
Barcelone, Espagne – A l'occasion du dernier congrès de l'European Society of Cardiology ( ESC 2022 ), l'European Atherosclerosis Society (EAS) a publié un consensus sur la lipoprotéine (a). [1] Celui-ci stipule que la Lp(a) mérite d'être dosée au moins une fois, et prise en compte dans l'évaluation du risque CV. Le Pr Gilles Lambert (Faculté de Santé - Université de La Réunion ; Laboratoire Inserm UMR1188 DéTROI) co-signataire du consensus de l'EAS, en explique les grandes lignes.
Un dosage de la Lp(a) au moins une fois dans la vie
Un précédent consensus avait déjà été publié en 2010. A partir des données récentes sur la Lp(a), l'EAS confirme que les taux élevés sont un facteur de risque CV, et que les taux extrêmes sont associés à des événements majeurs, très précoces. L'EAS préconise donc qu'un dosage de la Lp(a) soit effectué au moins une fois dans la vie de chaque personne. L'idée n'est pas de faire de la Lp(a) un nouveau LDL. Mais puisque le risque associé est une réalité, il est logique de le prendre en compte dans la pratique. Un taux de Lp(a) élevé, en présence d'autres facteurs de risque, constitue clairement un argument supplémentaire d'intervention.
Medscape édition française : La Lp(a) est une molécule complexe. Où en est-on de sa compréhension ?
Pr Gilles Lambert : La Lp(a) est une association entre une protéine, l'apolipoprotéine (a), synthétisée dans les hépatocytes, et une particule de LDL. Elle a été découverte fortuitement dans les années 60, et rapidement, les taux élevés ont été corrélés aux événements CV de l'athérosclérose.
Pour autant, les connaissances sur la Lp(a) restent minces. On ne comprend toujours pas le mécanisme d’association entre cette protéine et particule de LDL. Aucun récepteur spécifique de la Lp(a) n'a par ailleurs été identifié.
Enfin, le mécanisme pathophysiologique du risque n'est pas celui du LDL. Les taux circulants de Lp(a), même très élevés, restent de loin inférieurs aux taux de LDL, et trop faibles pour provoquer des dépôts significatifs au niveau de la paroi vasculaire. L'hypothèse est aujourd'hui que les Lp(a) se chargent en phospholipides oxydés, et participent aux mécanismes inflammatoires délétères au sein des plaques d’athérome.
L'écart entre LDL et Lp(a) est longtemps resté symbolisé par une observation : les statines sont efficaces sur le LDL, et aucunement sur la Lp(a). Pourtant, cette observation est elle-même limitée puisque les anti-PCSK9, qui s'adressent au même récepteur que les statines, ont, eux, un effet sur la Lp(a), en réduisant le taux de 20 à 30%. Fondamentalement, c'est ce constat qui a relancé l'étude de la Lp(a) depuis une dizaine d'années. Les recherches restent cependant difficiles, et pour une raison simple : la Lp(a) est une protéine spécifiquement humaine, et l'on ne dispose pas de modèle animal adéquat pour en étudier le métabolisme et la pathogénicité. Résultat : aujourd'hui encore, la Lp(a) reste un sujet mal connu, et peu enseigné.
Dans son nouveau consensus sur la Lp(a), sur quoi l'EAS met-elle l'accent ?
Pr Lambert : Ce consensus a pour fondement la relation à la fois causale et continue entre le taux de Lp(a) et les événements cardiovasculaires. Cette relation était connue, mais le constat est aujourd'hui basé sur des études épidémiologiques et génétiques portant sur des centaines de milliers d'individus, de différentes origines. Ces études permettent également de préciser le profil du risque. La Lp(a) apparaît ainsi comme un facteur de risque de sténose de la valve aortique. En revanche, elle est mise hors de cause dans la thrombose veineuse. Enfin, un résultat surprenant mais qui reste à confirmer : une méta analyse indique que des taux cette fois très faibles de Lp(a) pourraient être associés au diabète de type II. On ne sait pas encore si le déficit en Lp(a) a un rôle causal, ou s'il s'agit simplement d'un marqueur du diabète.
En pratique, quelles sont les préconisations de l'EAS ?
Pr Lambert : L'objectif souhaité par l'EAS est qu'un dosage de la Lp(a) soit effectué au moins une fois dans l'existence de chaque personne. Ce dosage n'était pas préconisé dans le consensus de 2010. L'idée n'est évidemment pas de passer au dépistage de masse dans la population – la santé publique a d'ailleurs d'autres priorités. Simplement, la plupart des adultes d'un certain âge savent à peu près où se situe leur LDL, et il serait souhaitable que ce soit également le cas pour la Lp(a). En pratique, les valeurs extrêmes pourront faire l'objet d'une prise en charge spécifique et précoce, et les valeurs élevées seront à interpréter en fonction du risque CV global. Le cas échéant, elles constituent un argument supplémentaire pour modifier l'hygiène de vie.
Comment les sujets présentant un taux élevé de Lp(a) sont-ils actuellement pris en charge ?
Pr Gilles Lambert : Dans les populations européennes et asiatiques, environ 80% des individus présentent des taux normaux ou faibles, parfois même indétectables de Lp(a).
Une personne sur cinq présente donc des taux élevés, et c'est dans cette fraction de la population que le contexte CV est à prendre en considération.
Enfin, un petit pourcentage des sujets peut présenter des taux extrêmement élevés, avec des conséquences dramatiques sur le plan CV. Ces conséquences se retrouvent chez d'autres membres de la famille, puisque 90% de la variabilité des taux de Lp(a) est d'origine génétique.
Notre équipe a ainsi rapporté le cas d'un homme présentant des taux très élevés de Lp(a) ainsi qu'un variant allélique à risque de la prothrombine mais aucun autre facteur de risque CV, et victime d'IDM récurrents dès l'âge de 32 ans. [2] L'étude familiale a permis d'identifier 17 membres de sa famille présentant des taux extrêmes de Lp(a), avec des antécédents coronariens dans 6 cas. [3] Parmi eux, deux cousins du cas index ont présenté des IDM sévères à 27 et 35 ans. Pour ces personnes, la seule ressource thérapeutique est la lipaphérèse hebdomadaire.
Existe-t-il d'autres perspectives thérapeutiques ?
Pr Lambert : Amgen et Novartis développent des ARN interférents, provoquant la dégradation de l'ARN messager de l'apolipoprotéine (a). Ils sont actuellement en phase III. Les phases I et II ont montré que cette approche permet de faire baisser le taux de Lp(a) dans des proportions très importantes, jusqu'à 90%. Mais il faut être prudent, puisqu'on ne sait toujours pas si la réduction de la Lp(a) s'accompagne d'une diminution des événements cliniques. Les études sur les anti-PCSK9, qui montraient une baisse de la Lp(a), ont été réanalysées, et suggèrent un bénéfice clinique de cette baisse. Mais il s'agit de modèles mathématiques. Et n'oublions pas l'échec clinique des inhibiteurs de CETP, pourtant efficaces sur le taux de HDL. S'agissant de la Lp(a), les résultats des phases III sont attendus pour 2024-2025.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Recevez nos newsletters spécialisées.
Crédit photo de Une : DR
Medscape © 2022 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Un nouveau consensus propose un dosage de la lipoprotéine (a) au moins une fois dans la vie - Medscape - 27 sept 2022.
Commenter