Enregistré le 9 novembre 2022
Alors que nous sommes passés d’une « obligation vaccinale politique » dictée par des lois de santé publique à des décisions de prescription médicale revenant « enfin » aux médecins, Benjamin Davido et Colas Tcherakian partagent leurs réflexions et questionnements sur la vaccination anti-COVID actuelle : pourquoi vacciner ? Qui, quand, et avec quoi ?
TRANSCRIPTION
Benjamin Davido – Bonjour à tous, bienvenue sur Medscape. Je suis Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, et j’ai le plaisir d’échanger aujourd’hui avec Colas Tcherakian, qui est pneumologue à l’hôpital Foch. Nous allons parler de la vaccination et du COVID. Je te laisse te présenter, si tu veux rajouter des choses.
Colas Tcherakian – Je suis pneumologue à l’hôpital Foch effectivement, et nous travaillons sur le déficit immunitaire et faisons de la pneumologie courante. Nous voyons encore du COVID, et je pense que c’est pour cela qu’on a envie d’en discuter tous les deux.
Pourquoi se faire vacciner aujourd’hui ?
Benjamin Davido – Concernant cette vaccination et du COVID au sens large, je voulais savoir quel était ton ressenti sur le fait qu’il y a toujours du sens à se faire vacciner avec Omicron, et naïvement, j’ai envie de te dire : pourquoi?
Colas Tcherakian – Il y a un sens et on va en discuter. Omicron, c’est vrai qu’on l’a vu arriver comme la forme la plus légère des COVID. Et c’est vrai que quand la vague, au début, est arrivée, elle est passée dans une population très bien vaccinée « comme une lettre à la poste », et tout le monde l’a expérimentée avec le sentiment que c’était un peu un « rhume ». Mais on voit aujourd’hui, à distance des vaccinations, qu’Omicron est aussi un tueur. Il peut vous envoyer à l’hôpital, vous tuer, vous faire passer par la réanimation. Et il y a des données sur la sévérité de cette maladie quand on arrive en réanimation. Je crois qu’il faut maintenant se retirer l’idée de la tête qu’Omicron est juste un rhume. Omicron est une forme de COVID qui a été plus légère chez les gens bien vaccinés et qui peut, à nouveau, avoir des effets très délétères chez les gens à distance d’une vaccination.
Benjamin Davido – On peut d’ailleurs rappeler ce chiffre début novembre 2022 : environ 20 000 patients hospitalisés en France en médecine conventionnelle, avec, c’est vrai, une partie qui sont des COVID dits « accessoires » – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas que le COVID, ou plutôt d’autres pathologies et le COVID –, mais il y a tout de même 10 000 personnes en réanimation. Et comme tu le soulignes, des études ont montré la sévérité une fois admis en réanimation chez des patients particulièrement vulnérables, il y a une létalité, une mortalité aussi forte qu’avec le variant Delta à 1 an d’écart, ce qui n’est pas forcément évident lorsqu’on n’est pas médecin.
Donc justement, comme on parle de ce fardeau, puisque les vaccins qui ont été souvent critiqués ont bien montré leur efficacité sur la protection des formes sévères et de la mortalité, ces nouveaux vaccins, peux-tu nous résumer à la fois les catégories et ce qu’on a à notre disposition?
Vaccins disponibles
Colas Tcherakian – La grande nouveauté, c’est ce fameux vaccin bivalent, l’idée étant qu’on a bien compris que quand on se vaccinait avec l’ancienne souche, on faisait quand même des anticorps, mais que pour arriver à être plus spécifiques des différentes souches qui sont arrivées après, il fallait augmenter le taux d’anticorps, ce qui veut dire rapprocher les rappels pour essayer de stimuler plus le taux d’anticorps et de compenser la qualité des anticorps par une grande quantité d’anticorps
Benjamin Davido – Le fameux pouvoir neutralisant.
Colas Tcherakian – Exactement. Et c’est ce qui donne un peu ce sentiment qu’il faut sans arrêt se vacciner, et c’est ce qui entraîne une vraie lassitude en se disant « est-ce que cela sert encore à quelque chose? » Donc l’idée était de sortir des vaccins avec des protéines S – cette fameuse protéine Spike qui permet de se fixer au virus – plus spécifiques des variants qui sont actuellement en cours de circulation, en particulier le BA.4, le BA.5, surtout le BA.5, et donc de faire des anticorps qui, on peut l’espérer, sont plus spécifiques et dureront plus longtemps, et nous éviterons peut-être de nous vacciner tous les six mois.
Efficacité et effets indésirables des vaccins
Benjamin Davido – Quelles sont les grandes lignes en termes d’efficacité et d’effets indésirables de ces vaccins?
Colas Tcherakian – C’est là où on est un peu gêné, parce qu’en termes d’efficacité on a des études sérologiques qui montrent qu’on fait des anticorps neutralisants à un bon taux. Maintenant, cela reste des études sérologiques, c’est-à-dire qu’on n’a pas d’études cliniques qui vont démontrer leur efficacité. Donc, pour l’instant, on sait qu’en termes de tolérance, ils ne sont pas moins bien tolérés que les autres vaccins ; en termes d’efficacité clinique, c’est l’avenir qui nous le dira. Donc on ne prend pas de risque à vacciner nos patients parce qu’on ne perdra pas l’efficacité. Ce d’autant plus qu’on vaccine au moins avec un rappel des anciens vaccins, mais quant à vous certifier qu’on va tenir plus longtemps sans refaire une dose dans l’intervalle, cela je ne peux pas…
Benjamin Davido – Il est important de rappeler qu’il y a bien l’ancienne souche, donc c’est un vaccin 2.0. C’est-à-dire qu’on ne perd rien à faire le nouveau plutôt que l’ancien.
Colas Tcherakian – C’est ça. Je pense que c’est vraiment un élément fondamental. Et de la même manière, on n’augmente pas le risque d’effets secondaires, qui est toujours une des questions qui est en arrière-plan, et quand on doit faire un effet secondaire, on le fait la première fois, mais que le fait de refaire des stimulations du système immunitaire n’augmente pas le risque de faire des effets secondaires sévères. Je pense que c’est un message qui est très important, parce que cela freine un peu les gens.
Benjamin Davido – Oui, absolument. D’ailleurs Moderna a travaillé là-dessus, parce qu’ils étaient un peu montrés du doigt pour le risque de myocardite chez les jeunes et en effet, les troisièmes et quatrièmes doses n’augmentent pas le risque. C’est-à-dire que quand qu’on n’a jamais eu de myocardite, on ne fera jamais de myocardite. C’est important de le dire. Ce qui m’amène à la question suivante, qui est tout bien choisie : qui faut-il vacciner? Qui, quand, quoi, comment?
La population cible
Colas Tcherakian – Pas tout le monde. Et une des discussions qu’on avait et où je partage complètement ton avis, c’est qu’on est passé… je n’allais pas dire d’une « dictature », mais d’une « obligation vaccinale politique » dictée par des lois de santé publique à des décisions de prescription médicale. Donc aujourd’hui, je crois que c’est le médecin, sur des données scientifiques, qui doit proposer la vaccination à son patient de façon personnalisée. C’est un grand changement. Mais ce grand changement n’est parfois pas pris assez au sérieux par le médecin... On n’est probablement pas proactif, c’est mon avis.
Benjamin Davido – Je le partage, aussi.
Colas Tcherakian – Après, chez qui? Les plus de 60 ans parce que cela reste la population la plus à risque. Et après vous avez toujours les mêmes catégories de patients qui sont les multi-comorbides, les déficits immunitaires, les femmes enceintes qui font des formes plus graves… Bref, c’est cette population qu’on connaît depuis le départ de l’histoire du COVID, qui reste la population élective.
Benjamin Davido – Cela me permet de rebondir, parce que ce que tu as dit est très important : les femmes enceintes qui sont souvent oubliées. Et par définition, les femmes enceintes sont des femmes jeunes.
Et puis cette définition avec laquelle on a beaucoup de mal dans la rapidité ou dans l’inconscient collectif des patients, c’est celle des comorbidités. D’abord cela représente 15 à 20 millions de Français – on l’oublie – et quelqu’un qui a fait un infarctus, qui est cardiaque, qui est suivi pour de l’hypertension sévère, qui est asthmatique – et on l’a bien vu, notamment avec l’Omicron – sont des gens qui doivent se faire vacciner et donc probablement consulter leur médecin pour avoir un avis particulier.
Parce que c’est vrai que la différence est qu’à un moment donné on a statué sur le fait qu’on vaccinait tout le monde, et donc les comorbidités, sans dire qu’elles arrivaient au deuxième plan, étaient parfois méconnues des patients et qu’on peut avoir des pathologies générales et être une excellente cible de cette vaccination.
Colas Tcherakian – Nous l’avons vu dans la fibrose pulmonaire… Il y a plein de gens qui avaient des petites fibroses pulmonaires qui allaient très bien et qui se sont retrouvés dans des états catastrophiques, hospitalisés, avec une exacerbation de fibrose. Donc c’est vrai qu’on ne se sait pas toujours malade. C’est un des vrais problèmes.
Quand vacciner ?
Benjamin Davido – Aujourd’hui, quand est-ce qu’il faut se faire vacciner? Avec quel vaccin? BA.1, BA.4, BA.5? Où? En pharmacie, à l’hôpital, à quelle date? Et j’ai envie de te dire, que fait-on du vaccin de la grippe? Parce que le leitmotiv, aujourd’hui est de dire « finalement, docteur – et je l’ai vécu pas plus tard que tout à l’heure en consultation – aujourd’hui ce n’est pas le bon jour. J’étais malade il y a 15 jours, mon fils a un peu le nez qui coule et donc on verra cela en janvier, tranquillement. »
Colas Tcherakian – C’est exactement ce qui a été bien montré dans les études. C’est une occasion ratée de vaccination, une vaccination ratée. C’est-à-dire qu’on ne rattrape pas ces occasions. Et je crois qu’il faut vraiment ne pas se laisser attendrir. On a le droit de se faire vacciner quand on a un rhume, ce n’est jamais un souci. Et il y a des virus tout le temps en hiver, donc on peut se faire vacciner quand on a le nez qui coule, quand on a un petit 38. En fait, on s’en fout, le système immunitaire est quand même capable de faire son travail.
Quant à la covaccination grippe/COVID, cela a été testé, il n’y a pas plus d’effets secondaires. Mais il ne faut pas mentir aux gens, on peut avoir des effets secondaires, cela va « fouetter » un peu, mais bon, il y a une très bonne réponse immunitaire et c’est l’occasion de faire les deux en même temps. Donc il n’y en a pas un qui doit primer sur l’autre, il faut y aller pour les deux. Après, je peux peut-être te laisser rebondir sur ta préférence, en tout cas, sur le sous-type de vaccin.
Benjamin Davido – Alors moi j’allais dire deux choses parce que tu me tends une perche formidable en disant que cela secoue un peu. D’abord, pour l’avoir fait, on va dire que le vaccin secoue 12 à 24 heures. Mais surtout, ce qu’on oublie, c’est que ces vaccins empêchent d’être cloué au lit pendant huit jours, y compris chez des gens jeunes. Parce que là on a parlé des formes graves, mais peut-être que la « nouveauté » d’Omicron dans un monde où tout le monde est vacciné et a eu une forme atténuée – car je ne connais personne qui n’a pas fait la maladie – est que plus on va s’espacer du dernier vaccin ou de la dernière infection, le plus on est à risque de faire une grosse grippe sévère, cognée, de l’absentéisme et contaminer, et qu’on voit de plus en plus de formes extrapulmonaires de cette maladie, qui ne sont pas forcément une sinécure pour ceux qui font la pathologie.
Quels vaccins ?
Benjamin Davido – De mon côté, j’ai envie de te dire de façon binaire, aujourd’hui, sans avoir aucun conflit d’intérêts, que c’est le vaccin Pfizer parce que c’est le seul qui met à disposition un vaccin BA.4/BA.5. Je crois que les dernières recommandations de la HAS montrent que Moderna, qui actuellement avait un vaccin BA.1, va pouvoir mettre à disposition son vaccin mis à jour BA.4/BA.5.
On va donc se retrouver dans la même situation, c’est-à-dire des vaccins ARN, Moderna ou Pfizer. Avec probablement la limite de l’âge pour les très jeunes entre Moderna et Pfizer.
Et la véritable question est (et c’est l’avenir qui nous le dira) : est-ce qu’on aura, comme tu l’as dit, besoin d’une vaccination annuelle ou une vaccination dans six mois avec des futurs variants? Pour l’instant, on n’a pas de données en termes de vaccination sur la non-efficacité face aux nouveaux variants. Et a contrario, j’ai envie de dire qu’on est plutôt optimiste, puisque les études qui ont travaillé sur les vaccins bivalents versus monovalents montrent que le vaccin monovalent qu’on a souvent critiqué est en fait déjà un excellent vaccin et que cette technologie de l’ARN messager nous permet probablement d’avoir un large panel sur la protéine Spike modifiée et donc sur les futurs variants.[1,2,3]
Conclusion
Benjamin Davido – Tout cela mériterait qu’on creuse sur cette hypothétique neuvième vague et sur les thérapeutiques, parce qu’en réalité je me rends compte que les questions qu’on se pose, tout le monde se les pose, mais ne les pose pas à haute voix, et que c’est probablement important d’y répondre.
Je te remercie beaucoup pour toutes ces précisions, c’était très clair.
Je vous dis à tous à bientôt. Bonne journée.
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Citer cet article: Vaccination anti-COVID : pour une prescription personnalisée - Medscape - 24 nov 2022.
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