
Pr Benard Escudier
Paris, France — Au cours du congrès ESMO 2022 , un prix ESMO Society Awards a été remis au Pr Benard Escudier (Institut Gustave Roussy, Villejuif) en reconnaissance des nombreux travaux menés pendant sa carrière, qui ont largement contribué à l’amélioration de la prise en charge du cancer du rein. Il a notamment participé au développement des anti-VEGF et des inhibiteurs de checkpoint anti-PD-L1, des thérapies ciblées qui ont permis de quadrupler la survie des patients et d’obtenir des guérisons. Retour sur le parcours de ce cardiologue de formation devenu cancérologue de renom.
Le Pr Bernard Escudier a débuté sa carrière en tant que cardiologue au CHU Henri Mondor à Créteil et rien ne le prédestinait à se spécialiser en cancérologie. « Je suis probablement le cardiologue qui a le plus grand nombre de publications en cancérologie », a commenté avec une pointe d’humour ce spécialiste du cancer du rein mondialement connu, lors de la session de remise des prix ESMO Society Awards [1].
Il est en effet l’auteur de plus de 500 publications, investigateur principal de nombreux essais de phase I à III, mais aussi coordinateur du groupe de recommandations de l’ESMO sur le cancer du rein et président de l’Association pour la recherche sur les tumeurs du rein (ARTuR), qu’il a fondée en 2005.
Essai sur des extraits de cartilage de requin
Le basculement du Pr Escudier vers la cancérologie a commencé en 1983, en intégrant le service de réanimation de l’Institut Gustave Roussy pour travailler sur la prise en charge des toxicités cardiaques liés aux traitements contre le cancer. C’est à cette époque que débutent les premiers essais sur les interleukines 2 (IL-2), une cytokine utilisée pour stimuler le système immunitaire et diriger son action contre les cellules cancéreuses. ll s’agit alors des premiers essais en immunothérapie.
Le médecin s’intéresse à cette approche et développe des protocoles contre le cancer du rein, un domaine dans lequel les cancérologues étaient peu investis, en raison de résultats décourageants obtenus avec la chimiothérapie et la radiothérapie. « Le cancer du rein a l’inconvénient de ne pas être sensible à la chimiothérapie et il faut des doses très élevées de radiothérapie pour espérer avoir un effet », précise le Pr Escudier à Medscape édition française.
A la fin des années 1980, un protocole de phase 2 mené chez de patients atteints d’un cancer du rein donne des résultats positifs avec l’administration d’IL-2. En 1989, l’Institut Gustave Roussy crée le groupe français d’immunothérapie et, compte tenu de l’implication du Pr Escudier dans les essais sur l’interleukine, lui propose de diriger cette nouvelle structure.
« C’était inattendu car j’étais cardiologue. Mais, après réflexion, j’ai finalement accepté ». Pendant les 20 années sous sa direction, le groupe français d’immunothérapie, a été à l’origine de nombreux essais multicentriques sur des traitement innovants dans le cancer du rein, ce qui lui a apporté une reconnaissance internationale. Le groupe est aujourd’hui intégré dans le Groupe d’études des tumeurs urologiques (GETUG). « A l’origine, nous étions cinq ou six experts. Désormais l’équipe regroupe une cinquantaine d’experts. »
C’est d’ailleurs à ses débuts à la tête du groupe français d’immunothérapie que le Pr Escudier donne à la recherche dans le cancer du rein un tournant international, là encore de manière inattendue, lorsqu’il est approché en 1988 par une petite société de biotechnologie canadienne pour participer avec son équipe à des études sur des extraits de cartilage de requin.
Le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et son rôle dans la vascularisation des tumeurs, en particulier dans le cancer du rein, venaient alors d’être découverts. « Le cartilage est un tissu qui a la particularité de ne pas être vascularisé. On suspectait que ce soit sous l'action d’anti-angiogéniques. Après avoir obtenu des résultats intéressants avec un extrait de cartilage de requin chez une trentaine de patients atteints de cancer du rein métastatique, le laboratoire souhaitait passer à un essai plus important », explique le cancérologue.
Une survie proche de cinq ans
Le premier essai international de phase 3 randomisé en double aveugle est alors mené dans le cancer du rein, en incluant les Etats-Unis, pour évaluer l’effet des extraits de cartilage de requin du laboratoire contre placebo, après échec d’un premier traitement par IL-2. Les résultats s’avèrent négatifs, mais cette expérience lance un début de collaboration internationale entre l’Europe et les Etats-Unis qui a dynamisé la recherche sur ce cancer et renforcé son intérêt.
En 2003, une autre étude internationale randomisée est lancée pour tester le sorafenib, qui dispose d’une activité anti-VEGF. Les résultats sont cette fois au rendez-vous et le sorafenib est autorisé deux ans plus tard dans le traitement du cancer du rein. Le Pr Escudier et son équipe définissent au passage les populations de patients qui répondent le mieux aux thérapies, ce qui conduit à faire des anti-VEGF, le traitement de référence dans ce cancer.
Au même moment, l’immunothérapie prend un nouvel essor après la découverte du rôle des récepteurs PD-L1 dans l’inactivation des lymphocyte T et, par conséquent, dans le contrôle de la réponse immunitaire anti-tumorale.
« L’importance de ces récepteurs inhibiteurs PD-L1 a d’abord été démontrée dans le cancer du rein. En 2003, alors que les anti-antiangiogéniques n’étaient pas encore approuvés, un chercheur américain a déclaré que l’inhibition de PD-L1 était la future voie thérapeutique contre le cancer du rein ». Initialement accueillie avec beaucoup de scepticisme, à la suite du succès limité des IL2, cette prévision s’est finalement avérée juste.
« Les anti-PD-L1 et les anti-VEGF sont les deux traitements qui ont permis d’améliorer le pronostic dans le cancer du rein. Lorsque j’ai débuté, la médiane de survie avec un cancer du rein était de un an. Avec les anti-VEGF, la survie a plus que doublé, en passant de 12 mois à 30 mois. Avec les anti-PD-L1, elle est passée à quasiment 5 ans. On espère désormais trouver une troisième voie, qui nous permettra d’avoir 8 à 10 ans de survie et surtout davantage de guérison. Actuellement, 10% des patients obtiennent une guérison après un cancer du rein métastatique. » Parmi les pistes explorées: rendre les tumeurs davantage immunosensibles, en s’appuyant notamment sur la modulation du microbiote intestinal.
Le traitement immédiat non recommandé
En tant que responsable du groupe de recommandations sur le cancer du rein de l’ESMO, le Pr Escudier a également eu une influence sur la prise en charge des patients atteints du cancer du rein, en défendant plus particulièrement la nécessité d’observer l’évolution des tumeurs avant de traiter.
« Le cancer du rein a des profils génomiques variés. Certains sont d’évolution très lente et des rémissions spontanées sans traitement sont possibles », souligne le cancérologue. « C’est ce qui fait la particularité et l’intérêt de ce cancer ». Il est donc désormais recommandé de respecter une période d’observation avant d’initier un traitement afin de s’assurer que les métastases ont bien une évolution défavorable. « Au fil des années, nous avons amélioré nos connaissances sur la nature de certains cancers du rein et nous savons maintenant que tous les patients n’ont pas forcément besoin d’un traitement immédiat ».
Autre progrès à noter: la place de la chirurgie a été redéfinie dans le cancer du rein avancé, à la suite d’une importante étude (CARMENA) initiée par le GETUG. « La néphrectomie n’est plus le traitement standard de première intention chez les patients avec un cancer du rein métastatique », qui représente 20% des cas, a précisé le Pr Escudier. Dans cette étude, il a été démontré que la survie globale était meilleure chez les patients recevant seulement l’antiangiogénique sunitinib, comparativement à ceux recevant la thérapie ciblée après la chirurgie [2]. Selon le cancérologue, « la chirurgie ne doit jamais être pratiquée en urgence dans le traitement du cancer du rein métastatique ».
Pour conclure sa présentation, le Pr Escudier a rappelé que tous ces progrès n’auraient pas pu être réalisés sans une meilleure compréhension de la biologie du cancer par la recherche translationnelle, qui a permis de caractériser les voies d’expression du VEGF et des PD-L1. La poursuite de ces recherches pourrait aider à révéler une nouvelle cible thérapeutique dans ce cancer afin d’augmenter encore davantage la survie des patients. « J’espère connaitre le jour où on guérira 50% ou plus des patients atteints de cancer du rein métastatique. »
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Crédit de Une et texte: ESMO
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Citer cet article: Cancer du rein: l’ESMO récompense le Pr Bernard Escudier - Medscape - 20 sept 2022.
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