TRANSCRIPTION
Bonjour à tous et bienvenue sur Medscape. Je suis le Dr Constance Thibault, oncologue médicale à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, et durant ces prochaines minutes, je vais essayer de vous synthétiser les principales actualités dans la prise en charge des cancers génito-urinaires de l’année 2022, les études qui ont changé nos pratiques dans ces différentes tumeurs.
Cancer de la prostate : études PEACE-1, ARASENS, VISION, TheraP
Commençons par les cancers de la prostate, extrêmement fréquents, pour lesquels, de mon point de vue, la principale avancée est l’arrivée du triplet chez les patients avec un cancer de la prostate métastatique hormonosensible (MHSPC) avec deux études :
- l’étude PEACE-1 [NCT01957436] [] 1,2 ] , qui évaluait l’association abiratérone versus standard de traitement qui, au départ était la castration seule et, du fait des résultats de l’étude CHAARTED, a été changé en cours de route et était le docétaxel. Donc on se retrouve à avoir des patients qui ont reçu l’ADT + le docétaxel et des patients qui vont avoir reçu ADT + docétaxel + abiratérone. Donc une étude de phase 3 académique randomisée qui démontrait un bénéfice en termes de survie sans progression (PFS) et de survie globale en faveur du triplet, en comparaison à un doublet à base de suppression androgénique plus docétaxel.
- Et puis, en début d’année 2022, on a eu la présentation des résultats de l’étude ARASENS [3], qui a un design assez similaire. C’est une étude de phase 3 qui comparait une suppression androgénique + docétaxel + soit le darolutamide, qui est un limiteur du récepteur aux androgènes, soit un placebo, et qui conforte les données de l’étude PEACE-1, à savoir la supériorité du triplet suppression androgénique + docétaxel + darolutamide en comparaison au doublet suppression androgénique + docétaxel.
Il faut savoir que dans ces deux études étaient inclus très majoritairement des patients avec des maladies d’emblée métastatiques donc les MHSPC de novo. Dans PEACE-1, c’était 100 % des patients et dans ARASENS, c’était plus de 80 % des patients inclus. Concernant le volume métastatique des malades inclus, il s’agissait majoritairement de patients avec des hauts volumes métastatiques et ce qui est important de noter, c’est que dans l’étude PEACE-1, il y a eu une analyse en sous-groupe en fonction du volume métastatique et le bénéfice du triplet par rapport au double n’est retrouvé que chez les hauts volumes.
Quoi conclure de ces deux études ? Désormais, chez les patients avec une maladie MHSPC de novo de haut volume, probablement qu’il y a un intérêt de faire un triplet à base de suppression androgénique docétaxel + une hormonothérapie nouvelle génération, que ce soit l’abiratérone ou le darolutamide. Concernant les patients avec une maladie MHPSC métachrone ou de bas volume, le bénéfice du triplet est très incertain. En revanche, la question à laquelle on n’a pas la réponse, c’est de savoir si un triplet à base de docétaxel et d’hormonothérapie nouvelle génération fait mieux qu’un double à base d’hormonothérapie de nouvelle génération. Malheureusement, on n’a pas d’étude de phase 3 qui compare ces deux stratégies et la question reste, donc, en suspens. Il y a des méta-analyses qui ont été publiées avec des résultats un peu contradictoires, mais le message est que chez les patients MHSPC de haut volume, probablement que chez ceux qui sont éligibles à une chimiothérapie il faut proposer un triplet à base de docétaxel et d’abiratérone ou darolutamide et que, par contre, chez les patients avec une maladie de bas volume ou une maladie métachrone, le standard reste une hormonothérapie de nouvelle génération en association à la suppression androgénique. Ce sont donc vraiment des données très importantes.
Concernant la maladie métastatique résistante à la castration, il y a eu un peu moins d’actualité. La principale, c’est l’arrivée de la radiothérapie interne vectorisée, donc la RIV, avec le lutétium-PSMA qui est désormais disponible en France dans le cadre d’un accès précoce. C’est basé sur les données de VISION [4] qui est une étude de phase 3 évaluant l’intérêt du lutétium-PSMA en association au traitement standard chez les patients traités au moins par une hormonothérapie nouvelle génération et au moins un taxane, donc le docétaxel plus ou moins le cabazitaxel. Un bénéfice en survie globale avait été retrouvé, d’où l’obtention de cet accès précoce qui est désormais disponible en France. La principale problématique va être l’accès à cette thérapeutique qui ne peut être fait que dans les services de médecine nucléaire qui sont habilités à faire de la thérapeutique, et actuellement en France, le nombre de places reste assez limité avec une grande disparité en fonction des régions. Mais on a bon espoir que le nombre de centres de médecine nucléaire qui pourront traiter ces patients augmente dans les mois et les années à venir pour raccourcir ces délais.
Reste en suspens la question de savoir à quel moment faut-il faire le lutétium. Faut-il mieux le faire avant le cabazitaxel ou après ? On n’a pas encore la réponse, mais, néanmoins, on a une étude de phase 2 qui est TheraP (ASCO 2022),[5] une étude académique australienne qui avait comparé le lutétium-PSMA au cabazitaxel. C’était une étude de phase 2, donc avec moins de patients inclus que dans une phase 3, une centaine de patients dans chacun des bras, et qui démontrait qu’il y avait un avantage en faveur du lutétium-PSMA chez les patients traités par lutétium par rapport au cabazitaxel en termes de survie sans progression et de réponse biologique, et de taux de réponse objective. Il n’y avait, en revanche, pas de différence en termes de survie globale, donc la question des séquences reste néanmoins en suspens, mais probablement qu’il est peut-être préférable de le faire avant le cabazitaxel plutôt qu’après. Donc voilà les principales activités dans le cancer de la prostate.
Cancer du rein : Keynote-564, IMmotion010, Checkmate-914, RAMPART, COSMIC 313, KEYNOTE-B61
Dans le cancer du rein, les principales nouveautés nous sont venues de l’intérêt de l’immunothérapie en périopératoire chez les patients avec un risque important de récidive de leur maladie. On avait déjà les données de l’efficacité du pembrolizumab chez les patients avec un haut risque de récidive — c’était les données de l’étude KEYNOTE-564, qui avait inclus des patients avec un carcinome rénal à cellules claires avec un risque important de récidive basé sur le T, le N, le grade — ils avaient même inclus des patients avec une maladie métastatique, mais intégralement réséquée dans l’année qui suivait la néphrectomie. Cette étude a été publiée[6], et rapportait un bénéfice assez net en faveur d’un an de traitement par pembrolizumab chez les patients en termes de survie sans progression. On n’a pas encore les données en termes de survie globale. Donc il y a eu pas mal d’emballement suite à la présentation des résultats de cette étude KEYNOTE-564 et cette année, à l’ESMO, on a eu la présentation de trois autres études qui évaluaient l’intérêt de l’immunothérapie en périopératoire.
La première est l’étude IMmotion010 [7] qui avait un design très similaire, mais qui évaluait l’atézolizumab pendant un an en adjuvant en comparaison au placebo ; on avait l’étude CHECKMATE-914 qui, cette fois-ci, évaluait l’intérêt de l’association nivolumab + ipilimumab durant six mois en postopératoire, et non pendant un an, et puis on avait PROSPER, qui est une étude académique ouverte et qui évaluait le nivolumab, une injection en préopératoire, puis neuf mois en postopératoire. Ce qui a beaucoup marqué les esprits, c’est qu’alors qu’on avait une étude très positive en termes de survie sans progression avec le pembrolizumab sur les données de la KEYNOTE-564, les trois autres études sont négatives, il n’y a pas de bénéfice retrouvé. Donc, de cela découlent pas mal d’interrogations : pourquoi cette discordance ? Est-ce que cela peut être lié à une molécule moins efficace ? Est-ce que cela peut s’expliquer par une durée de traitement plus courte, comme c’était le cas dans la CHECKMATE-914 avec le nivo-ipi qui n’était donné que pendant six mois ? Est-ce que c’est lié à la sélection des patients, étant donné qu’on incluait des patients avec un risque important de récidive, mais on sait que ce risque-là est un peu variable et en fonction des études, parfois des tumeurs T2 étaient incluses avec un grade plus ou moins important. Donc, peut-être que certaines études n’ont pas inclus des patients avec un si important risque de récidive. En tout cas, ces résultats discordants remettent peut-être un peu en cause la place et l’intérêt du pembrolizumab en adjuvant pendant un an. De toute manière, c’est une molécule qui n’a pas encore de remboursement en France et qui ne peut donc pas être donnée dans le cadre des soins courants.
Il y a d’autres études actuellement en cours, notamment une étude académique, RAMPART, [8] qui compare la surveillance en comparaison au durvalumab ou l’association durvalumab + trémélimumab, donc on aura peut-être d’autres données, soit pour conforter l’intérêt de l’immunothérapie en adjuvant dans les cancers du rein à haut risque de récidive, soit au contraire infirmer l’intérêt d’une immunothérapie en postopératoire. En tout cas, ces résultats ont surtout soulevé beaucoup de questionnements et n’ont pour l’instant pas changé les pratiques — actuellement, il n’y a pas de place pour l’immunothérapie en adjuvant en dehors d’un essai thérapeutique.
Dans le cancer du rein métastatique, la principale nouveauté est l’arrivée du triplet, comme dans la prostate, avec les données de la COSMIC 313 qui évaluait nivolumab + ipilimumab + cabozantinib en comparaison au nivolumab + l’ipilimumab. C’était une étude de phase 3 avec des données qui montrent une supériorité en termes de survie sans progression qui reste, somme toute, relativement modeste, avec un profil de tolérance assez difficile, étant donné qu’il y a quand même eu beaucoup de toxicité rapportée. Beaucoup de patients ont dû arrêter le traitement en cours de route pour des raisons de toxicité, que ce soit le cabozantinib ou l’ipilimumab, ou le nivolumab. On n’a pas encore de données en termes de survie globale et ce qui a beaucoup interpellé, c’est que lors de l’analyse en sous-groupe, les patients de mauvais pronostics selon l’IMDC, ne bénéficient pas de ce triplet en comparaison au doublet, ce qui interroge un peu car probablement chez ces malades qu’on aurait voulu que le triplet fasse mieux qu’un doublet. En tout cas, actuellement cela ne change pas nos pratiques. Le traitement standard reste un traitement à base soit de nivolumab + ipilimumab pour les patients de pronostic intermédiaire ou mauvais, soit un traitement associant immunothérapie + antiangiogénique et en France en 2022, les deux combinaisons dont on dispose sont le nivolumab + le cabozantinib ou le pembrolizumab + l’axitinib. On peut espérer qu’en début d’année 2023 on ait le remboursement de l’association pembrolizumab + lenvatinib, sachant que l’ensemble de ces combinaisons immuno- + antiangiogéniques peuvent être données chez des patients de bon pronostic, de pronostic intermédiaire ou de mauvais pronostic.
Et puis, autre petite nouveauté dans le cancer du rein, ce sont les résultats d’une étude qui évaluait une combinaison de traitements chez les patients avec des cancers du rein métastatiques mais non à cellules claires. Et c’est vrai qu’on était assez content parce que les cancers du rein non à cellules claires sont malheureusement un peu les oubliés des avancées thérapeutiques ces dernières années. La dernière avancée majeure était le la supériorité du cabozantinib dans les cancers du rein papillaires métastatiques en première ligne. C’est désormais le traitement recommandé par l’ESMO sur les données d’une étude de phase 2 qui comparait notamment le cabozantinib ou sunitinib. Et cette année, on a eu la présentation des résultats de l’étude KEYNOTE-B61 qui évaluait l’efficacité du pembrolizumab + le lenvatinib chez 82 patients. C’était une étude monobras, donc qui n’avait pas de bras comparateur ; néanmoins les résultats sont très intéressants, étant donné que le taux de réponse objective avoisine les 50 % avec peu de progression d’emblée — seulement 11 % des patients inclus — donc des résultats assez prometteurs, notamment dans les cancers du rein papillaires à translocation et les cancers du rein non classés. Très faible efficacité en revanche dans les cancers du rein chromophobes. En tout cas, ce sont des résultats qui semblent somme toute intéressants et qui peuvent conduire à s’interroger sur l’intérêt des doublets chez les cancers du rein non à cellules claires, même si théoriquement il n’y a pas d’AMM et pas de remboursement pour ces combinaisons dans les cancers du rein non à cellules claires.
Cancer urothélial : EV-301, Checkmaote-274
Dans le cancer urothélial, il y a eu assez peu de l’actualité en 2022. Le traitement standard de la maladie métastatique repose actuellement sur une première ligne de chimiothérapie à base de sels de platine suivie d’un traitement de maintenance par avélumab chez les patients dont la maladie n’évolue pas. Et en deuxième ligne de traitement, ou en tout cas en post-immuno et post-chimiothérapie, bien sûr il y a l’enfortumab védotin, un anticorps conjugué qui cible la nectine-4 et sur lequel est couplé le MMAE, qui est un cytotoxique de la classe des poisons du fuseau qui a démontré un bénéfice en survie sans progression et en survie globale dans les résultats de l’étude EV-301[9].... avec désormais à nouveau un accès précoce disponible en France depuis cet été 2022, avec des résultats intéressants mais néanmoins un warning sur la tolérance, sur le risque de toxicité cutanée sévère, notamment lors du premier cycle de traitement, qui doit pousser les cliniciens à avoir une surveillance rapprochée, à bien examiner les patients avant chaque injection lors du premier cycle de traitement.
Un dernier point sur les carcinomes urothéliaux localisés lorsque la maladie n’est pas métastatique. On connaissait les résultats de l’étude CheckMate 274 [10] qui avait démontré l’intérêt du nivolumab en adjuvant pendant un an chez les patients avec un carcinome urothélial à haut risque de récidive après chirurgie. Et on a eu la bonne surprise en France d’avoir un accès précoce depuis septembre 2022, qui a restreint cet accès aux patients inclus dans l’étude, à savoir les patients avec une tumeur infiltrante résiduelle après chimiothérapie néoadjuvante, c’est-à-dire une maladie ypT2 ou plus, ou les patients qui avaient une tumeur pT3, pT4 ou N+ qui n’avaient pas reçu de chimiothérapie néoadjuvante et qui n’étaient pas éligibles à une chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine. Le « gros warning » est que cet accès est restreint aux patients dont la tumeur exprime PD-L1 est positive en se basant sur le score TPS, c’est-à-dire le pourcentage de cellules tumorales exprimant PD-L1 et il faut que ce score soit supérieur ou égal à 1 % pour pouvoir demander l’accès précoce. Donc désormais, il faut absolument que nos collègues anatomopathologistes évaluent le statut PD-L1 des patients avec des carcinomes urothéliaux localisés opérés pour évaluer la faisabilité d’un traitement en adjuvant par nivolumab. En tout cas, on est ravi de pouvoir proposer ce traitement-là dans ces maladies agressives où on sait que le risque de récidive est très important.
Je vous souhaite à tous de très belles fêtes de fin d’année et je vous donne rendez-vous bientôt sur Medscape.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin.
Medscape © 2023
Citer cet article: Cancers génito-urinaires : l’actualité de 2022 - Medscape - 6 janv 2023.
Commenter