Remboursés depuis seulement un an en France, les dispositifs de boucle fermée permettant une délivrance automatisée d’insuline ne sont pas toujours accessibles à tous les patients qui souhaiteraient en bénéficier. Beaucoup d’entre eux se tournent alors vers des systèmes appelés « Do-It-Yourself » qui utilisent des applications et des logiciels disponibles en open source sur Internet. Nous avons interrogé Nina Tousch*, 26 ans, qui vit avec un diabète de type 1 depuis dix ans et qui utilise une boucle fermée do-it-yourself. Quelles sont ses motivations ? Comment utilise-t-elle le système ? Quid des risques encourus avec des logiciels non certifiés ou des appels à la prudence des agences sanitaires ?
Medscape Édition Française : Comment avez-vous commencé à utiliser le système de boucle fermée Do-It-Yourself ?

Nina Tousch
Nina Tousch : J'ai installé moi-même l’algorithme permettant l’utilisation de la boucle fermée, grâce à l'aide de la communauté des personnes qui vivent avec un diabète. Le logiciel est disponible en libre accès. Je n'ai rien codé, ni modifié. J'entends beaucoup de professionnels dire que c'est un « truc de geek », mais ce n'est pas le cas. Je n'ai aucune connaissance en technologie. Il existe des sites internet reconnus, qui mettent à disposition toute la documentation nécessaire, indiquant toutes les étapes pour comprendre, choisir et installer l’application. Celle que j’utilise se trouve sur l’Apple Store et j’ai pu l’installer sur mon téléphone portable. J’ai également téléchargé le code qui permet de l’implémenter dans le logiciel. C'est bien évidement gratuit, accessible instantanément.
Pourquoi avez-vous choisi la boucle fermée, et notamment un dispositif de type Do-It-Yourself plutôt que commercial?
Je n'étais pas satisfaite de mon traitement qui consistait en une pompe à insuline patch (omnipod) et un capteur non connecté (dexcom). Je voulais que mes doses d'insuline soient automatiquement calculées, contrôlées, augmentées, diminuées etc.
J’utilise cette boucle fermée depuis plus d’un an, et à l'époque il n'y avait pas encore de boucle fermée disponible sur le marché. De plus, les boucles fermées qui sont aujourd'hui remboursées utilisent des pompes avec tubulure, ce qui ne me convenait pas. Mon désir premier était donc de choisir un traitement qui corresponde à mes habitudes de vie. Il s'est avéré que cette boucle fermée correspondait à mes aspirations et à mon besoin d'être plus autonome dans ma gestion du diabète.
Comment vous êtes-vous assurée que le logiciel que vous utilisez est fiable et sécuritaire, malgré le fait qu’il ne soit pas certifié ?
Il y a deux acteurs importants qui m’ont convaincue : premièrement, la communauté des personnes qui vivent avec un diabète. Cette communauté est énorme et très présente sur les réseaux sociaux, partout dans le monde entier. Mais surtout, c'est une communauté d'entraide et d'information qui est très riche et très intelligente. C'est grâce à elle que j'ai eu vent des différentes options de traitement en do-it-yourself et c'est à ces personnes que je me suis adressée lorsque j'avais des questions. C'est une communauté très interactive et très immédiate, c'est sa richesse. Si on a une question, on peut la poser sur un groupe Facebook par exemple. J'ai d’ailleurs rencontré des personnes qui sont devenues par la suite des ami(e)s ― il existe, dans cette communauté, une bienveillance, une entraide qui est vraiment particulière.
En deuxième lieu, j’ai été influencée par les nombreux articles publiés dans la presse scientifique. Plusieurs études ont démontré la sécurité et l'efficacité de ce type de boucle fermée en open source. En septembre, l'essai clinique néo-zélandais CREATE, publié dans le NEJM[1], rapportait que le système fonctionne en toute sécurité. L'année dernière, il y a eu un consensus international publié et signé par plus de 40 professionnels de santé du monde entier [2], et notamment par la Fédération Internationale du Diabète (IDF). Il a d’ailleurs été présenté cette année au congrès de l’American Diabetes Association (ADA). Malheureusement, l'information n’est pas suffisamment relayée. Est-ce que ce consensus international est connu des professionnels de santé en France? Je n'en suis pas sûre. Pourtant, il indique que ces systèmes sont sécuritaires, efficaces et surtout qu'il faut que les professionnels de santé respectent le choix des patients.
Vous est-il déjà arrivé de rencontrer des problèmes avec votre boucle fermée Do-It-Yourself, et comment les avez-vous réglés le cas échéant ?
Lorsque j'ai un problème technique, c'est soit avec la pompe, soit avec le capteur. Mais je n'ai jamais eu de problème avec l'algorithme. Au contraire, depuis que je l’utilise, ma vie a changé. Je passe entre 85 à 90 % de mon temps dans la cible. Là, je suis au congrès [EASD] cette semaine, et je suis à 85 % dans la cible alors que je mange à des heures irrégulières et que je n'ai pas le temps de m'occuper de mon diabète.
Quel est votre rapport au risque, votre niveau de confiance par rapport à ce système ?
Le risque est inhérent à la vie avec un diabète. Aujourd'hui, le risque n’est pas tant celui de l'algorithme parce que cela fait dix ans que cela existe. Avant, je faisais beaucoup plus d’hypo- et hyperglycémies. Je dirais que le risque est inhérent au matériel, mais c'est la même chose avec une boucle fermée commerciale, et qu'on ait une boucle fermée commerciale ou non, il faut toujours qu'on ait un schéma de remplacement au cas où la pompe ou le capteur ne marchent pas. Mais pour moi, utiliser une boucle fermée do-it-yourself n’est pas un risque. Le risque, c'est d'attendre que les boucles fermées commerciales soient remboursées parce que c'est autant de temps pour rester en hyperglycémie ou faire des hypoglycémies. Et c'est cette attente qui constitue un risque.
Ces algorithmes sont mis à disposition par des gens de la communauté, dont la sécurité est le premier souci. Ce sont des personnes qui elles-mêmes l'utilisent ou qui le créent pour leurs enfants. D’ailleurs les investigateurs de la boucle fermée Diabeloop ont dit ouvertement s’être inspirés de la communauté du do-it-yourself. Donc si Diabeloop s'en inspire, c'est parce que le système est bon !
Que pensez-vous des appels à la prudence de l’ANSM ou de la FDA américaine concernant les applications Do-It-Yourself ?
On ne peut les ignorer car elles ont un impact sur les patients et les associations. Je regrette que ces organisations ne prennent pas en compte les études et le consensus international. Parce que toutes les preuves sont là. Il faut se baser sur les preuves scientifiques, mais aussi sur les preuves du monde réel, c.-à-d. l'expérience des patients. Encore une fois, le consensus international confirme l’efficacité, la sécurité et l’importance du choix du patient. Si en tant que professionnel de santé, vous ne vous sentez pas à l'aise, il faut rediriger le patient vers un autre praticien. Mais il faut respecter l'autonomie du patient.
En avez-vous parlé avec votre médecin traitant ? Si oui, comment a-t-il réagi ?
Nombreux sont les patients qui ont peur d'être rejetés, « radiés » ou dénoncés. Cela existe, c'est injuste et infondé. Personnellement, j'ai eu la chance d'avoir une diabétologue qui est ouverte, à l'écoute et consciente des bénéfices. Elle suit d’autres patients et elle voit les avantages, elle ne peut que me soutenir. Mais même si elle ne m'avait pas soutenue, aurais-je dû me priver d'un traitement parce que quelqu'un me dit « non » ?
Selon vous, combien de personnes en France utilisent des boucles fermées de type Do-It-Yourself ?
Il n’y pas de données précises, ni France ni dans le monde entier, justement parce que beaucoup ont peur d’en parler ouvertement. On pourrait l’évaluer en regardant combien de personnes ont téléchargé l’application, mais les données ne sont pas claires. Selon mon estimation, en France, nous sommes environ un millier de personnes concernées, si on se base sur l’activité de la communauté sur les réseaux sociaux.
Existe-t-il un profil particulier des utilisateurs ?
Il y a des personnes de tous les âges et tous types de profils. Il y a des gens qui vivent eux-mêmes avec un diabète, il y a des proches, des parents. C'est très intéressant, car ce sont des parents qui installent la boucle fermée pour leurs enfants, des conjoints qui l'installent pour leur femme ou leur mari. Il y a une réelle implication familiale.
Certains professionnels de santé, comme le Pr Boris Hansel , ont souligné l’écart qui risque de se creuser entre les patients ayant accès à la boucle fermée et les autres, notamment en raison du manque d’information et d’éducation thérapeutique. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord. Nous avons le soutien de beaucoup de diabétologues qui comprennent bien les bénéfices pour leurs patients, mais globalement, l’information manque. J’estime que c'est aussi un devoir du professionnel de santé de s'informer des nouvelles options thérapeutiques. Il faut aller plus loin que simplement recevoir les instructions sur les pompes fournies par un représentant. Il faut aller voir ailleurs, se renseigner. Il faut s’informer parce que le traitement ne doit pas dépendre de l’avis d’une seule personne, qui est peut-être mal informée. Pour moi, c’est cela qui est dangereux pour la santé des personnes qui vivent avec un diabète.
*Nina Tousch est journaliste, et depuis 2019 elle travaille avec plusieurs médias en ligne consacrés au diabète ( Le Diabète enchaîné , Diabetopole). Elle dirige actuellement le site d’information destinée aux patients Glucose toujours .
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Citer cet article: Boucle fermée Do-It-Yourself : « cela a changé ma vie », témoigne une patiente vivant avec un DT1 - Medscape - 28 sept 2022.
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