Le blog du Pr Dominique Savary – urgentiste, réanimateur
Le Pr Dominique Savary a sélectionné 6 études qui ont marqué la médecine d’urgence en 2022 : focus sur les cibles d’oxygénation et de pression artérielle après un arrêt cardiaque, prise en charge lors d'une attaque NRBC, intoxications médicamenteuses volontaires, et plus encore...
TRANSCRIPTION
Bonjour, je suis Dominique Savary, je travaille au centre hospitalier universitaire d’Angers et je vous retrouve en cette fin d’année pour un exercice un peu particulier qui est l’analyse et la présentation des études qui ont marqué cette année 2022 – exercice forcément subjectif. J’ai donc choisi pour vous 6 études sorties cette année.
1. BRIGHT-4 : la bivalirudine dans le SCA ST+
Je commencerai par une première étude en cardiologie : BRIGHT-4. [1] C’est un chinois qui a été présenté au congrès de l’AHA récemment et qui s’est intéressé à la place de la bivalirudine dans le syndrome coronaire aigu ST+. Il y a une quinzaine d’années, l’étude HORIZONS-AMI avait donné beaucoup d’espoir et pas mal d’équipes avaient commencé la bivalirudine à la suite de cette étude qui avait comparé la bivalirudine d’un côté et l’héparine non fractionnée associée à des anti-GP IIb/IIIa de l'autre. Et cette première étude HORIZON-AMI avait montré une réduction de la mortalité, mais surtout une réduction des saignements, donc c’était intéressant. Puis, plus récemment, l’étude britannique monocentrique HEAT-PPCI a comparé cette fois-ci la bivalirudine versus l’héparine non fractionnée, mais sans perfusion d’anti-GP IIb/IIIa, et avait un peu arrêté cet élan qu’on avait d’utiliser la bivalirudine, parce qu’elle n’avait pas montré de réduction de saignements, ni de la mortalité, voire même une petite augmentation des événements ischémiques thrombotiques.
Cette étude BRIGHT-4, proposée par des chercheurs chinois, a un bel effectif (6000 patients), elle est très bien menée et elle a comparé à nouveau l’héparine non fractionnée versus la bivalirudine en bolus + une perfusion prolongée. Elle a répondu de façon très claire : la bivalirudine a réduit la mortalité, elle a réduit les saignements graves de 80 %, ce qui n’est pas négligeable, et elle a réduit aussi les événements ischémiques d’environ 20 %. Donc victoire par KO, comme le disait Gabriel Steg, de la bivalirudine qu’il va peut-être falloir remettre dans nos stratégies de prise en charge anticoagulante du SCA ST+.
2. DUST DAHO : prise en charge après une attaque NRBC
La deuxième étude que j’ai sélectionnée a été présentée dans les Annales françaises de médecine d’urgence . [2] C’est donc une étude en français à destination des médecins, mais aussi des soignants qui peuvent être amenés à prendre en charge des patients qui seraient contaminés par une attaque NRBC (Nucléaires, Radiologiques, Biologiques, Chimiques).
Cette étude a été présentée par l’équipe de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, elle est très bien faite et oriente sur ce qu’on doit faire dans ces événements si particuliers. Les militaires nous avaient habitués à des acronymes – je pense à SAFE MARCHE RYAN, la méthode pratique pour prendre en charge des blessés de guerre. Cette fois-ci ils nous proposent un autre acronyme pour la prise en charge de cette chaîne de survie NRBC, c'est DUST DAHO pour Décontamination d’Urgence, pour limiter l’intoxication et la contamination, puis la recherche des Symptômes pour identifier l’agent en cause et bien sûr pour alerter les secours, « T » pour l’administration précoce des traitements et des antidotes pour éviter la morbimortalité des patients, « DA » pour Décontamination Approfondie – en particulier pour protéger le système de santé et le système de soins – et puis « HO » pour l’évacuation vers l’Hôpital là où, finalement, on va pouvoir traiter ces patients. Donc un acronyme intéressant pour mémoriser ces maillons essentiels de la prise en charge de la chaîne de survie NRBC. Très agréable à lire et à destination de l’ensemble des soignants.
3. BOX : cibles d’oxygénation pour les patients ventilés en soins critiques
La troisième est une étude pilote qui s’est intéressée aux cibles d’oxygénation pour les patients ventilés en soins critiques. Elle est sortie dans le New England Journal of Medicine en 2022 [3] et elle est intéressante, parce que la tendance actuelle est d’éviter l’hyperoxie chez nos patients, et là on s’est intéressé à ces patients qui avaient une ventilation mécanique invasive sur les niveaux de saturation d’oxygène cibles qu’on s’était fixés, avec trois catégories : des cibles à 90 %, à 94 % et à 98 %. La question que se sont posés les auteurs est : « est-ce que chez ces patients graves, le niveau de saturation augmente le nombre de jours de ventilation mécanique et augmente la mortalité des patients? »
Il s’agissait d’un essai monocentrique, randomisé, en cluster, bien sûr non aveugle puisqu’on savait comment on ventilait les patients. Il y avait trois objectifs de saturation et les patients ont été évalués sur 28 jours – au final, 2 541 patients ont été inclus dans cette étude.
Aucune cible, aucun target d’oxygène ne ressort sur le nombre de jours en vie ou le nombre d’absences de ventilation à 28 jours. Donc cela pose question à un moment où on est plutôt dans le tout « attention, il ne faut pas trop mettre d’oxygène ». Finalement, cette étude relativise un petit peu les choses, même si, probablement, il faudra qu’on ait d’autres données. En particulier, je ne manquerai pas de vous donner les résultats de l’étude Mega-ROX qu’on attend et qui étudie le même sujet.
4. DOSE-VF : fibrillation ventriculaire réfractaire dans l’arrêt cardiaque
Une autre étude que j’ai retenue, sortie également dans le New England Journal [4] cette année et qui a été montée par l’université de Toronto, s’est intéressée à la fibrillation ventriculaire réfractaire, dans l’arrêt cardiaque bien sûr.
Cette étude s’est adressée à des ambulanciers. Ainsi, 4000 ambulanciers répartis sur six services d’urgence paramédicaux en Ontario ont été formés pour utiliser trois séquences de défibrillation différentes en présence d’une fibrillation ventriculaire réfractaire, c’est-à-dire d’une fibrillation ventriculaire qui ne cédait pas après trois défibrillations standards. Donc les ambulanciers avaient le choix de soit poursuivre la défibrillation classique qu’ils font d’habitude, soit de faire une autre technique qui était une double défibrillation externe séquentielle. Et pour ce faire, ils avaient la possibilité d’appliquer des électrodes d’un second défibrillateur pour administrer ces décharges séquentielles aux patients. Donc deux défibrillateurs en place versus une autre technique qui était une défibrillation avec changement de position des électrodes – changement de vecteur – plutôt que de les mettre en antérieur, comme on le fait sous-claviculaire d’un côté et puis sous-axillaire de l’autre.
Les électrodes étaient mises en antéro-postérieur pour ces patients et quand on regarde les résultats de cette étude, alors qu’elle n’a pas été menée jusqu’au bout puisque le COVID est passé par là (il n’y a eu que 405 patients recrutés dans cet essai), le taux de survie à la sortie de l’hôpital était de 30,4 % dans le groupe double défibrillation versus 21,7 % lorsqu’on changeait le vecteur et qu’on mettait les électrodes en antéro-postérieur, versus 13,3 % lorsque rien n’était changé et qu’on continuait la défibrillation classique. Donc je dirais que c'est une donnée précurseure très intéressante. Il va falloir suivre cela lorsque l’on est en face de patients qui ont une fibrillation ventriculaire réfractaire.
5. COBRA : prédiction du besoin de réanimation dans les intoxications médicamenteuses volontaires
Cinquième étude qui m’a intéressé, sortie dans le EuropeanJournal of Emergency Medicine, c’est COBRA. [5] C’est une étude rétrospective, mais je l’ai choisie parce qu'elle s’intéresse aux intoxications médicamenteuses volontaires et à la prédiction du besoin de réanimation pour les patients qui ont fait ces intoxications.
Le score COBRA associe 5 éléments qui sont les troubles de conduction, c’est-à-dire un QRS allongé ou un QT allongé, une désaturation en dessous de 90 %, une fréquence respiratoire inférieure à 8 ou supérieure à 30, une pression artérielle systolique inférieure à 90 ou supérieure à 200, et enfin, un score de Glasgow inférieur à 14 ou une agitation.
Ce score COBRA était analysé à 3 h et à 6 h de surveillance des patients. L’étude a retrouvé à 3 h une valeur prédictive négative de 100 % de la règle COBRA, qui était conservée à 6 h. Cela veut dire qu’à 3 h on était capable de prédire les patients qui ne nécessiteront pas de surveillance scopique ou de soins intensifs, ce qui est déjà très intéressant. C’est-à-dire que vous savez pour quels patients vous n’allez pas avoir besoin de lits en réanimation dès la troisième heure de prise en charge. Certes, tous les toxiques n’étaient pas gardés, en particulier les patients qui avaient une intoxication au paracétamol ou à la metformine étaient sortis de cette étude, mais malgré tout, c’est un score quand même intéressant pour des cas qui sont fréquents en médecine d’urgence.
BOX : cibles de pression artérielle après un arrêt cardiaque
La dernière étude que j’ai gardée porte sur l’arrêt cardiaque récupéré. Elle est sortie au mois d’août 2022 dans le New England Journal of Medicine et s’est intéressée aux cibles de pression artérielle des patients qu’on a récupérés d’un arrêt cardiaque. [6] Donc il s’agissait d’un essai randomisé en double aveugle et qui a comparé deux cibles différentes : une cible de pression artérielle moyenne de 63 mm Hg versus une cible un peu plus élevée, à 77 mmHg – il s’agissait bien sûr de patients récupérés d’arrêt cardiaque adultes, dans le coma et qui avaient un arrêt d’origine cardiaque.
Ce sont donc 790 patients qui ont été inclus dans cette étude et qui montrent qu’à 90 jours, il n’y a pas de différence en termes de survie, quel que soit le niveau hémodynamique qui avait pu être apporté au patient – que ce soit 63 mmHg ou 77 en pression artérielle moyenne.
Voilà les 6 études que j’ai choisies de vous présenter cette année. J’espère qu’elles vous auront intéressés. Je vous souhaite une excellente fin d’année, de belles Fêtes, et je vous dis à très bientôt sur Medscape France.
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Citer cet article: Médecine d’urgence : les 6 études marquantes de 2022 sélectionnées par Dominique Savary - Medscape - 21 déc 2022.
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