Les Drs Romain Boulestreau (CHU de Bordeaux) et Benoît Lequeux ( CHU de Poitiers) du Club des Jeunes Hypertensiologues commentent les études clés dans l’hypertension artérielle (HTA) présentées au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2022 : focus sur les stratégies médicamenteuses avec les essais BrigHTN, FRESH, PRECISION, QUARTET-USA et SPYRAL HTN-ON MED.
TRANSCRIPTION
Benoît Lequeux — Bonjour à tous, nous allons parler aujourd'hui des actualités qui ont été assez riches dans l’hypertension artérielle au congrès de l’AHA 2022. Je suis le Dr Benoît Lequeux, je fais partie du Club des Jeunes Hypertensiologues (CjH) et je vais modérer cette session avec le Dr Romain Boulestreau, également membre du CjH.
Nous allons entrer dans le vif du sujet avec une session vraiment intéressante sur le plan médicamenteux. Cela fait très longtemps qu’il n’y avait plus d’études sur de nouveaux traitements dans l’hypertension artérielle (HTA), et Romain je propose que tu nous parles un peu des différents traitements qui ont été présentés. Il y a eu plusieurs études et je propose de commencer par l’étude FRESH.
FRESH : résultats négatifs pour le firibastat dans l'HTA résistante
Romain Boulestreau — Effectivement, c’était un congrès extrêmement riche en nouveautés pharmacologiques et cela fait plaisir, puisqu’on avait l’impression, dans l’hypertension artérielle, que les traitements étaient tout le temps les mêmes et qu’on n’avait besoin de rien de plus. Là, on a quelques nouveautés dont on va en parler rapidement. Commençons par FRESH , on va aller très vite — vous allez comprendre pourquoi. C’est une très belle histoire française, avec le firibastat, un antagoniste de la conversion de l’angiotensine-2, que tout le monde connaît, en angiotensine-3, que vous connaissez sûrement moins, qui est au niveau cérébral et qui se transforme après en angiotensine-4 et qui fait monter la pression artérielle en agissant sur le système nerveux central. Une très belle histoire qui commence ici et qui, malheureusement, dans l’HTA résistante, contre placebo, ne montre pas de baisse tensionnelle à 4 mois. Donc un essai qui est négatif et d’ailleurs Quantum Genomics, la start-up qui portait cette molécule, s’est arrêtée, donc on n’en entendra plus parler. Mais c’était un beau modèle physiopath et une belle découverte.
DCP : chlorthalidone vs hydrochlorothiazide dans l’HTA
Dans les études négatives, un petit aparté, parce que ce n’est pas une nouveauté : il y a eu la chlorthalidone versus le hydrochlorothiazide en prévention cardiovasculaire [essai Diuretic Comparison Project (DCP)]— c’est neutre. La chlorthalidone fait aussi bien que l’hydrochlorothiazide et cela tombe bien, puisque nous, on a l’hydrochlorothiazide en France, on n’a pas la chlorthalidone, donc cela nous arrange .
BrigHTN : le baxdrostat réduit la TA dans l’HTA résistante
Revenons dans les nouveautés : après l’angiotensine-3, on va parler de l’inhibition de la sécrétion d’aldostérone avec l’étude BrigHTN . [1]
Vous connaissez tous l’aldostérone et l’hyperaldostéronisme primaire. On sait qu’en quatrième ligne, après le calcique, l’IEC ou l’ARA2, le diurétique est un bloqueur des récepteurs minéralocorticoïdes qu’on doit mettre en cas d’HTA sévère et résistante, avec des résultats de -20 mmHg de pression artérielle parfois, donc excellents. On a une quadrithérapie combinée qui associe tout cela, donc tout est très bien, sauf que la spironolactone a des effets secondaires, l’éplérénone aussi. La spironolactone, en particulier, a une gynécomastie importante et on peut avoir une hyperkaliémie parfois sévère sous spironolactone et sous éplérénone, avec un effet qui est dose-dépendant.
Donc on avait besoin d'options différentes et meilleures, et les inhibiteurs de la sécrétion d’aldostérone sont depuis très longtemps une voie extrêmement intéressante, mais on n’arrivait pas à avoir la bonne molécule. Et on a maintenant un bon inhibiteur, très sélectif, puisqu’il va baisser — dans cette étude on le voit très bien — les taux d’aldostérone sérique et urinaire de façon très importante sans modifier la concentration de cortisol, alors que les 2 molécules se ressemblent à plus de 93 %. Donc on a une inhibition extrêmement sélective et avec des résultats dans l’HTA résistante de l’ordre de -15 mm Hg à -20 mm Hg à 3 semaines chez des patients qui ont déjà pour 100 % d’entre eux des diurétiques, 70 % d’entre eux des calciques et 90 % d’entre eux des bloqueurs du SRA, donc plutôt des patients qui sont bien traités. Et surtout avec des effets indésirables qui sont extrêmement rares : il y a une hyperkaliémie à plus de 6 dans le groupe baxdrostat (c'est le nom de la molécule) et dans ce groupe-là, il y a une hyperkaliémie à plus de 6 sur 70 patients. Dans les autres groupes, on avait 70 patients dans le groupe placebo, 70 patients dans le groupe 0,5 mg, 1 mg et 2 mg, donc le groupe dont je viens de vous parler. Donc, là encore, une belle nouveauté.
PRECISION : l'aprocitentan dans l’HTA résistante
Une autre nouveauté qu’on attendait aussi depuis longtemps, c'est l’essai PRECISION , qui présente les inhibiteurs de l’endothéline-1 récepteurs A et B. L’endothéline, on la connaît depuis longtemps, c’est un peptide sécrété par l’endothélium vasculaire, qui est le plus puissant vasoconstricteur qui existe dans nos corps, mais qui a aussi, à forte dose, des événements indésirables de type fibrose, inflammation, apoptose, hypertrophie, etc. C’est une molécule qu’on attendait depuis longtemps dans l’hypertension artérielle, d’autant qu’elle existe déjà dans l’hypertension artérielle pulmonaire et qu’elle marche assez bien. On l’a maintenant, c’est l’aprocitentan, qui a été essayé dans un bel essai : on prend des hypertendus résistants, on les met tous sous trithérapie combinée — inhibiteur calcique, bloqueur du SRA, diurétique — tout le monde perd 10 mm Hg d’emblée, et ensuite on ajoute du placebo ou aprocitentan 12,5 mg ou 25 mg et on obtient à six semaines une baisse de 6 mm Hg dans le groupe aprocitentan 25 mg. Vous pouvez dire que ce n’est pas beaucoup, mais en fait, à ce stade-là, chaque mm Hg compte. Et puis l’essai ne s’arrête pas là : on met tout le monde sous aprocitentan 25 mg et on voit que tout le monde baisse sa pression artérielle, et puis au bout de 36 semaines l’effet est maintenu et là, on randomise à nouveau placebo versus aprocitentan 25 mg et on voit que les gens randomisés sous placebo remontent leur pression artérielle, donc on voit un effet hypotenseur qui est maintenu, qui est certain, qui est réversible.
Par contre, il y a pas mal d’effets secondaires, puisqu’on a autour de 15 % des patients qui ont des œdèmes des membres inférieurs qui se traitent facilement par diurétique, qui sont connus, puisque dans l’HTAP on a la même chose, mais dont il faut tenir compte pour une nouvelle molécule, puisqu’on se rappelle que dans cette indication – HTA résistante quatrième ligne – on a déjà la spironolactone qui marche bien, donc il faut tenir compte de ces effets secondaires. On espère que l’aprocitentan va nous apporter une protection cardiovasculaire peut-être supérieure, puisqu’elle agit sur l’endothéline, qui est une voie d’action que pour l’instant on ne touchait pas du tout avec les traitements antihypertenseurs. Et là, on pense évidemment au diabète, aux iSGLT2 ou aux analogues du GLP-1 qui, indépendamment de l’HbA1c, vont mieux protéger les malades. Et ma position est que si l’aprocitentan peut nous apporter la même chose, indépendamment des mmHg, et mieux protéger nos malades, ce sera une molécule très intéressante. Si elle ne fait finalement pas mieux que ce qu’on a déjà avec plus d’effets secondaires, elle aura une place plus difficile à trouver.
Dernière chose, je n’en parle pas longuement parce que ce ne sont pas encore des données très fortes dans l’hypertension artérielle, mais vous savez qu’on a les agonistes du GLP-1 et du peptide gastro-intestinal qui donnent des pertes de poids extrêmement importantes (jusqu’à 30 %) et qui sont développés dans le diabète et dans le surpoids ; ils commencent à arriver avec des études dans l’hypertension artérielle et à montrer des baisses douces de pression artérielle, chez les patients normotendus pour l’instant [étude SURMOUNT-1]. [2] Donc on attend avec impatience, de voir ce que cela donnera chez les hypertendus. Voilà pour les nouvelles molécules.
Benoît Lequeux — Tous ces essais sont dans le cadre de l’HTA résistante et c’est vrai que le moindre point gagné est important.
QUARTET-USA : effet de la quadrithérapie
Benoît Lequeux — Il y a une autre étude qui a retenu notre attention, qui a une approche un peu identique au traitement de l’insuffisance cardiaque, dans laquelle on parle des « quatre fantastiques » à mettre à petite dose. Cette étude s’appelle QUARTET-USA [3] justement, et porte sur l’utilisation de traitements antihypertenseurs à petite dose. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Romain Boulestreau — Oui, on parle beaucoup de nouvelles molécules et c’est très bien, mais il ne faut pas oublier les fondamentaux. Il ne faut pas oublier que dans l’hypertension artérielle, il y a plein de mécanismes qui régulent la pression, et que ce sont des mécanismes qui se compensent. Donc si vous donnez une monothérapie à forte dose, vous êtes moins efficace que si vous donnez une bithérapie unidose, puisqu’on va être synergique. Dans cet état d’esprit, QUARTET (publié en 2021[4]) et dont la suite est QUARTET-USA, on va mettre 2 mg d’ARA2, donc un quart de dose, et on va mettre 1,25 mg d’amlodipine, 0,625 mg d’hydrochlorothiazide et une toute petite dose de bêtabloquants – un quart de dose aussi. Donc on voit des doses filées et on va comparer cette quadrithérapie d’emblée à une monothérapie par ARA2 pleine dose, 8 mg.
On voit alors qu’à 12 semaines on a -6 mmHg dans le groupe quadrithérapie versus monothérapie avec 4 % d’événements indésirables versus 2,5 %. Cela nous rappelle la physiopathologie de l’hypertension artérielle, le fait que tous les systèmes qui contrôlent la pression sont combinés et que quand on met des associations, on est synergique. Et cela rappelle évidemment les recommandations les plus récentes qui disent qu’il ne faut pas s’acharner avec une monothérapie – quand on ne contrôle pas les patients, il faut rapidement passer à une bi- voire une trithérapie. Et vous savez que les recommandations européennes préconisent carrément de commencer par une bithérapie d’emblée, on pourra en parler une autrefois.
Voilà donc pour les médicaments, plein de choses intéressantes, mais je crois qu’il y a aussi des données sur la dénervation rénale, et là, c’est plutôt ton secteur. Qu’est-ce que tu peux nous en dire, Benoît ?
SPYRAL HTN-ON MED : autre essai pour la dénervation rénale
Benoît Lequeux — On a eu une nouvelle étude, SPYRAL HTN–ON MED, [5] sur la dénervation rénale par le cathéter Medtronic Spyral. Donc je ne reviens pas sur tout l’historique de la dénervation rénale, qui commence déjà à avoir pas mal d’années, on en parle depuis un bout de temps. Finalement cette étude s’est intéressée au traitement par dénervation chez des gens qui étaient hypertendus et traités par un, deux ou trois traitements — c’était les critères d’inclusion – des patients hypertendus qui avaient un traitement, randomisés en 2:1 avec deux fois plus de patients dans le groupe dénervation que dans le groupe traitement sans la dénervation, et qui avaient un traitement médical. Le critère principal de jugement était la MAPA des 24h et la safety de la technique.
Sur le critère primaire principal, il n’y a pas de différence entre les deux groupes, sauf que malheureusement, comme beaucoup d’études, le COVID est passé par là, et on s’aperçoit que 80 % des patients ont été inclus durant la phase de pandémie et si on regarde le sous-groupe, ce sont des gens qui ont été inclus juste avant la pandémie ; en fait, le critère primaire qui était la MAPA, revenait significatif. Donc c’est quand même la première chose. La deuxième chose est que sur un critère clinique, la pression artérielle était moins importante dans le groupe dénervé, avec ou sans l’effet pandémique. Et il y a un critère secondaire qui est, je trouve, assez intéressant, qu’on appelle le win ratio. C’est une combinaison de la réduction de la pression artérielle avec la réduction de la charge médicamenteuse. Cela permet d’avoir vraiment l’effet de la radiofréquence et là, le win ratio est très en faveur de la dénervation. Donc cela montre clairement qu’on a une efficacité de la dénervation.
Il faut savoir que dans l’étude, les gens qui n’avaient pas eu la dénervation avaient augmenté les traitements. Donc c’est vrai que cela a été compliqué, la gestion dans la pandémie. Mais en tout cas, cela montre le bénéfice de la dénervation qui commence à être acté et reconnu au point, comme vous le savez, que la HAS s’est positionnée sur l’utilisation de cette technique en début d’année avec un avis favorable à son utilisation. Actuellement, on attend tout simplement le prix du cathéter, qui n’est certes pas donné, mais il y a des négociations en cours et j’espère que cette technique sera accessible hors registre ou études, comme c’est le cas actuellement, pour pouvoir le faire bénéficier à plus de patients.
Conclusion
Benoît Lequeux — On a vu un ensemble d’essais avec une actualité riche pendant le congrès de l’AHA. C'était assez surprenant de voir toutes ces études.
Et on va avoir d'autres surprises aussi, comme le développement des ARN interférents dans l’hypertension artérielle , et plein de choses nouvelles dans le milieu : je vous invite, pour voir toutes ces actualités, à vous inscrire et venir au congrès des JHTA , qui aura lieu les 15 et 16 décembre à Paris, en présentiel. . Et j’en profite pour remercier Medscape qui nous accompagne sur ces vidéos et qui nous permet de vous parler de toutes ces actualités.
Merci à vous et merci Romain !
Romain Boulestreau — merci, Benoît.
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Citer cet article: L’essentiel de l’hypertension artérielle à l’AHA 2022 - Medscape - 28 nov 2022.
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