Traitement du RA sévère asymptomatique : la chirurgie pourrait être préférable à la surveillance rapprochée

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

26 septembre 2022

Barcelone, Espagne __  La surveillance d’un patient ayant un rétrécissement aortique (RA) très serré peut être prise en défaut que ce soit du fait du patient ou du médecin.

L’intervention précoce est-elle alors préférable à la surveillance chez ces patients qui n’ont pas de symptôme et dont on sait qu’ils sont à risque de complications majeures brutales ou à moyen terme ?

Cette question a été le thème d’un Grand débat lors du congrès 2022 de l’ European Society of Cardiology (ESC). Elle était co-présidée par Alec Vahanian (Université Paris-Descartes - Paris, France) et Christian Hengstenberg (University Hospital St. Polten - St. Polten, Autriche).

Les partisans du pour du contre sont d’accord : la surveillance « armée » chez les patients ayant une sténose aortique sévère asymptomatique, bien encadrés et à faible risque, est confirmée par des données rationnelles.

« Toutefois les données observationnelles et les essais randomisés récents sont en faveur de la chirurgie précoce chez les patients à faible risque sans attendre le début des symptômes », a commenté le Pr Bernard Iung, partisan de l’intervention (AP-HP - Hôpital Bichat-Claude Bernard - Paris, France).

Ce patient est-il vraiment asymptomatique, quel est le degré du retentissement actuel myocardique, de l’évolutivité de la sténose aortique, quel risque opératoire, l’attentisme sera-t-il préjudiciable à la récupération complète ?

Bernard Iung a rappelé que la sténose aortique est une pathologie chronique évoluant à bas bruit. Parfois, le patient limite lui-même son activité sans s’en apercevoir ou bien une pathologie associée réduit ses déplacements. Déterminer la sévérité exacte et les conséquences de l’immobilisme du praticien sont au centre de l’évaluation clinique et para clinique chez ce patient qui minimise, involontairement ou non, ses symptômes.

 
Toutefois les données observationnelles et les essais randomisés récents sont en faveur de la chirurgie précoce  Pr Iung
 

« Le risque des complications lors de la surveillance est faible », argumente pour sa part le Pr Luc Piérard (Université de Liège, Belgique) mettant en balance le risque faible de décès avec celui des complications du remplacement valvulaire.

Mais, encore faut-il bien mener le suivi chez un patient éduqué bénéficiant de bonnes disponibilités et écoute médicale.

« Proposer d’emblée une chirurgie valvulaire aortique, à un patient dont on sait qu’il devra être opéré dans les trois ans est préférable à l’attentisme ! », contre le Pr Iung.

Une fois évalués, l’état général du patient, son degré d’activité, l’existence de pathologies associées, il convient de préciser la sévérité réelle de la valvulopathie.

Quels examens proposer ?

La clinique fait le diagnostic, l’échocardiogramme définit le caractère très serré du rétrécissement aortique (RA). Il permet également de différencier les patients ayant une fonction cardiaque altérée qui nécessiteront une intervention. Une fraction d’éjection ventriculaire gauche <50% chez un patient asymptomatique est une indication opératoire grade 1B. [1]

Le test d’effort est au centre des examens à proposer, chez ces patients asymptomatiques. Bernard Iung montre qu’une épreuve d’effort positive démasque le patient « faussement » asymptomatique et doit conduire à l’intervention classe I niveau C. [1]

A côté de l’échocardiogramme, scanner, IRM ont leur place chez les patients asymptomatiques  (importance des calcifications aortiques ou chez les patients peu échogènes préciser la surface aortique la taille de l’anneau, degré du retentissement myocardique dysfonction ou fibrose myocardique pour l’IRM).

Les indicateurs de sévérité : le taux de BNP, la rapidité de progression de la V max, le pic de gradient, la densité des calcifications interviendront également dans la décision opératoire. Toutefois fait remarquer le Pr Iung la faisabilité et le recours à ces tests est loin d’être optimale. [2]

Une fois apprécié ce retentissement, il faut considérer le risque global du patient et notamment les comorbidités. Le rétrécissement aortique, bicuspidie mise à part, est une affection liée à l’âge, les pathologies associées (cerveau, reins, poumons, mobilité) font partie du bilan associé mais ne sont pas un obstacle au traitement.

« En cas de RA très sévère, l’âge du patient est un élément qui conditionne le type de l’intervention [TAVI, Valve biologique ou prothèse] et non pas son indication », a souligné le Pr Vahanian.

Peu de données de la littérature

Les intervenants reconnaissent qu’il y a peu d’études, deux à ce jour, comparant le risque d’une chirurgie précoce à l’attentisme. L’essai Coréen RECOVERY [3]  qui compare 150 patients ayant un RA asymptomatique très sévère appariés pour moitié opérés, l’autre moitié surveillée non opérés. La mortalité opératoire et cardiovasculaire à un an est de 1% chez les opérés et 6% chez les autres, à 4 ans la mortalité cardiovasculaire est de 1% contre 6% chez ceux qui ne sont pas opérés. Elle est de et 26% à 8 ans mais aucun patient de ce groupe n’a été opéré….

 
En cas de RA très sévère, l’âge du patient est un élément qui conditionne le type de l’intervention [TAVI, Valve biologique ou prothèse] et non pas son indication  Pr Vahanian
 

L’autre européenne AVATAR [4]  a été interrompue avant la date prévue. Elle concerne un petit nombre de patients également, 157, qui avaient un RA sévère, dont l’épreuve d’effort est négative, 78 opérés vs 79. La mortalité opératoire est de 1,4%. Lors du suivi 32 mois, les patients opérés ont eu deux fois moins de complications dans le critère composé : décès toutes causes, accident vasculaire cérébral, infarctus, insuffisance cardiaque : 13 vs 26.

Au cours de la discussion Victoria Delgado (Germans Trias i Pujol Hospital - Barcelone, Espagne) a insisté sur la nécessité d’un suivi très bien mené chez les patients asymptomatiques.

« Pour raccourcir les délais de prise en charge, il faut élargir la Heart Team, un peu trop rigide, et inclure les professionnels de santé accompagnant les patients au quotidien, potentiellement plus disponibles, à même de référer le patient rapidement » , a-t-elle ajouté. 

Cette question de la surveillance et des délais de prise en charge liés au patient, au médecin, aux disponibilités hospitalières, est une question centrale. Luc Piérard précise : « dans mon hôpital le délai est d’environ 2 mois pour la chirurgie de remplacement valvulaire, beaucoup plus pour la réalisation d’un TAVI ! ».

 
Dans mon hôpital le délai est d’environ 2 mois pour la chirurgie de remplacement valvulaire, beaucoup plus pour la réalisation d’un TAVI ! Luc Piérard
 

Intervention préventive ; les arguments

A une question concernant la subjectivité des symptômes et son corollaire la peur de l’intervention, Bernard Iung a répondu qu’il fallait expliquer au patient sans rejeter l’une ou l’autre option que la chirurgie, non systématique dans son cas, lui permettra d’éviter des complications futures.

Julia Mascherbauer (University Hospital St. Polten - St. Polten, Autriche) acquiesce ajoutant « Il faut faire comprendre au patient la nécessité d’éviter une progression de la maladie avec les complications non seulement qui peuvent survenir en attente de l’opération mais aussi les complications post opératoires, à moyen et long termes d’une intervention qui sera trop différée ».

Le Pr Vahanian remarque : « c’est au gouvernement, s’il n’est pas trop occupé (sic), aux sociétés savantes, aux institutions, à nous médecins d’œuvrer à l’éducation du patient et au suivi des guidelines. Nous voyons encore trop de patients qui arrivent trop tard, nous n’avons pas progressé ces dernières années dans cette voie . 

Le Pr Iung tempère : « il y a eu du progrès dans le suivi des recommandations mais effectivement les patients arrivent trop tard. Les délais de diagnostic et de suivis peuvent aussi être expliqués par la crainte de l’intervention, expliquant le retard des consultations et l’on voit alors des patients en mauvaise condition. Le dialogue a toute son importance. »

Dans la mesure où il faut au minimum trois voire six mois pour obtenir un rendez-vous en cardiologie (Paris compris) le défi d’une telle surveillance et du dialogue n’est pas gagné.

 
Nous voyons encore trop de patients qui arrivent trop tard  Pr Vahanian
 
Conflits d’intérêts : B Iung pas de conflit L Pierard pas de conflit. V. Delgado non signalés.

 

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org |Medscape Cardiologie sur Twitter.

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....