Télésurveillance de l’insuffisance cardiaque : le point avec le CNCH

Dr Alain Dibie, Dre Saida Cheggour

Auteurs et déclarations

27 mars 2023

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

TRANSCRIPTION

Saida Cheggour – Bonjour et bienvenue sur Medscape. Nous allons parler de la télémédecine en cardiologie et particulièrement dans l’insuffisance cardiaque. Je suis Saida Cheggour, cardiologue à Avignon avec une activité centrée sur la rythmologie et l’insuffisance cardiaque. Je suis membre du CNCH, en charge du groupe Insuffisance cardiaque et télémédecine dont nous allons discuter avec Alain Dibie.

Je rappelle que le CNCH a sorti récemment son Livre blanc sur l’avenir de la cardiologie hospitalière avec un chapitre sur la télémédecine et des préconisations (téléchargeable ici). Alain Dibie et moi avons participé à la rédaction de ce chapitre. Alain, peux-tu nous parler des principaux axes de télémédecine qui sont utilisés en cardiologie de manière courante ?

Alain Dibie – Merci beaucoup, Saida, je suis très heureux de participer à cette réunion.

En pratique, si on reprend l’historique, la Loi HPST de 2009 avait retenu en télémédecine cinq actes, dont trois sont applicables directement à la cardiologie, qui sont : la téléexpertise, la téléconsultation et la télésurveillance. Ce qui est intéressant dans cette spécialité assez nouvelle, mais maintenant quand même bien connue de l’ensemble des médecins, c’est que la télémédecine doit se développer. Il est clair que normalement cette activité a comme facteur clé d’améliorer l’accès aux soins, en France et sur les territoires les plus isolés. Et si maintenant on le prend de façon plus stricte les activités concernant cette télémédecine en cardiologie, la téléexpertise et la téléconsultation sont dans le droit commun depuis 2018 alors que, pour l’instant, la télésurveillance est toujours en expérimentation avec le programme ETAPES depuis quatre ans et elle doit terminer cette expérimentation en juillet 2023.

Le but de cette revue est de mettre en exergue l’intérêt de la télémédecine au sein des établissements du CNCH ; au cours de la fin de l’année 2019, le PMSI avait retenu pour les établissements publics 44 % d’activité pour le CNCH qui avait donc généré 15 000 actes concernant la téléexpertise et la télémédecine de la surveillance cardiologique.

Quel est l’intérêt de la télésurveillance ?

C’est surtout ce chapitre qui nous intéresse : la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque. Cela s’adresse, bien sûr, à la pathologie chronique et, donc, essentiellement à cette maladie grave qu’est l’insuffisance cardiaque. Et la finalité et l’opportunité de cette technique médicale, ou « de cet apport médical », sont d’améliorer le suivi des pathologies chroniques, de réduire les délais de prise en charge – car vous savez que souvent les malades attendent et lorsque ces malades sont surveillés à l’hôpital, cela permet une prise en charge et de diminuer les hospitalisations ou les réhospitalisations qui sont un élément clé du risque de l’insuffisance cardiaque chronique.

Les limites

Actuellement on sait très bien que pour la télésurveillance, on a quelques limites dans nos établissements : le manque de moyens financiers, la difficulté d’installer la télésurveillance dans les services de cardiologie... Le but, entre autres, du livre blanc, était donc de présenter cela à l’ensemble de la communauté médicale cardiologique en France en sachant que, malheureusement, on aura – et Saida nous parlera de ce sujet – le risque de modifications de la prise en charge avec le décret et le passage en droit commun. Et si je veux revenir sur la télésurveillance de la cardiologie, l’apport majeur de cette spécialité est de détecter précocement les signes de décompensation cardiaque chez des gens qui ont quitté l’hôpital. C’est l’importance et tout le parcours de soins de l’insuffisance cardiaque chronique. La télésurveillance qui se fait avec l’équipe médicale dans un centre hospitalier, ou même dans le privé, est associée à un opérateur industriel qui est capable de fournir un dispositif médical informatisé lui permettant d’avoir des connexions entre le patient qui est à domicile et l’équipe de soignants qui représente l’équipe de télémédecine de télésurveillance. Globalement, le but est de détecter et de surveiller l’apparition précoce et souvent les signes insidieux de décompensation cardiaque qui apparaissent avant la chute ou l’insuffisance cardiaque aiguë. C’est tout l’intérêt de cette surveillance à distance avec le traitement des alertes, bien sûr. Et lorsque les alertes sont traitées précocement, le plus souvent sur des alertes de poids, de fatigue, on est capable rapidement par les équipes – je dis bien les équipes de médecins et de soignants, des infirmières spécialisées en insuffisance cardiaque – de pouvoir intervenir et d’anticiper la décompensation cardiaque par, le plus souvent, des modifications thérapeutiques et l’augmentation souvent des diurétiques. Souvent, cela permet d’éviter, lorsque cette pathologie est bien prise en charge, les réhospitalisations qui sont la complication et le risque majeur, entre autres, de la décompensation cardiaque.

Autre intérêt également, celui de surveiller les systèmes de pacemaker, mais c’est une autre partie de la télémédecine de télésurveillance de l’insuffisance cardiaque. Je pense que le point majeur est là pour nous.

Saida Cheggour – Merci pour ce rappel. Effectivement, ce sont les principaux axes qui sont utilisés en cardiologie et particulièrement dans l’insuffisance cardiaque. Et c’est vrai que la télésurveillance est un gros souci dans les hôpitaux généraux et essentiellement pour l’organisation. Puis il y a eu ce décret du 30 décembre 2022...

L’apport majeur de la télésurveillance en cardiologie est de détecter précocement les signes de décompensation cardiaque chez des gens qui ont quitté l’hôpital.

Les changements après le décret du 30 décembre 2022

Alain Dibie – Reprenons donc le problème d’actualité : ce qui va ou pourrait changer en fonction de la présentation du décret du 30 décembre 2022. Quelles sont les conséquences, malheureusement, sur la pérennisation de la télémédecine et surtout de la télésurveillance ?

Saida Cheggour – Il est vrai que, comme toi, j’ai lu ce décret, ces 2 décrets d’ailleurs, avec beaucoup de difficultés de compréhension. J’ai dû suivre quelques webinaires et surtout celui de la Société française de santé digitale dans laquelle sont intervenu Yann-Maël Le Douarin de la DGOS et Vincent Vercamer pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce décret.

Ce décret a donné une inquiétude importante au niveau des cardiologues avec une lettre ouverte, qui a été rédigée par les cardiologues hospitaliers, par le CNCH, par la Société française de cardiologie, par le Syndicat des cardiologues et par le groupe d’insuffisance cardiaque.

Certains webinaires nous ont un peu éclairés sur les conséquences. Tout d’abord, je peux dire que :

  • au delà des cinq pathologies qui ont été étudiées dans le programme ETAPES, c’est-à-dire l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance respiratoire, l’insuffisance rénale, la surveillance des porteurs de prothèses et du diabète, il va y avoir un guichet qui va permettre à d’autres pathologies d’être surveillées, notamment en ophtalmologie et en psychiatrie.

  • deuxième chose, on ne parle plus d’acte médical de télésurveillance, mais d’une activité de télésurveillance d’équipe. Ceci a des conséquences non seulement sur l’organisation, mais également sur la facturation. C’est-à-dire que dans l’organisation, il va y avoir un médecin et des paramédicaux autour du malade avec une solution de télémédecine, de télésurveillance. La tarification va donner lieu à un forfait unique – c’est très simple à l’hôpital, donc c’est la structure qui va facturer pour tous les intervenants, l’organisation est facile. En revanche, en ville il y a des libéraux qui vont travailler avec des infirmières ou avec d’autres médecins, il faut donc qu’il y ait un médecin qui se déclare opérateur qui va facturer et redistribuer aux autres intervenants. 

  • les exigences de compétences n’ont pas changé. C’est-à-dire que l’activité se prête à une délégation de tâches. Pour l’instant, on reste à une isocompétence pour tous les intervenants – compétence médicale pour les médecins et compétence infirmière pour les infirmiers, il n’y a pas besoin de diplôme supplémentaire.

L’accompagnement thérapeutique

Alain Dibie – Dans cette modification du décret, pourrais-tu faire un point sur, justement, la partie paramédicale, c’est-à-dire ce qu’on appelle l’accompagnement thérapeutique qui ne serait plus autorisé par les industriels, mais qui serait vraiment revenu dans l’équipe globale des soignants qui prennent en charge la télémédecine ou la télésurveillance ?

Saida Cheggour – Ce n’est pas un acte médical – il est pluridisciplinaire. Donc l’accompagnement thérapeutique ne pourra plus se faire avec les industriels, mais ce sera l’équipe en charge de la télésurveillance qui va le faire. Donc, médecin paramédical à l’hôpital, cardiologue libéral en ville avec une autre infirmière libérale ou un autre médecin. Il y aura un seul opérateur qui se déclare et qui reverse le forfait – il y aura un forfait unique qui sera reversé, divisé entre les intervenants.

Alain Dibie – N’est-ce pas un peu décourageant ?

Saida Cheggour – Je pense qu’il va y avoir des exemples types de partenariat, de convention, de choses qui vont être organisées pour faciliter la tâche des intervenants. Ce décret a permis de mettre en place un cadre pour l’organisation.

Autre chose : il définit des normes pour les solutions de télémédecine. Il y a une certification de ce qu’on appelle les DMN, les dispositifs médicaux numériques. Donc il y a d’abord l’Agence nationale du numérique qui va les certifier, qui va vérifier la conformité sur l’interopérabilité, sur la sécurité et le traitement des données, sur la facilité de connexion des patients et leur sécurité. Une fois qu’ils sont certifiés, c’est la Haute Autorité de Santé (HAS) qui va les évaluer et il y aura une liste de dispositifs qui sont certifiés et s’ils ne figurent pas sur cette liste, ils ne pourront pas être utilisés et ils ne pourront pas être remboursés. Il y a donc des exigences d’interopérabilité et de sécurité, d’hébergement des données, de leur traitement. Actuellement, il y a des hébergements en dehors de l’Europe, il y a des réglementations européennes qu’il faudra appliquer. Est-ce que toutes les soumissions qui sont actuellement dans ETAPES vont être reconduites ? La réponse est non. Il faut qu’ils soient conformes à ces exigences. Donc ils ont certainement, à partir de juillet, le temps pour le faire et pour certifier et évaluer par la HAS qui va les inscrire sur la liste.

Alain Dibie – Que penses-tu justement de cette période où, dans les services, on a une activité de télésurveillance dans l’insuffisance cardiaque et on est dans l’obligation, probablement, de changer d’industriel parce qu’ils vont quitter l’application dans ce métier-là ?

Saida Cheggour – Je pense qu’on aura une période d’adaptation, forcément, et il faut savoir que pour l’hôpital il y a quand même deux obligations – enfin pour toutes les structures –, mais pour l’hôpital, non seulement une convention de partenariat comme on a fait dans ETAPES, mais, deuxième chose, il va falloir un appel d’offres. La loi des marchés publics s’applique. On va donc faire un appel d’offres et on prendra ceux qui auront répondu à l’appel d’offres. Et ne pourront répondre à l’appel d’offres que ceux qui sont certifiés et conformes aux exigences.

Alain Dibie – Exact. Très bien. Est-ce que tu as d’autres points majeurs qui intéressent les soignants et les gens qui participent actuellement, y compris d’ailleurs les directeurs d’hôpitaux, sur cette situation… qui n’est pas tout à fait déterminée et où les tarifs ne sont pas fixés ? Parce que le problème des tarifs restera majeur et on a un peu peur. Et c’est une des raisons de la lettre, d’ailleurs, du syndicat qui avait appuyé là-dessus en disant qu’ils avaient une crainte de voir se débobiner tout le programme ETAPES, qui a été assez vertueux, qui a amené les hôpitaux à cette activité qui ont donné le goût et surtout qui ont apporté l’intérêt de la télésurveillance de ces maladies chroniques dans le parcours de soins.

Saida Cheggour – Actuellement les discussions sont toujours en cours et il n’y a pas de tarification fixe. On espère qu’elle sera favorable au maintien de cette activité. Il est évident que nous, dans les hôpitaux, on peut maintenir cette activité que si on a un financement à la hauteur de ce qui était dans ETAPES, c’est quand même difficile de maintenir en dessous. Et comme les discussions sont toujours en cours, on l’espère. Je pense que cela ne va pas tarder à sortir.

Compétences médicales

Alain Dibie – Très bien. Et est-ce que tu as d’autres points majeurs ? Parce que je pense qu’on peut apporter, peut-être, maintenant, une conclusion à cette présentation – avec des points que tu as peut-être soulevés. Et sur le plan médical, est-ce que tu as des remarques complémentaires ?

Saida Cheggour – Sur le plan médical, qui peut faire la télésurveillance, qui peut la prescrire ? C’est un médecin. Qui peut la réaliser ? Un cardiologue ou un médecin généraliste ayant le DU d’insuffisance cardiaque. Et qui peut parmi les paramédicaux ? Pour l’instant, c’est une infirmière diplômée d’État. La solution, qui est la solution numérique – on l’a définie tout à l’heure – doit être conforme aux exigences de la liste qui va arriver.

Alain Dibie – Mais est-ce qu’il y a encore l’obligation de faire le DU d’insuffisance cardiaque pour les infirmières qui participent à l’équipe de télésurveillance de l’insuffisance cardiaque ?

Saida Cheggour – Dans le décret, non. C’est une isocompétence, c’est-à-dire, une compétence d’infirmière diplômée d’État. Pour le cardiologue, pour le prescripteur, c’est un médecin, un médecin généraliste, un médecin cardiologue, un gériatre, et pour celui qui la fait, un diplôme de cardiologie.

Livre blanc du CNCH : préciser le périmètre de la téléconsultation

Alain Dibie – Très bien. Si vous êtes d’accord, on pourrait juste apporter une petite conclusion qui a été soulignée sur le travail fait dans le livre blanc par la CNCH sur la télésurveillance et ils avaient des propositions assez concrètes qui seront applicables ou non, mais qui résument un peu l’état esprit – c’était de préciser le périmètre de la téléconsultation. Alors, on sort un peu de la télésurveillance, mais on parle de la télémédecine.

La téléconsultation a un intérêt surtout si elle s’enrichit avec des systèmes qui permettraient de faire à distance des examens complémentaires ou des électrocardiogrammes surtout, parce que la rentabilité diagnostique d’une simple consultation en premier accès me paraît insuffisante où, donc, là, il y a un problème de développement d’une technologie.

La deuxième chose intéressante, c’est la délégation de tâches pour les examens complémentaires et la capacité de faire dater les consultations peut-être par des infirmières bien formées avec des protocoles de coopération adaptés – donc c’est une aide parce qu’on sait qu’on manque de cardiologues.

La proposition suivante était de pouvoir bien améliorer, aussi, la compétence de la téléexpertise pour les centres ou les hôpitaux qui ont des hôpitaux qui sont dans le même secteur qu’eux, et qui permettent, à distance, d’explorer, de faire des examens complémentaires et de les transmettre pour validation et analyse par le médecin référent cardiologue, alors que l’examen aura été fait sur place, dans un établissement où ils ne peuvent pas l’interpréter. C’est toujours intéressant de faire cette téléexpertise. Bien sûr, il faut avoir des unités dédiées, et c’est un point majeur, mais on rentre un peu dans ce domaine qu’on connaît bien de téléconsultations, de télémédecine et de télésurveillance, surtout de télésurveillance cardiaque dans les services, avec des infirmières et des médecins qui sont issus de nos services, en général avec une discussion au niveau de l’équipe… ce sera plus simple lorsque le décret de passage en acte de droit commun pour la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque sera publié, donc nous sommes encore un peu en attente, en espérant que cela sera positif et non pas au détriment des patients, parce qu’au fond, l’intérêt est de diminuer les réhospitalisations et de mieux soigner les patients.

Saida Cheggour – En dehors de la télésurveillance, il y a la téléexpertise qui n’est pas valorisée,non plus, donc c’est pour cela qu’elle ne se développe pas beaucoup.

Alain Dibie – Oui. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il y avait une recommandation de mieux mettre en évidence la façon de pouvoir bien coter ces actes-là, qui sont des actes médicaux qui peuvent être faits par un premier médecin ou par un technicien d’enregistrement d’examens à distance avec l’aide de l’intelligence artificielle en donnant des examens de très bonne qualité, qui peuvent être interprétés par le médecin référent du centre référent cardiologique, puisque c’est notre spécialité. Mais encore faut-il que cela soit bien coté.

Saida Cheggour – Merci, Alain. Merci pour cette réunion. 

 

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