il soit plus efficace et tuer la bactérie.
La patiente est traitée deux ans plus tard, avec le phage et des antibiotiques en combinaison. Quelques semaines plus tard, son état s’est amélioré et son fémur cassé a commencé à guérir.
Si le taux de réussite est élevé, certains scientifiques restent dubitatifs
« Les phages sont spécifiques à certaines bactéries, et celles-ci peuvent rapidement développer une résistance », explique Ben Temperton de l’université d’Exeter, Royaume-Uni, au journal New Scientist. « L’évolution ou la "préadaptation" des phages, comme l’a fait l’Institut Eliava, réduit la résistance mais prend du temps. Les patients ont généralement suivi un long parcours d’antibiotiques qui ont échoué avant que l’on envisage d’utiliser des phages », explique-t-il.
Les phages en préparation magistrale
Pour Jean-Paul Pirnay, « afin d’exploiter au maximum les avantages que les phages offrent par rapport aux antibiotiques traditionnels, il est important que ces produits phagiques ne soient pas soumis à la procédure traditionnelle (longue et coûteuse) d’essais cliniques et d’homologation de médicaments », a-t-il expliqué lors de son exposé au congrès le jour suivant. « La voie de la préparation magistrale est une voie courte et réalisable permettant aux patients d’accéder à une phagothérapie personnalisée », poursuit-il. Cependant, il envisage, malgré tout, la phagothérapie en complément aux traitements par antibiotiques.
Réintroduire la phagothérapie personnalisée en Europe
Souhaitant mener son projet au niveau européen, Jean-Paul Pirnay propose de réintroduire la phagothérapie personnalisée en Europe : « Les médecins peuvent prescrire des préparations de phages personnalisées (sur mesure) pour l’utilisation chez des patients spécifiques. Les pharmaciens préparent ensuite ces produits à base de phages selon les prescriptions individuelles, et l’industrie et les acteurs à but non lucratif les produisent, selon une monographie des phages. Une fois inclus dans la Pharmacopée européenne, un chapitre général sur les phages pourra guider (de manière non restrictive) la production de préparations magistrales à base de phages. »
Cet article a initialement été publié sur Mediquality.net, membre du réseau Medscape
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: Phagothérapie : la réintroduire en Europe ? - Medscape - 29 sept 2022.
Commenter