Nabila Bouatia-Naji, directrice de recherche à l’INSERM et généticienne à l’hôpital européen Georges-Pompidou, résume la session qu’elle a présidée lors du dernier congrès de l’American Heart Association , consacrée à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la recherche sur les maladies cardiovasculaires.
TRANSCRIPTION
Aujourd’hui je vais vous parler de la synthèse d’une session[1] qui a eu lieu à l’AHA 2022, à Chicago, dans laquelle il a été question de montrer des exemples de l'utilisation de l’intelligence artificielle pour aider à réaliser des études sur les maladies cardiovasculaires.
Le deep learning permet de définir génétiquement les dimensions de l'aorte
La première étude [2] que nous avons sélectionnée dans cette session a été conduite par le Dr James Pirruccello, qui a eu une démarche de l’application de l’intelligence artificielle pour définir les dimensions de l’aorte. Il a démontré qu’il était compliqué d’avoir accès à des facteurs génétiques liés avec la fonction aortique. La dissection et l’anévrisme sont des événements très rares, très peu présents dans les bases de données et il a donc utilisé une méthode d’intelligence artificielle qui a été capable de mesurer et de prédire les dimensions des aortes ascendantes et descendantes à partir d’imagerie de la cohorte UK Biobank.
La UK Biobank est une cohorte de population générale britannique avec des imageries, mais il n’est pas renseigné exactement quelles sont les mesures précises de la dimension aortique. Grâce à l’intelligence artificielle, Pirruccello et coll. ont été capables de mesurer et réaliser une étude génétique de très grande échelle. Ils ont appliqué cela à près de 50 000 imageries et ont été capables de détecter des facteurs génétiques. L’approche ensuite a été de faire des études d’association génomique de style GWAS dans lesquelles ils ont découvert des variants associés avec la dimension aortique, ascendante et descendante, mais surtout, ils ont détecté aussi des facteurs génétiques fréquents qui sont proches de gènes impliqués dans des formes syndromiques ou dans des formes plus rares, comme des variants génétiques proches de l’élastine, de la fibrilline, ce qui a montré vraiment la puissance de cette démarche pour découvrir des nouveaux gènes liés à la fonction aortique de dissection et d’anévrisme, puisqu’ils ont mesuré les dimensions. On peut imaginer que des variants associés avec une aorte plus élargie ont un lien avec l’anévrisme et donc peuvent avoir une utilité clinique. Une limitation qui a été citée par cette équipe est le manque de présence de différentes ethnies dans la cohorte UK Biobank, cela n’a pas permis de voir s’il y avait des différences selon les populations, et c’est quelque chose qui doit être couvert dans le futur.
Analyse de la microvasculature rétinienne à l'échelle du phénome et du génome.
Ensuite, nous avons couvert une étude [3] réalisée cette fois-ci pour mesurer ou estimer la vasculature, la microvascularisation exactement, au niveau de la rétine.
La rétine est un champ très facilement accessible en imagerie et il y a plusieurs démarches dans le domaine de la recherche qui essaient d’utiliser la microvasculature de la rétine pour pouvoir estimer les risques de maladies cardiovasculaires. Les maladies de microvascularisation sont notamment liées à la fonction au niveau du coeur, mais aussi dans le poumon, dans le cerveau, de façon importante dans le rein, et aussi pour la prééclampsie (une condition qui pourrait avoir des mesures importantes de la microvasculature). Les applications de cette approche sont donc multiples pour estimer le risque cardiovasculaire à partir de la rétine.
Dans ce travail, les chercheurs ont pris les images disponibles, encore une fois dans la grande cohorte UK Biobank, et ont pu estimer quels sont les facteurs génétiques associés aux différentes présences d’une vasculature importante ou diminuée ; comme dans le cadre de l’étude précédente, ils ont trouvé que les facteurs génétiques sont capables de prédire des maladies beaucoup plus complexes, liées à la fonction cardiovasculaire, comme notamment l’infarctus de myocarde, et d’autres maladies diverses et variées.
L’une des choses qui étaient vraiment soulignées dans ce travail était le fait d’avoir cette fenêtre sur la rétine pour estimer la microvasculature. Il a été possible de détecter par exemple un risque cardiométabolique associé à un phénotype d’une densité amoindrie de la vasculature dans la rétine. Cela montre la puissance de ces mesures qui permettent de construire des phénotypes ou des endophénotypes de cette façon-là, et d’éviter de faire des imageries beaucoup plus complexes dans le futur.
Classifier les données sur l'insuffisance cardiaque grâce au machine learning
Dans une troisième étude [4] qui a été réalisée plutôt sur le phénotype de l’insuffisance cardiaque, l’objectif était différent, il n’y avait pas d’implication de facteurs génétiques. L’idée était plutôt d’essayer de classifier les patients. Comme on sait que l’insuffisance cardiaque est un peu difficile à classifier parce qu’il y a énormément d’hétérogénéité, ils ont appliqué un système d’intelligence artificielle à partir des données cliniques de différents patients — ils ont trouvé par exemple qu’il y avait dans une étude un peu ancienne (de 2015), trois groupes. Il y avait un groupe de jeunes hommes d’insuffisants cardiaques qui avaient un BNP plus faible, alors que les femmes âgées avaient une association avec la fonction rénale qui était défectueuse, et aussi la fibrillation atriale, alors qu’en fait, ils ont aussi trouvé un groupe d’hommes obèses et diabétiques qui « clusterait » d’une façon indépendante. Donc cette étude a montré qu’il y avait une puissance d’utilisation de l’intelligence artificielle pour classifier des données très diverses et variées dans un phénotype aussi complexe que l’insuffisance cardiaque. Et cela pourrait être vraiment une aide pour déterminer le traitement, par exemple, selon le groupe dans lequel le patient pourrait se retrouver dans le futur.
L'apprentissage par transfert basé sur la transcriptomique à grande échelle pour identifier les gènes dont l’expression pourrait être modifiée
Finalement, une dernière étude [5], cette fois-ci un peu plus fondamentale. Elle a mis en application l’intelligence artificielle et le deep learning pour pouvoir classer des informations qui sont obtenues à partir de données d’expression génique. C’est un peu plus complexe. C’est pour ceux qui sont habitués aux études de génétique et découverte de ressources très diverses à partir de la génétique, mais aussi de l’expression, de la protéomique, etc., donc ce qu’on appelle les multiomics ; il est toujours très complexe de pouvoir mettre une priorité sur quel gène va être important pour les conséquences d’un défaut génétique ou d’une expression altérée. Et dans le contexte d’un projet qui s’intéressait à développer des iPS [induced pluripotent stem] en cardiomyocytes, ils ont utilisé l’intelligence artificielle pour identifier quels sont les gènes capables d’être en amont, en combinant cela avec, par exemple la structure de la chromatine ouverte qui permet de donner une idée sur les facteurs de transcription capables de réguler l’expression des gènes. Dans ce contexte de différenciation d’iPS en cardiomyocytes, ils ont été capables d’utiliser les données de l’intelligence artificielle mathématique pour identifier les gènes, on va dire majeurs, qui permettent de contrôler l’expression et surtout prédire quels sont les gènes dont l’expression va être modifiée ― si on modifie le gène A, quels sont les gènes, ensuite, dans le réseau, conséquents à cette modification.
Conclusion
Tous ces travaux ont été vraiment très appréciés. Il y a eu aussi une discussion sur les applications cliniques, ce qui reste évidemment encore loin d'être possible à l'heure actuelle, et surtout il a été noté que, parfois, il y a des complexités dans la méthodologie – comment faire en sorte que les personnes qui sont dans les soins, les médecins, mais aussi les infirmières, pourraient maîtriser ce genre d'outils dans le futur... Même s’il y a d'énormes efforts qui sont en cours et qui permettront certainement de rendre cela un peu plus accessible, probablement avec des interfaces, quand on sera arrivé à un stade de maîtrise de l'application de cette approche.
Merci d’avoir écouté ce résumé et à une prochaine occasion sur Medscape.
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Citer cet article: Intelligence artificielle et recherche cardiovasculaire : l’actualité de l’AHA - Medscape - 15 nov 2022.
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