ACC : 3 études clés commentées par Gabriel Steg et Walid Amara

Pr Gabriel Steg, Dr Walid Amara

Auteurs et déclarations

8 mars 2023

Gabriel Steg et Walid Amara commentent 3 études clés du congrès de l’ACC 2023 : TRILUMINATE, BIOVASC et CLEAR Outcomes.

 

TRANSCRIPTION

Walid Amara – Bonjour et bienvenue sur Medscape. Je suis Walid Amara et j’ai l’énorme plaisir d’être avec Gabriel Steg au congrès de l’American College of Cardiology . Nous avons fait le choix de traiter de quelques études qui nous ont marqués.

TRILUMINATE : réparation transcathéter efficace de la valve tricuspide en cas de régurgitation

Walid Amara – Commençons par l’étude TRILUMINATE [publiée dans le NEJM ] qui s’intéresse au clip tricuspide pour les patients inopérables, qui ont des fuites tricuspides sévères. [1] Qu’est-ce que cela a donné et qu’est-ce que tu en as pensé ?

Gabriel Steg – Cela montre que le clip tricuspide marche pour réduire la fuite tricuspide – on le savait déjà, puisqu’on avait eu les résultats aigus. En termes de devenir des patients, mais cela améliore leur qualité de vie et leur statut fonctionnel, cela n’améliore pas, ou en tout cas on n’arrive pas à le voir pour l’instant avec le nombre de patients inclus, leur devenir clinique. Et c’est un peu, pour moi, un verre à moitié vide ou un verre à moitié plein. Bien sûr, c’est important d’améliorer le statut fonctionnel et on sait que cette valve tricuspide est importante, les patients sont gênés, ils sont symptomatiques. On a longtemps dit « c’est la valve oubliée »…  Là, on s’aperçoit qu’on les améliore sur le plan fonctionnel. Mais on est un peu déçu de ne pas améliorer le devenir clinique de ces patients et, en plus, l’amélioration du statut fonctionnel dans une étude en ouvertcomme celle-là, par définition, est toujours à prendre avec des pincettes, parce que quand on fait une procédure invasive aux gens et qu’on leur dit « on va vous améliorer », il est naturel qu’une partie d’entre eux se trouve améliorée du simple effet placebo si je puis dire, de la procédure.

Donc je trouve que c’est intéressant, mais pas encore entièrement convaincant. Peut-être que le suivi à plus long terme et l’augmentation de la cohorte (car les inclusions ne sont pas terminées dans TRILUMINATE) et la présentation des résultats définitifs seront plus convaincants. Je ne cache pas que j’étais un peu surpris qu’on présente une étude en cours d’inclusion.

Walid Amara – Il y a, d’ailleurs, normalement, une étude française [TRI-FR] dont les inclusions ont été terminées, on est donc en cours de suivi.

Gabriel Steg – Absolument. Et peut-être que l’étude française donnera des résultats différents de l’étude américaine – c’est déjà arrivé dans le passé.

BIOVASC : pour une revascularisation complète immédiate dans les SCA ?

Walid Amara – Toujours dans le domaine de la cardiologie interventionnelle, l’étude BIOVASC [publiée dans le Lancet ] s’intéresse à une situation très pratique de dire « chez un patient avec un syndrome coronaire aigu (SCA) qui a plus d’une lésion, est-ce qu’il faut tout revasculariser d’un coup ou est-ce qu’il faut revasculariser la lésion culprit et attendre pour faire la deuxième ? [2]

Gabriel Steg – C’est un sujet important et qui me tient à cœur – cette question m’intéresse beaucoup. Il y a vraiment des avantages et des inconvénients aux deux stratégies. On voit bien qu’aller faire un tritronculaire à 3 h du matin tout seul, quand on est en pleine phase aiguë d’infarctus, c’est quand même compliqué, cela a des inconvénients, mais faire deux procédures invasives à quelques jours d’intervalle à un patient, ce n’est pas non plus idéal. Peut-être que cela rallonge la durée de séjour, est-ce que les patients ne vont pas avoir des récidives ischémiques en intervalle, etc.

Dans cette étude européenne conduite par Roberto Diletti à Erasmus Medical Center, à Rotterdam, ils ont randomisé un bon nombre de patients entre les deux stratégies ; c’était une étude de non-infériorité qui visait à montrer que la stratégie de revascularisation complète immédiate en urgence donnait des résultats non inférieurs à la revascularisation par étapes. Et ils ont montré que c’était effectivement non inférieur, mais, en réalité, les résultats semblent même meilleurs dans le bras de revascularisation complète immédiate avec, notamment, une réduction des infarctus du myocarde. Ce résultat est présenté et il est très statistiquement significatif avec des courbes de Kaplan-Meier impressionnantes, des valeurs de p qui sont là, un très beau papier dans le Lancet  [2] – mais je ne suis pas entièrement convaincu pour deux raisons.

  • La première est qu’on ne sais pas encore ― en tout cas, je n’ai pas vu les données de sécurité ― ce qui se passe en termes de fonction rénale. Qu’est-ce qui se passe en termes de problèmes d’abord vasculaire, de saignement ? Quelles étaient les cothérapies que ces patients ont reçues ? C’est un premier point qui mérite d’être regardé.

  • Et puis, surtout, l’essentiel de la différence et du bénéfice d’une stratégie de revascularisation immédiate ― qui, par ailleurs, a beaucoup d’inconvénients, comme on l’a vu ― est drivé par la réduction des infarctus du myocarde. Or, il y a un problème théorique tout à fait fondamental dans l’évaluation des infarctus du myocarde chez les gens qui sont en train de faire un infarctus du myocarde, c’est qu’en phase aiguë on ne peut quasiment jamais diagnostiquer un réinfarctus, alors que si on attend quelques jours que les troponines se normalisent, ensuite c’est très facile d’attraper une réélévation de troponine. Donc, il y a une asymétrie fondamentale dans l’évaluation de l’infarctus entre les deux bras de traitement : celui qui est revascularisé tout de suite n’aura jamais de réinfarctus et celui qui est revascularisé dans quelques jours est très sensible à la moindre réélévation de troponine.

J’aimerais donc voir quel genre d’infarctus sont ces infarctus – est-ce que cela n’est pas, simplement, ce problème d’évaluation méthodologique qui drive cette différence ? C’est important, parce que je trouve que dire comme message que demain on doit faire la revascularisation complète en urgence tout seul à 3 h du matin, cela risque de ne pas être confortable pour les opérateurs et, peut-être, dangereux pour les patients. Parce qu’on est tout seul, on n’a pas le regard des collègues, on n’a pas une évaluation d’équipe, on a la nécessité d’injecter beaucoup de contraste, et de faire des procédures parfois complexes tout seul. Et on sait, en plus, qu’en période aiguë il y a une vasoconstriction généralisée qui fait qu’on peut surestimer les lésions, les patients ne sont pas toujours encore bien chargés par les antiplaquettaires oraux. Enfin, il y a toute une série d’inconvénients théoriques et pratiques qui font que je suis un peu réservé sur l’idée de demain me mettre à faire de la revascularisation complète en phase aiguë.

Je suis un peu réservé sur l’idée de, demain, me mettre à faire de la revascularisation complète en phase aiguë. - Dr G. Steg

 

Walid Amara – Je me suis dit que comme il y avait des STEMI et des non-STEMI, probablement, à 2 h du matin on restera dans les stratégies conventionnelles, mais on peut imaginer qu’à des heures ouvrables avec deux lésions simples (pas des lésions complexes), peut-être qu’on aurait envie de revasculariser et raccourcir l’hospitalisation.

Gabriel Steg – Je crois que c’est très raisonnable. C’est-à-dire que si les lésions sont simples, c’est vrai qu’on n’est pas obligé de faire un truc par étapes. Mais je ne voudrais pas qu’on se sente obligé en se disant « les études montrent la supériorité d’une stratégie sur l’autre », surtout si cette supériorité est artificielle par des problèmes méthodologiques, qu’on se sent obligé d’aller se lancer dans des troncs communs complexes à 3 h du matin parce qu’une étude l’a montré.

CLEAR OUTCOMES : l’acide bempédoïque efficace chez les intolérants aux statines en prévention CV

Walid Amara – Il y a une autre étude, dans le domaine des médicaments, cette fois-ci. C’est un médicament dans le domaine des lipides qui s’appelle l’acide bempédoïque et là on a l’étude de OUTCOMES qui s’appelle CLEAR OUTCOMES [publiée dans le NEJM ], dans laquelle les chercheurs se sont intéressés à des patients intolérants aux statines. [3] Est-ce que tu peux nous dire ce que cela a montré ?

Gabriel Steg – C’est un sujet important parce que les patients intolérants aux statines ont été relativement peu étudiés jusqu’ici. Avec des nouveaux traitements, les inhibiteurs de PCSK9 ont été donnés chez des patients sous statines, l’ézétimibe chez des patients sous statines, les nouveaux médicaments type inclisiran sont testés chez les patients sous statines etc. donc, là, on a quelque chose à proposer aux patients intolérants aux statines qui, comme tu le sais, jusqu’à récemment ne qualifiaient pas pour les inhibiteurs de PCSK9, par exemple. Et l’acide bempédoïque entraîne une réduction du LDL-cholestérol qui est modérée à moyenne – ce n’est pas un médicament très puissant, mais cela fait baisser le LDL-cholestérol et, en particulier, c’est assez synergique avec l’ézétimibe. On le savait, et ce qui a été étudié dans CLEAR OUTCOMES, c’est : « est-ce que cela améliore le pronostic des patients ? » Et la réponse est oui – cela réduit indiscutablement les événements ischémiques d’environ 20%-23% si je me souviens bien, de façon très statistiquement significative, notamment l’infarctus du myocarde, les revascularisations coronaires. Il n’y a pas d’effet sur l’accident vasculaire cérébral et il n’y a pas d’effet – et c’est un peu une déception – sur la mortalité toutes causes ou la mortalité cardiovasculaire. Et on est toujours un peu déçu qu’un médicament qui réduit d’un quart les infarctus n’ait aucun signal d’efficacité sur la mortalité toutes causes ou la mortalité cardiovasculaire.

On est toujours un peu déçu qu’un médicament qui réduit d’un quart les infarctus n’ait aucun signal d’efficacité sur la mortalité toutes causes ou la mortalité cardiovasculaire.

 

En termes de tolérance, c’est globalement bien toléré avec un léger excès de goutte et de lithiase vésiculaire. Je pense que c’est une arme en plus dans l’arsenal thérapeutique, notamment pour ces patients qui sont intolérants aux statines. La question à 1 million $ à laquelle nous n’avons pas la réponse est : « est-ce que cela aurait aussi bien marché chez des patients sous statines ? » Et je pense qu’il faut quand même être prudent, parce que ce n’est pas sûr qu’on aurait eu nécessairement le même résultat chez les patients sous statines.

Walid Amara – Parce que c’est la même voie, puisqu’il agit juste en amont de l’inhibiteur HMG-CoA réductase.

Gabriel Steg – Oui, c’est redondant.

Walid Amara – Merci beaucoup Gabriel et merci à tous d’avoir suivi ce choix de trois études. Vous avez plein d’autres informations sur le site. Et à bientôt !

 

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