Que ce soit en thérapie cellulaire ou en ingénierie tissulaire, les approches ont évolué, l’objectif n’étant plus de transplanter des cellules ou du tissu, mais plutôt des sécrétomes ou des matrices cellulaires actives. Le point sur les avancées, avec le Pr Philippe Menasché et Nicolas L’Heureux.
TRANSCRIPTION
Nicolas L’Heureux — Bonjour, et bienvenue au Dr Philippe Ménasché, qui est un pionnier de la thérapie cellulaire en France, pour discuter des nouveautés dans ce domaine.
Philippe Ménasché — Merci. Notre domaine, comme vous venez de le rappeler, c’est la thérapie cellulaire et il faut reconnaître qu’aujourd’hui, si on regarde l’ensemble des biothérapies dont les analystes nous disent qu’elles vont représenter rapidement à peu près la moitié du portefeuille pharmaceutique des compagnies, la thérapie génique semble l’emporter sur la thérapie cellulaire.
Clairement, je vais donner simplement un exemple, puisque nous sommes au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2022 : il y a eu une communication[1] , qui pour la première fois semble-t-il, porte sur l’utilisation d’une thérapie génique pour bloquer la production de la transthyrétine dans l’amylose cardiaque en utilisant des nanoparticules lipidiques, tout à fait comme celles qui ont été utilisées dans les vaccins anti-COVID ― sauf qu’il n’y a pas à l’intérieur l’ARN qui code pour Spike, mais le matériel ce qui permet de bloquer, dans le foie, la production de la protéine en question. Cela n’est pas de la science-fiction. Il y avait aussi toute une session au cours de laquelle on a parlé de la thérapie génique de la maladie de Duchenne.
Pour en revenir à la thérapie cellulaire stricte, telle qu’on l’a initialement envisagée, c’est-à-dire des cellules, quelles qu’elles soient, qui sont transplantées dans le myocarde, quelle que soit la voie de transfert de ces cellules, elle ne semble pas promise à un très grand avenir pour différentes raisons. En revanche, tous les essais qui ont été faits ont permis de dégager un certain nombre de leçons qui sont, aujourd’hui, incorporées pour préparer l’étape d’après. Et la leçon principale est que les cellules greffées ne fonctionnent pas comme on le pensait au départ, comme un mode de remplacement des cellules cardiaques mortes, mais qu’elles fonctionnent par le biais de la libération de centaines de molécules bioactives, beaucoup d’entre elles étant empaquetées dans des nanoparticules qu’on appelle les vésicules extracellulaires. Et aujourd’hui, le glissement — entre autres pour des raisons pratiques de fabrication, de coût, de réglementation — se fait vers l’utilisation de ce sécrétome cellulaire.
Nicolas L’Heureux — Dans le domaine de l’ingénierie tissulaire, où on fait plutôt de la construction, on assemble les cellules avec des matrices — et dans mon cas, par exemple, avec des matrices qui sont produites par les cellules elles-mêmes — on voit un peu le même phénomène. C’est-à-dire qu’on a abandonné cette vision de « on va recréer le tissu vivant avec les cellules qu’on va pouvoir transplanter, comme quand on fait une transplantation, mais à partir du laboratoire » pour des raisons de coût dues à une rigidité de la réglementation actuelle qui nous force à accepter un risque zéro. Et le risque zéro est possible, mais très coûteux. Donc dans notre domaine, tout le monde se déplace à partir des cellules vers la matrice de la cellule. Et tout le monde essaie de faire des matrices qu’on appelle parfois des smart matrix, qui sont plus ou moins biologiques — ma vision est très biologique, ce sont des matrices faites par les cellules pour les cellules, qu’on essaie de ne pas manipuler. Alors que d’autres personnes vont plutôt essayer de combiner cela avec des tissus synthétiques qui sont plus faciles à faire, moins coûteux, auxquels on peut greffer aussi toutes sortes d’ARN, d’anticorps, de facteurs de croissance, d’aptamère, de sites d’ancrage, etc. Tout cela pour avoir le produit magique qu’on implante chez le patient et que le patient va transformer dans son tissu de rêve. Alors c’est peut-être un peu une utopie… Moi, je crois qu’à long terme cela sera possible, une fois évidemment qu’on aura compris tous les mécanismes de régénération pour pouvoir les guider. Éventuellement, cela peut devenir une question de prix malheureusement, si on a un système extrêmement complexe qu’on doit contrôler avec beaucoup d’éléments. Tout cela a un prix et à la fin, notre produit est peut-être acellulaire, mais sera-t-il moins cher qu’une thérapie cellulaire où la cellule peut avoir une « intelligence » que les produits chimiques n’ont pas ?
Est-ce que vous pensez qu’on doit abandonner la thérapie cellulaire ? Ou est-ce qu’on est dans une étape où, pour l’instant, ce n’est pas possible, mais peut-être plus tard ?
Philippe Ménasché — Je n’ai pas la réponse, mais je pense qu’il ne faut pas se limiter à la cardiologie. Il semblerait qu’il y ait des domaines de la médecine où aujourd’hui il soit difficile de se passer des cellules. Je vais vous donner 2 exemples très concrets : la dégénérescence maculaire où, semble-t-il, il faut vraiment greffer les progéniteurs rétiniens pour obtenir une amélioration de la vision, et le diabète, avec la greffe des îlots de Langerhans. Pour ce qui est du cœur, je ne suis pas sûr qu’on n’obtiendra pas des résultats tout aussi bons et je l’espère meilleurs avec les produits de sécrétion des cellules. Mais ce qui est intéressant dans ce que vous dites, c’est que les deux approches sont très voisines, puisque les cellules sont toujours là. Simplement, les cellules ne sont plus greffées chez le patient pour fabriquer une matrice ou pour refabriquer du tissu cardiaque, elles sont là pour fabriquer un produit dérivé en quelque sorte — une matrice, dans votre cas, des vésicules extracellulaires.
La question est : « est-ce que cela va simplifier les choses ? », puisqu’on a, de toute façon, toujours besoin des cellules ex vivo et que — et on en a l’expérience, puisque notre essai clinique est en préparation — les exigences réglementaires vis-à-vis de ces cellules ex vivo, même si elles ne sont pas transplantées, restent très fortes. Donc on va, sans doute, régler une partie du problème des coûts de production, mais on ne va pas s’affranchir des difficultés réglementaires.
Nicolas L’Heureux – C’est sûr qu’aujourd’hui, quand on pense au coût des thérapies basées sur les anticorps par exemple, une technique qui est ancestrale, cela coûte quand même des prix de fou pour faire ces thérapies avec anticorps. Donc c’est vrai que cela va rester cher, mais quand même moins cher que d’implanter des cellules. Par contre, je vois une différence entre certains types de régénération, comme le muscle cardiaque ou autre. Est-ce qu’on peut vraiment se dire qu’on va régénérer le muscle uniquement par une approche « pharmacologique », où on envoie des cytokines et des drogues sans amener des cellules, et seulement se fier sur les cellules du patient ?
Philippe Ménasché — Je ne sais pas, mais il y a quand même un courant de recherche extrêmement important qui ne repose pas sur les drogues au sens propre, mais qui repose sur différentes composantes de la thérapie génique et qui sont des approches intéressantes parce qu’elles se fondent sur des technologies qui existent déjà. Je m’explique : la technologie qui existe déjà et qui a fait la preuve de son efficacité, c’est le vaccin anti-COVID. Dans le vaccin anti-COVID, qu’est-ce qu’on a ? Des nanoparticules lipidiques — ça, l’industrie sait faire très bien — et on a un ARN messager qui code pour Spike. La séquence d’ARN messager, l’industrie sait faire, et cela ne représente pas nécessairement des coûts prohibitifs. L’idée, aujourd’hui, c’est une forme de repositionnement de cette approche, dans la mesure où on garde les nanoparticules lipidiques, on garde l’ARN messager, sauf que plutôt que de lui demander de faire exprimer la protéine Spike, on lui demande de faire exprimer telle ou telle protéine qui joue un rôle clé dans les voies de signalisation qui amènent à une forme de réparation cardiaque. Cela peut être une voie qui réduit la fibrose, qui améliore l’angiogenèse, qui favorise la prolifération des cellules cardiaques… puisque les mécanismes existent dans le cœur humain, il suffit de les réveiller. On est sur des technologies qui existent, dont les coûts peuvent être relativement maîtrisés, avec néanmoins une difficulté majeure, mais elle est en train semble-t-il de commencer à être réglée, qui est la difficulté du ciblage. Dans le cas des vaccins, on sait très bien faire une injection intramusculaire et puis cela va partout ; là, si on fait une administration intraveineuse, ce qui est quand même la manière la plus simple et celle qui est le plus susceptible de grandes applications cliniques, les nanoparticules en question, à 99 %, vont se retrouver dans le poumon ou dans le foie. Donc il faut que ces nanoparticules soient « décorées » de récepteurs qui permettent un adressage — pas exclusif, mais en tout cas relativement spécifique — vers le tissu cardiaque. C’est en cours de développement, donc je pense qu’il y a une voie intéressante parce qu’elle est en partie fondée sur des technologies qui ne sont pas totalement utopiques ou pour dans 20 ans, mais qui existent aujourd’hui.
Nicolas L’Heureux — Oui, sauf qu’il va sans dire qu’il faut que la technologie d’aujourd’hui existe pour que dans 20 ans on puisse s’en servir. Parce qu’il y a un temps de développement... Hier, j’écoutais une présentation de la CEO de LumaCyte qui développe un vaisseau sanguin créé en laboratoire. Elle disait que cela faisait 27 ans qu’elle y travaillait, 17 ans que la société était fondée et qu’ils n’avaient toujours pas d’approbation pour l’utiliser commercialement. Mais moi qui suis ingénieur tissulaire, je crois beaucoup dans la fabrication de tissus…
Philippe Ménasché – Et quelle serait votre première application, justement ?
Nicolas L’Heureux — En ce moment, nous travaillons sur beaucoup d’applications, mais je pense que pour l’ingénierie tissulaire, ce qui est important c’est de viser d’une part des applications qui sauvent des vies (on sauve des jambes, des organes…) parce cela va être extrêmement coûteux, et d’autre part des thérapies où on ne peut pas se permettre d’attendre que le corps se répare. Parce que dans vos approches, cela va être long — p. ex. si on veut demander aux cardiomyocytes de repopuler un muscle entier…
Philippe Ménasché – Une partie suffirait.
Nicolas L’Heureux — Cela va quand même demander un bon moment… En ce moment, on a un projet très intéressant qui est de réparer des valves pour des bébés, des nouveau-nés qui ont des malformations congénitales. Aujourd’hui, les grandes sociétés ne produisent pas de produits…
Philippe Ménasché — Non, aucun. Le chirurgien cardiaque que je suis peut vous le dire.
Nicolas L’Heureux – Les chirurgiens cardiaques pédiatriques s’arrachent les cheveux, fait du bricolage…
Philippe Ménasché — Absolument, et depuis des années.
Nicolas L’Heureux – … parce que les marchés pédiatriques ne sont pas considérés comme assez significatifs. Et là, c’est un projet intéressant où on utilise un matériau complètement biologique, humain, fait par les cellules, qu’on pourrait mettre comme valve. La première étape serait une valvuloplastie chez une réparation de Fallot, dans l’artère pulmonaire ; aujourd’hui, une technologie qui se développe, c’est de mettre une grosse valve pour préparer, pour compenser les valves. Et c’est là où on va démarrer. Mais évidemment, l’objectif serait de remplacer le péricarde bovin dans toutes les applications de valves, parce que cela reste un tissu étranger qui cause beaucoup d’inflammations. Notre approche est de fournir quelque chose qui est là tout de suite, le jour 1, pour des réparations où on ne peut pas se permettre d’attendre.
Philippe Ménasché – Et le but est que la valve que vous implantez soit recolonisée par les cellules endogènes et que cela permette d’avoir un matériau qui va grandir avec l’enfant, parce que c’est vraiment le problème numéro 1.
Nicolas L’Heureux – C’est un des grands avantages d’avoir une approche complètement biologique et où le matériau est accepté par le corps. Le corps a plusieurs années pour faire ce processus de recolonisation et s’installer pour faire ce qu’on appelle le turnover de la matrice, parce que les matrices ne sont pas pérennes. Donc c’est nécessaire d’avoir du temps devant nous pour donner le temps aux cellules de se réparer. Surtout que quand on vieillit, on se répare un peu moins bien.
Philippe Ménasché — Je vous souhaite tout le succès, parce que là, vous répondez à un besoin médical réel, prégnant, qui existe depuis très longtemps et pour lequel, à ce jour, à ma connaissance, aucune solution satisfaisante n’a été apportée.
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Citer cet article: Évolution de la thérapie cellulaire en cardiologie - Medscape - 14 nov 2022.
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