Les Prs Gabriel Steg et Alexandre Mebazaa commentent les études marquantes de cette nouvelle édition du congrès de l’American Heart Association (AHA), avec un focus sur l’insuffisance cardiaque avec les essais STRONG-HF, ECMO-CS, TRANSFORM-HF, et DCP, mais aussi en rythmologie (RAPID), dans la supplémentation en oméga-3 (RESPECT-EPA), et BRIGHT-4 .
TRANSCRIPTION
Gabriel Steg – Bonjour, je suis Gabriel Steg et je suis heureux de vous parler en direct de l’AHA 2022 où j’ai le plaisir d’être avec mon collègue et ami, Alexandre Mebazaa, pour vous faire un très bref résumé de ce qui nous a paru important et intéressant dans ce congrès qui est toujours prestigieux – peut-être un peu moins fréquenté cette année qu’avant le COVID, mais c’est une première édition post-COVID, donc c’est un peu normal.
C’est un congrès toujours très riche avec des sessions de latebreakers importantes, avec beaucoup de résultats négatifs – parfois des déceptions, mais c’est important quand c’est informatif – et quelques résultats positifs, et notamment des félicitations au Dr Mebazaa et à ses collègues, parce que vous avez présenté un des high points du congrès, qui est l’étude STRONG-HF. [1]
STRONG-HF : traitement médicamenteux précoce et intensif à la sortie de l'hôpital dans l’insuffisance cardiaque
Alexandre Mebazaa — Absolument. En fait, on était même très surpris, parce que notre comité de sécurité, donc le DSMB, a arrêté l’étude de 23 septembre. Et en fait, c’est une étude qui est basée sur le point suivant : quand un malade sort après une insuffisance cardiaque aiguë, on sait que c’est un moment qu’on appelle « vulnérable » ; parce qu’on découvre petit à petit que beaucoup de ces malades en insuffisance cardiaque sortent de l’hôpital alors qu’ils sont congestifs. Ils respirent bien, ils ont une bonne fréquence respiratoire, mais il leur reste de l’eau dans les poumons et dans le corps, et on sait que dans les semaines et les mois qui suivent, ils reviennent avec exactement les mêmes épisodes d’insuffisance cardiaque aiguë.
Quand on analyse le traitement de ces malades. Le plus souvent, pour ne pas dire tout le temps, ces patients n’ont pas un vrai traitement d’insuffisance cardiaque, surtout quand leur fraction d’éjection est basse. Donc c’est la première difficulté.
La deuxième difficulté est que la moitié des insuffisants cardiaques aigus qui viennent aux urgences, aux soins intensifs de cardiologie en réanimation, ont une fraction d’éjection qui est normale. Et chez ces malades-là on n’avait pas de traitement, puisqu’aujourd’hui il n’y a aucune recommandation. Donc nous avons pris notre courage à deux mains et nous avons fait ce qu’on appelle une investigator initiated study, c’est nous qui avons écrit le protocole — on a réussi à trouver des subventions — avec deux bras.
On a été assez courageux : le malade fait de l’insuffisance cardiaque, on écrit un rapport médical et au moment de la sortie on tire au sort. S’il est usual care, il est suivi par le cardiologue en ville, et on ne le revoit qu’à 90 jours. Dans l’autre bras, on a été très agressif. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que sur les trois grandes classes médicamenteuses — les inhibiteurs des RAS, les bêta-bloquants et le spironolactone — on donnait la moitié de la dose optimale avant qu’ils ne quittent l’hôpital. Ensuite, on a trois visites à une semaine d’intervalle.
- Première semaine, on vérifie que les trois médicaments à demi-dose, c’est safe. Et safe cela veut dire quoi ? C’est très important : on a mis une vraie procédure de consultation, donc ce n’est pas « je rentre, vous allez bien ? Je vous serre la main et je repars ». On regarde exactement la fréquence cardiaque, la pression artérielle, les œdèmes et on a un examen biologique avec NT-PRO-BNP, potassium, créatinine et hémoglobine. Si tous les signaux sont au vert, on dit au malade « OK, on reste à demi-dose ».
- La consultation la plus importante, c’est la deuxième semaine. Là, on force le cardiologue à monter les trois médicaments de demi-dose jusqu’à full dose. Comment va-t-il le faire ? Il fait d’abord son examen. Si toutes les lumières sont au vert, à ce moment-là on lui dit que tu ne réfléchis pas, tu montes à full dose et à la troisième semaine, on vérifie avec les paramètres que c’est bien safe. Et si un des paramètres est rouge, ce n’est pas grave — tu décales d’une semaine et ensuite tu augmentes et on pousse tout d’une semaine. Donc le protocole, il est aussi simple que cela.
Le résultat a été que plus de 80 % des malades avaient soit moitié, soit full dose de bêtabloquants, la même chose pour l'IEC, la même chose pour la spironolactone, tout ceci combiné. C’est-à-dire qu’on est arrivé, pour plus de 80 % des patients…
Gabriel Steg – ... à les titrer à la full dose.
Alexandre Mebazaa — Exact, entre moitié et full dose, donc plus de la moitié à full dose, et si on rajoute encore la moitié, ce qui est considéré encore comme important, on est à plus de presque la totalité des patients.
Gabriel Steg — Quel est le résultat clinique ?
Alexandre Mebazaa — D’abord, ce qui nous a impressionnés, c’est qu’alors qu’on dit qu’on a diminué la dose de diurétique chez ces malades, tous les malades qui avaient les fortes doses étaient beaucoup moins congestifs. Ce qui prouve bien que la congestion, ce n’est pas uniquement de donner des diurétiques, mais c’est vraiment de couper le cycle de la stimulation neuroendocrine. Et l’objectif primaire était la réhospitalisation et le décès dans les 180 jours, et là il était très nettement diminué dans le groupe high intensive care, donc là où on a vraiment poussé à fond. Et en plus, on a interrogé les malades sur leur qualité de vie et ils étaient ravis, ils étaient beaucoup mieux dans ce groupe-là par rapport à l’autre.
Gabriel Steg – Dans l’implémentation en vie quotidienne de ce traitement, est-ce que c’est quelque chose qui peut être fait par les IPA [infirmières en pratique avancée] ou est-ce qu’il faut que ce soient des médecins et des cardiologues ?
Alexandre Mebazaa — C’est une question très importante. Notre protocole était fait par des cardiologues et des spécialistes de l’insuffisance cardiaque. En revanche, même si on n’a pas de données, je pense qu’on peut accepter aujourd’hui de dire qu’au moins les visites de sécurité, la visite 2, il faut vraiment qu’elle soit faite par le cardiologue. Il va monter d’une demi-dose à une pleine dose, il faut vraiment qu’il puisse intégrer l’ensemble des paramètres. En revanche, clairement, la visite 1, la visite 3, voire la visite à six semaines, peuvent être très facilement faites par une IPA qui regarde les paramètres, qui est en contact avec le médecin et cela pourrait très bien se passer.
Gabriel Steg — Félicitations, vraiment. C’est une très belle étude qui va changer les pratiques. Elle est publiée dans le Lancet, [1] c’est aussi un beau papier, et je pense qu’on peut être fier d’une étude française qui a été un des highlights de l’AHA.
ECMO-CS : pas d’ECMO précoce de routine en cas de choc cardiogénique grave
Gabriel Steg — Il n’y avait pas que l’étude STRONG-HF, il y en a eu d’autres sur l’insuffisance cardiaque grave, et en particulier une sur le choc cardiogénique qui peut être résumée en une phrase mais qui est quand même intéressante [étude ECMO-CS]. [2]
Alexandre Mebazaa — Il faut vraiment que l’ensemble des collègues soient prêts, parce que 2022-2023 va être l’année où il va y avoir plein d’études sur le choc cardiogénique, et heureusement, parce que c’est une pathologie avec une mortalité très élevée pour laquelle très peu de recherches ont été faites. Donc c’est effectivement la première d’une série d’études. Ce n’est pas une très grosse série, mais elle est quand même très intéressante, avec des malades qui étaient vraiment très sévères.
Donc on a un groupe ECMO et un groupe pas ECMO. Il y a eu des croisements, parce que — et c’est un des reproches qui a été fait — beaucoup de malades qui n’avaient pas l’ECMO, mais qui s’aggravaient, ont quand même eu une ECMO à la fin, mais en tout cas le résultat final est qu’il n’y avait pas de différence. Mais ce qui est intéressant, c’est que quand on regarde les courbes, on voit que pendant les premiers jours, il y a vraiment un apport positif de l’ECMO, mais que quand on regarde à distance, en fait, il n’y avait plus de différence.
Gabriel Steg – Ils finissent par mourir.
Alexandre Mebazaa — Exactement.
TRANSFORM-HF : pas de différence entre furosémide et torsémide
Gabriel Steg — Il y avait d’autres études sur l’insuffisance cardiaque et en particulier [TRANSFORM-HF] [3] qui a comparé deux stratégies de diurétiques, une sur le furosémide et une basée sur le torsémide. Ce sont des débats sans fin entre pharmacologues, et finalement, il n’y a pas de différence.
Alexandre Mebazaa — Non, pas de différence entre pharmacologues, même entre continents. Et pendant des années, on a essayé sur l’aspect diurétique de mettre ensemble des Américains et des Européens, pour voir ce qu’on fait et ce qu’on ne fait pas — on était confronté à ce problème.
Soit effectivement, on dit que l’étude est neutre — elle a été sponsorisée par le NIH — soit on la prend positivement, et moi je crois qu’il faut faire comme cela. C’est-à-dire qu’en fait ces deux catégories de diurétiques se valent.
DCP : chlorthalidone vs hydrochlorothiazide dans l’HTA
Gabriel Steg – J’ajouterais qu’il y a également eu dans la même session un autre essai pragmatique intéressant de grande taille, qui lui s’intéressait à la comparaison chlorthalidone contre hydrochlorothiazide dans l’hypertension artérielle [Diuretic Comparison Project (DCP)]. [4] Il y avait toute une série d’anciennes études qui suggèrent que la chlorthalidone était supérieure. Dans cette grande étude, il n’y a pas de différence, ni sur la pression artérielle, ni sur la tolérance, ni sur les évènements cardiovasculaires, de chlorthalidone contre hydrochlorothiazide, et même un peu plus d’effets secondaires de la chlorthalidone. Donc c’est finalement ici aussi une grande révision déchirante de nos certitudes ou de nos convictions, on peut dire : finalement l’hydrochlorothiazide fait jeu égal.
BRIGHT-4 : anticoagulation adjuvante de l’angioplastie primaire à la phase aiguë du STEMI
Gabriel Steg – Il y a eu d’autres résultats positifs qui m’ont paru intéressants et je voudrais mentionner le premier, celui de l’étude BRIGHT-4, [5] qui s’est adressée à la question de l’anticoagulation adjuvante de l’angioplastie primaire à la phase aiguë de l’infarctus avec sus-décalage de ST. C’est un vieux débat qui a commencé en 2008 avec six essais randomisés de grande taille qui ont été faits, dont un essai français, et des résultats contradictoires. Et là, nos collègues chinois ont réglé la question. Ils ont fait un plus grand essai, avec 6000 patients, très propre, très bien fait, très pur : héparine non fractionnée d’un côté, bivalirudine bolus plus perfusion de l’autre, pas d’autres anticoagulants donnés dans aucun des deux bras, les patients traités de façon moderne, accès par voie radiale, anticoagulants et antiagrégants plaquettaires modernes, des procédures bien faites, 99,7 % de suivi. Et les résultats sont sans appel, les hémorragies sont réduites par la bivalirudine, les évènements cardiovasculaires sont réduits par bivalirudine, la mortalité toute cause est réduite par la bivalirudine et les thromboses de stent sont réduites par la bivalirudine. C’est une victoire par KO sur tous les tableaux et, du coup, cela pose quand même la question d'un retour vers le futur : il va falloir, je pense, se poser la question de ramener la bivalirudine dans nos laboratoires de cathétérisme, parce que cela avait été un peu abandonné depuis quelques années, en se disant « finalement, l’héparine non fractionnée fait aussi bien. » Là, dans un grand essai sur 6000 malades, elle ne fait pas du tout aussi bien et la mortalité est clairement réduite. J’ajoute qu’au même congrès, une méta-analyse sur données individuelles des patients qui avaient un infarctus avec sus-décalage de ST dans les six essais précédents a été présentée par le groupe de Gregg Stone, 15 000 patients en méta-analyse sur données individuelles et, en fait, les résultats sont assez homogènes avec l’essai BRIGHT-4 de nos collègues chinois. Et donc, là, je pense que vraiment l’accumulation des preuves devient un peu incontournable, donc c’est le grand retour de la bivalirudine.
RESPECT-EPA : traitement standard versus EPA en prévention secondaire chez des coronariens
Gabriel Steg – Également, un autre essai m’a paru important et intéressant, c’est RESPECT-EPA sur le l’EPA, les acides oméga-3 purifiés.[6]
Il y a tout un débat sur l’EPA, la DHA, ensemble, séparément, à faible dose, à forte dose, et les effets éventuels du placebo utilisé dans les différentes études, puisque finalement on avait deux études qui avaient donné un résultat positif pour l’EPA : l’essai japonais JELIS il y a 15 ans, mais à une époque où il n’y avait quasiment pas de statines, et l’essai REDUCE-IT auquel j’ai collaboré, qui a été très positif, mais qui a été très critiqué parce qu’il y a eu des discussions sur un effet délétère du placebo qui était l’huile de paraffine, en disant « peut-être que ce qu’on voit, cela n’est pas un bénéfice de l’EPA, mais un effet délétère du placebo. » Et RESPECT-EPA est intéressant parce que c’est un essai en ouvert sans placebo. Donc c’est usual care versus EPA en prévention secondaire chez des coronariens.
C’est un petit essai qui est sous-dimensionné, mais qui montre des résultats très homogènes avec REDUCE-IT, avec 21 % de réduction des évènements cardiovasculaires, et même la tolérance est tout à fait similaire à ce qu’on avait eu dans REDUCE-IT avec une légère augmentation du risque de fibrillation atriale. En fait, comme il n’y a pas de placebo, là on ne peut pas discuter que le signal d’efficacité n’est pas lié au placebo. Je pense donc que cela clôt cette controverse et montre qu’une forte dose d’EPA — entre 1,8 g et 4 g par jour — est un élément intéressant pour réduire le risque résiduel chez les patients qui sont déjà sous statines, et je pense que ce médicament va être très utilisé à l’avenir.
RAPID : inhibiteur calcique inhalé dans les tachycardies supraventriculaires paroxystiques
Gabriel Steg – Il y a eu aussi d’autres études qui ont été importantes dans le domaine des arythmies avec, en particulier, quelque chose qui va intéresser : un inhibiteur calcique inhalé pour traiter les tachycardies supraventriculaires paroxystiques, et je trouve cela rigolo [étude RAPID]. [7] C’est vrai qu’aux urgences on voit beaucoup de patients avec des tachycardies supraventriculaires paroxystiques et que cela encombre les services d’urgence, ce qui est un vrai problème dans le contexte actuel où les services sont ultra encombrés. Et ce que ces investigateurs proposaient, c’était d’éduquer les patients à s’autotraiter chez eux une fois qu’ils reconnaissaient leur tachycardie et que celle-ci avait été authentifiée comme tachycardie supraventriculaire paroxystique, pour s’administrer soit le produit, soit le placebo, par voie nasale. Et cela semble marcher très bien, puisque cela réduit substantiellement le délai de conversion, sachant que, finalement, la plupart de ces patients finissent par revenir en rythme sinusal, mais cela évite des visites aux urgences et des consultations. J’ai donc trouvé cela vraiment intéressant comme astuce de traitement antiarythmique.
Conclusion
Gabriel Steg – Évidemment, il est impossible de résumer cet immense congrès en 15 minutes, mais il y a eu des résultats négatifs et d’autres positifs. Je pense qu’ils sont informatifs, les uns et les autres, lorsque les études sont bien faites. Et ce sont des histoires qui vont se continuer, rendez-vous donc bientôt au congrès de l’ACC (American College of Cardiology), en mars 2023.
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Citer cet article: Congrès AHA : les études clés commentées par Gabriel Steg et Alexandre Mebazaa - Medscape - 9 nov 2022.
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