Aujourd'hui, on voit de nouveau à l’hôpital des patients avec des formes graves de COVID-19, alors qu’ils sont triples vaccinés et non immunodéprimés. Le Dr Colas Tcherakian (pneumologue, hôpital Foch, Paris) présente 2 cas cliniques de COVID récents et explique pourquoi cette nouvelle vague épidémique présente des similarités avec la première. Quelles leçons en tirer ?
TRANSCRIPTION
Bonjour à tous, je suis Colas Tcherakian, pneumologue à l'hôpital Foch, et je vais rediscuter avec vous de deux cas qui font écho à ce que l'on entend assez fréquemment aujourd'hui autour de nous. Je les ai appelés les « cas cliniques COVID-22 » parce qu’on est en 2022 et que depuis le COVID-19 décrit initialement, le virus a beaucoup changé. Aujourd'hui, ce « COVID-22 » nous rappelle un peu ce que nous avions rencontré en 2020, au moment de la première vague. Pourquoi ? Parce que nous avons atteint aujourd'hui le plateau de cette 8e vague et on voit arriver des malades qu'on ne voyait plus auparavant. On voit à nouveau des patients graves alors qu’ils n'ont pas de comorbidités évidentes, alors qu'ils ne sont pas immunodéprimés et alors qu'ils ont été vaccinés. Il faut qu'on discute de ces patients, car je pense qu'ils peuvent nous apprendre un certain nombre de choses.
Patient 1 : COVID sévère chez un triple vacciné
Je vous propose de découvrir le premier patient qui est âgé de 59 ans. Il a vraiment peu d'antécédents, une simple dyslipidémie, et il ne reçoit d'ailleurs comme traitement qu'un antilipémiant. Il est fumeur – c'est très important, car on sait que le tabac reste quand même un facteur de risque d'évolution défavorable du COVID – avec une consommation de dix cigarillos par jour depuis une trentaine d'années. Son cas commence comme un COVID banal, en ville, avec de la toux, de l'essoufflement, de la fièvre. Et puis, devant l’aggravation de la fièvre, le patient appelle SOS médecins qui prescrit une corticothérapie et de l’Augmentin (amoxicilline/acide clavulanique), et malgré ce début de traitement, le patient s’aggrave dans les jours qui vont suivre. Consultant son médecin traitant qui objective une désaturation, il est adressé à l’hôpital, aux urgences.
On voit en effet chez ce patient, des images que certains d’entre nous connaissent très bien, qui mélangent des images assez typiques de COVID avec quelques images de pneumonie organisée qui est train d’apparaître chez un patient hypoxémique. Et élément important : on retrouve ses D-dimères très augmentés, la présence d’une petite embolie pulmonaire — bref, un tableau qui aurait pu être tout à fait classique en 2020, à la différence près que ce patient a reçu trois vaccinations. C’est un des éléments probablement importants : il a effectivement reçu ses vaccinations — on le sait parce qu’il a une sérologie COVID très positive à plus de 5000 BAU, c’est-à-dire qu’on ne peut pas aller au-dessus en termes de protection d’anticorps. On avait déjà eu l’occasion d’en parler dans une vidéo antérieure de Medscape ; le taux d’anticorps n’est pas un synonyme de protection et, d’ailleurs, je conseillais de ne pas doser les anticorps pour savoir chez qui il fallait ou non refaire une vaccination. Ce patient en est la preuve typique, il n’y a pas de bonne corrélation anticorps/protection. On peut ne pas avoir d’anticorps et une bonne défense cellulaire et ne pas être infecté, et, comme ici, avoir des anticorps au plafond et faire quand même une forme sévère de COVID.
Mais ce qui pose question, c’est que ces patients-là, on ne les voyait plus. Alors est-ce que c’est parce que le patient est trop distant par rapport à sa dernière dose ? On sait que, plus que le taux d’anticorps, c’est probablement la distance à la dernière dose qui est un facteur prédictif d’arrivée de COVID. On avait une règle qui était « si vous n’avez pas de comorbidités, si vous n’avez pas d’immunodépression, normalement avec trois doses vous n’êtes pas à l’hôpital. » Et c’est vrai que c’était efficace et exact jusqu’à la dernière vague, la septième, où on ne voyait plus ce genre de patient.
Alors, est-ce que c’est parce qu’il est trop distant de sa dernière vaccination (qui date de novembre 2021) ou est-ce que nous sommes face à un nouveau variant — le BQ.1.1 — qui a des spécificités qui le rapprochent du virus de Wuhan, avec un tropisme pulmonaire et avec un risque secondaire d’embolie ? C’est une question, et je pense que la suite de la vague va nous confirmer ou non cette typologie de patients.
Patient 2 : COVID avec lésions pulmonaires chez un patient sous AOD
Un autre cas, celui d’un patient de 69 ans qui, pour le coup, a quand même plus d’antécédents, puisqu’il a un antécédent d’AVC pour lequel il ne garde que des minimes séquelles, il a une fibrillation auriculaire, et ce qui est très intéressant chez ce patient, c’est qu’il est traité par anticoagulant oral direct (AOD) et lui aussi est fumeur actif — 6-7 cigarettes par jour. Je vous le rappelle, c’est un facteur de risque, contrairement à ce qui a été dit initialement.
Ce patient va présenter une petite embolie pulmonaire avec une deuxième caractéristique, au cours du COVID, de lésions pulmonaires. Cela, nous l’avions déjà décrit avec la forme de COVID assez typique, où vous pouviez avoir qu’un COVID sous forme d’embolie pulmonaire avec, parfois, des thrombus très importants et l’absence d’image parenchymateuse, qui nous avait fait dire « attention — devant toute embolie pulmonaire en période d’épidémie de COVID, il faut tester le COVID. » Pourquoi ? Parce que si vous trouvez une positivité COVID, cela veut dire que c’est un facteur favorisant et que le patient n’aura un traitement que de trois mois. À l’inverse, si vous ne trouvez pas de COVID et que l’embolie pulmonaire n’a pas d’explication, vous partez pour un traitement plus long. Cela vaut donc toujours le coup de faire une PCR COVID à un patient qui fait une embolie pulmonaire, même sans images, en période d’épidémie de COVID, y compris paucisymptomatique ou sans fièvre.
Ici, on avait à nouveau une embolie, un syndrome inflammatoire, et une triple vaccination avec, encore une fois, un vrai vacciné avec une sérologie positive, 590 en BAU, ce qui est tout à fait correct. Donc on retrouve une typologie de patient un peu différente, mais avec les mêmes caractéristiques qui sont : le COVID peut faire emboliser, y compris sous AOD — c’est pour cela qu’on proposait initialement des HBPM en phase aiguë, parce qu’on n’a jamais eu de rechute sous HBPM, contrairement aux AOD.
Donc on a une deuxième typologie de patient, avec une embolie pulmonaire isolée, y compris sous anticoagulants, donc à surveiller.
Conclusion
L’idée n’est pas forcément d’alarmer, mais de dire aujourd’hui qu'on a l’impression de retrouver à nouveau du COVID tel qu’on l’a connu et cela mérite probablement de rediscuter, de faciliter à aller vers la vaccination pour ceux dont la dernière vaccination date d’il y a plus de 6 mois, et finalement, peut-être aussi plus volontiers chez les gens qui n’avaient pas de comorbidités, chez lesquels on était assez rassurants.
Soyez donc sur vos gardes et ne considérez plus que le COVID récent, et probablement le BQ.1.1, n’est qu’un simple rhume, comme on a pu le considérer à un moment chez une population qui venait juste d’être vaccinée, et pour lequel on avait l’impression qu’effectivement on ne voyait plus de COVID comme cela à l’hôpital.
Je vous remercie et je reviendrai vers vous pour discuter de la vaccination.
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Citer cet article: Cas cliniques « COVID-22 » : que nous apprennent-ils ? - Medscape - 2 nov 2022.
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