Tour d’horizon des études présentées au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2022 sur la prévalence, le diagnostic et la prise en charge des myocardites induites par l’immunothérapie, avec le Pr Joe-Elie Salem et le Dr Pierre Sabouret.
TRANSCRIPTION
Pierre Sabouret — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Aujourd’hui, Joe-Elie Salem, qui est professeur en pharmacologie à l’université de la Sorbonne, va nous parler de l’actualité en cardio-oncologie présentée au congrès de l’AHA 2022.
Joe-Elie Salem — Bonjour. L’actualité à l’AHA était essentiellement des débats autour de l’intérêt des biomarqueurs et de l’intérêt du strain pour la prédiction des toxicités cardiaques sous anticancéreux. [1] Et par ailleurs, une autre actualité majeure était les avancées dans la compréhension des myocardites sous immunothérapie, leur diagnostic, leur prise en charge. [2]
Immunothérapie et santé cardiovasculaire
Pierre Sabouret — On parle beaucoup en effet des immunothérapies, mais pour les cardiologues qui nous regardent, pouvez-vous expliquer comment fonctionnent ces immunothérapies ?
Joe-Elie Salem — Il faut rappeler que l’immunothérapie est une révolution thérapeutique en médecine, avec un prix Nobel en 2018. Le principe est de comment réactiver notre propre système immunitaire, nos cellules T, pour qu’elles aillent tuer les cellules cancéreuses présentes dans notre organisme.
Pierre Sabouret — Les cellules T vont tuer les cellules cancéreuses, mais est-ce qu’il y a un prix à payer ?
Joe-Elie Salem — On a des cellules T autoréactives, initialement dirigées contre des antigènes de nos organes ; elles sont normalement calmes, à l’état de base. Lorsqu’on va mettre ces immunothérapies, on va avoir les bonnes cellules T que l’on cherche à réactiver contre le cancer, mais malheureusement, parfois on va avoir des cellules T autoréactives contre des antigènes du cœur qui vont s’activer et on aura des myocardites associées.
Prévalence et diagnostic des myocardites associées à l’immunotérapie
Pierre Sabouret – Quelle est la prévalence de ces myocardites ?
Joe-Elie Salem — Fort heureusement, l’incidence de ces myocardites est plutôt rare, parce que dans les formes décrites initialement il y avait quand même 50 % de mortalité au sein de ces patients qui développaient les myocardites. Mais actuellement, l’incidence est évaluée entre 0,3 % et 1 %, en fonction des immunothérapies.
Pierre Sabouret — Y-a-t’il des facteurs de risque qui favorisent la survenue de ces immunoréactions au niveau du cœur et des autres organes ?
Joe-Elie Salem — Effectivement, le facteur de risque principal aujourd’hui identifié est vraiment la combinaison d’immunothérapies. Lorsqu’on va « taper » sur différents systèmes, à différents endroits synergiques, on aura une amélioration de l’activité des cellules T contre le cancer, une meilleure efficacité anticancéreuse, mais comme on aura activé encore plus le système immunitaire, on va avoir une incidence plus élevée de toxicité immune associée, dont les myocardites. Donc la combinaison d’immunothérapies versus la monothérapie est un facteur de risque. En monothérapie, on est plutôt autour de 0,3 % de myocardites, en combinaison on est possiblement plus autour de 1 %.
Pierre Sabouret — On voit que c’est quand même rare, mais grave. Donc comment suspecter, justement, ces myopéricardites ?
Joe-Elie Salem – Alors des péricardites il n’y en a pas trop, justement. Ce sont juste des myocardites et, en fait, il faut se dire que ce sont ces cellules T qui reconnaissent un antigène qui est présent au niveau du muscle cardiaque, mais aussi, c’est un antigène partagé avec les muscles périphériques. Donc le plus souvent, on parle de myocardite parce que cela a été décrit initialement par les atteintes cardiaques qui sont les plus dangereuses avec les arythmies, les insuffisances cardiaques et la mort, mais en réalité, lorsqu’on investigue bien, ce sont tous les muscles qui sont atteints. Donc c’est plus une "polymyosite" dans le cadre dans lequel il y a une myocardite en plus.
En tant que cardiologue, on suspecte la myocardite généralement sur la troponine ou un ECG modifiés, mais en réalité, c’est la manière dont les patients vont arriver, qui va être plus sous des formes de polymyosite avec une diplopie, un ptosis — les muscles des yeux qui ne marchent pas —, une dyspnée — les muscles respiratoires qui ne marchent pas —, des arythmies cardiaques. Et dans ce cadre plus global de polymyosite, la myocardite est un des éléments. Donc il faut savoir intégrer et avoir une vision « médecine interne » lorsqu’on va suspecter ces myocardites.
Pierre Sabouret — Vous allez peut-être nous faire un changement de paradigme, parce qu’on avait l’impression que l’IRM cardiaque, c’était le gold standard…
Joe-Elie Salem — L’IRM cardiaque est extrêmement performante pour la myocardite virale, où il y a des lésions qui sont assez localisées à un moment donné et qui créent du tissu dense, mais là on va avoir tout le cœur qui va être infiltré de cellules T et de macrophages. Et l’IRM marche surtout par contraste, donc comme tout est infiltré, c’est compliqué. Et dans 30 % à 40 % des cas dans les formes débutantes, l’IRM est négative. Et il faut quand même se rendre compte que 30 % à 40 % des patients — avant même de commencer l’immunothérapie, parce que ce sont des patients cancéreux avec leur histoire et leurs facteurs de risque, ont des IRM qui peuvent être anormales. Donc l’IRM est un piège à la fois dans le diagnostic positif et dans le diagnostic négatif — il a une valeur prédictive positive et une valeur négative. Donc l’IRM est un des éléments, mais n’est pas, comme dans ce qu’on a connu des myocardites virales, le gold standard.
Des études très intéressantes ont été publiées par le Dr Hayek, qui montrent que quand on a une myocardite, on va avoir des CPK augmentées, des ASAT et des ALAT augmentées — dans 95 % des cas les 3 biomarqueurs sont augmentés en même temps, en plus de la troponine. [3] En revanche, au sein des patients qui vont être réfutés, qui auront une troponine positive, il n’y a que 5 % qui vont avoir CPK, ASAT et ALAT augmentées en même temps et donc quand on a ASAT, ALAT, CPK négatives et une troponine positive, il faut savoir chercher un diagnostic alternatif.
Prise en charge et perspectives
Pierre Sabouret – Quelle sera la prise en charge de ces myocardites induites par immunothérapie ?
Joe-Elie Salem — C’est vraiment quelque chose d’extrêmement mouvant. La prise en charge initiale était les corticothérapies, basée sur des hypothèses que le système immunitaire est activé, donc on va donner des corticoïdes. On s’est malheureusement rendu compte qu’environ 50 % à 80 % vont être cortico-résistants, donc cela ne va pas bien marcher. Il y avait des données, notamment de notre groupe, où on a montré dans une cohorte de 40 sujets, des thérapeutiques un peu innovantes, plus spécifiques, avec l’abatacept et les JAK-inhibiteurs — le ruxolitinib ; lorsqu’on va les combiner, dans notre cohorte de 30 patients avec qui on a fait cela, on obtenait une mortalité à moins de 3 %.[4] Donc on a vraiment un changement de paradigme dans les traitements, alors il faut encore l’établir avec des essais prospectifs, mais on est loin, maintenant, des 50 % initialement décrits.
Pierre Sabouret – En tout cas, on a des résultats prometteurs à partir de votre cohorte.
Joe-Elie Salem — Prometteurs. Maintenant, il va falloir qu’on aille de l’avant et, d’ailleurs, on va avancer sur ce sujet.
Pierre Sabouret — On a bien vu le contexte, le diagnostic, la prise en charge… Le pronostic, quand le patient est traité, quel est-il actuellement ?
Joe-Elie Salem — Initialement, dans les premières études, la maladie n’était pas encore bien caractérisée, on avait 50 %-60 % de mortalité, puis au cours des temps, avec l’instauration des corticothérapies et de la meilleure reconnaissance de la maladie et surtout de l’identification de cas moins sévères – parce qu’au début on ne voyait que la pointe de l’iceberg, c’est-à-dire les patients les plus sévères –, mais avec l’évolution, on est maintenant autour de 30 % de mortalité en général, dans les cohortes des uns et des autres. Et chez nous, on a vraiment un chiffre extrêmement prometteur avec les thérapeutiques dont je vous ai parlé.
Pierre Sabouret – D’accord. C’est très encourageant pour la suite. Et justement, quelles sont les perspectives ?
Joe-Elie Salem – À Paris, on fait une phase II pour déterminer la meilleure dose d’abatacept – qui est ce médicament que je propose — avec 10, 20, 25 mg/kg.
On va faire une phase 2 pour déterminer la bonne dose d’attaque et après, par la suite, on espère pouvoir partir sur un essai contrôlé randomisé pour pouvoir comparer notre stratégie avec ce que les gens ont envie de faire par ailleurs, et on verra bien.
Pierre Sabouret – Est-ce qu’on a des données à long terme, une fois que les patients ont bien répondu, ou est-ce que cela manque encore ?
Joe-Elie Salem — Jusqu’à présent, les gens étaient concentrés sur le pronostic cardiaque, puisqu’ils mouraient du cœur, mais sur cette cohorte, la nôtre, on a pu regarder, puisqu’ils survivaient, le pronostic à 6 mois. À 6 mois, on a 75 % de survivants et on a environ 55 % de gens qui ont une PFS (progression free survival), c’est-à-dire une survie sans progression tumorale, donc avec une efficacité anticancéreuse préservée à 6 mois — 55 %, environ.
Pierre Sabouret — Merci, Joe-Elie Salem pour cette revue de la littérature et les dernières avancées dans les immunothérapies en oncocardiologie. Je pense que l’on sait tout, maintenant, dans ce domaine, avec cette actualité de l’AHA. Merci et à bientôt sur Medscape.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie en français sur Twitter.
Medscape © 2022
Citer cet article: Toxicité cardiaque de l’immunothérapie : les dernières données présentées à l’AHA 2022 - Medscape - 9 nov 2022.
Commenter