France – Après le second été le plus chaud de l’histoire de France et redoutant une pénurie d’énergie liée au conflit russo-ukrainien, le gouvernement français encourage la sobriété énergétique et appelle à la « responsabilité collective ». Le monde de la santé est bien évidemment concerné. Plusieurs professionnels de santé relatent comment, par de petits gestes, ils ont modifié leur pratique pour qu’elle soit moins carbonée.
Elisabeth Borne veut décarboner
Lors de l'université d'été du Medef, la Première ministre a appelé le 29 août dernier les entreprises à redoubler d’efforts pour réduire leur consommation d'énergie et faire face à la crise liée à la guerre en Ukraine.
Elisabeth Borne leur a demandé de réaliser en septembre des plans de sobriété énergétique pour réduire les consommations de 10 % d’ici 2024 et les a mises en garde contre d’éventuelles coupures de gaz ou rationnements cet hiver. Tous les secteurs d’activité sont invités à s’emparer de cette « responsabilité collective » en matière d’économies d’énergie.
La santé, qui représente 8% des émissions de gaz à effet de serre du pays selon le rapport du Shift Project rendu public en décembre dernier, est, elle aussi, pleinement concernée et investie.
Sur le terrain, des professionnels de santé ont déjà pris conscience de l’importance d’agir pour rendre leur activité plus éco-responsable. Quatre d’entre eux ont accepté de confier à Medscape édition française comment ils ont déjà commencé à adapter leur pratique.
« J’ai pris conscience de l’importance d’agir », Christine Bihr, pharmacienne à Paris

Christine Bihr
« La sobriété est une problématique qui me parle, j’ai pris l’avion trois fois dans ma vie, j’ai une voiture électrique depuis sept ans et j’essaie de manger local. Mais j’ai pris conscience il y a un an de l’importance d’agir aussi dans mon activité professionnelle. J’ai suivi en décembre dernier une formation RSE avec le groupement Giropharm dont je fais partie qui m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses. J’ai acheté la BD « Le monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici (coécrite avec l’illustrateur Christophe Blain, éd. Dargaud) et j’ai demandé à tous mes salariés de la lire.
Au jour le jour, cet engagement se traduit par plein de petits gestes : mettre un peu moins fort la clim’ dans la pharmacie, l’achat d’une nouvelle poubelle à recycler, l’utilisation d’un mousseur de robinet pour consommer moins d’eau… Au comptoir, nous essayons de donner moins de sacs et d’encourager les clients à utiliser les sacs réutilisables. J’essaie de faire moins de commandes directes et de commander plus chez mon grossiste pour limiter les transports.
Pour limiter le gâchis monstrueux autour de la publicité des produits, j’essaie de refuser des présentations que tous les labos veulent mettre, mais ce n’est pas toujours simple. Depuis toujours, j’essaie de privilégier les labos qui produisent en France et de m’approvisionner au plus près par souci de qualité et d’écologie. »
« Les soignants doivent sensibiliser les patients au bon usage des médicaments »,Philippe Perrin, infirmier formateur en santé environnementale à Aix-les-Bains (Savoie)

Philippe Perrin
« Le soin le moins impactant est celui que l’on n’a pas à faire. Aujourd’hui, notre système de santé soigne les pathologies. La sobriété en santé passera par la réduction du nombre de personnes touchées par les maladies chroniques. Cela nécessite de renforcer la prévention en santé primaire, de modifier son mode de transport en optant pour le vélo ou le vélo électrique, adopter les circuits courts, réduire la consommation d’eau et d’énergie, utiliser le système D pour acheter d’occasion du matériel, limiter le gaspillage de médicaments grâce à la bonne observance, le bon usage, ou le refus de prendre toutes les prescriptions quand elles ne sont pas utiles.
Il faudrait une réforme pour réduire le gaspillage ! Tant de progrès sont à faire. Pour produire un gramme d’antibiotique, il faut près de 4000 litres d’eau ! Il faudrait par exemple développer davantage le conditionnement à l’unité.
Et il est du rôle de chaque soignant de sensibiliser les patients au bon usage des médicaments. On consomme beaucoup trop de médicaments en France. Des gens font des stocks de médicaments pour 6 mois ! Quelle quantité de médicaments finit dans les poubelles, c’est un désastre ! C’est aussi aux soignants de respecter la prescription et la consommation de médicaments : en France, une femme enceinte reçoit entre 8 et 10 médicaments pendant sa grossesse quand elle n’en a que 2 ou 3 dans les pays du Nord ! Cette notion de moindre prescription devrait faire partie de la formation des soignants. On commence à comprendre mais on a longtemps fermé les yeux. »
« Notre équipe se pose des questions sur son impact social et écologique »,Dr Aude Vandebavière, médecin généraliste et Antoine Prioux, pharmacien à Bugeat* (Corrèze), membres du pôle de santé de Millesoins

Dr Aude Vandenbavière et Antoine Prioux
Aude : « Nous faisons tous deux partie du pôle de santé de Millesoins qui comprend 5 cabinets répartis dans 5 villages et compte 5 médecins, 8 infirmiers dont une IPA, 3 pharmaciens au sein duquel nous réfléchissons à une approche d’exercice plus sobre.
Ce qui m’a fait m’installer ici, il y a deux ans, c’est d’être tombée sur une équipe qui se posait des questions sur son impact social et écologique. Sur le plateau de Millevaches, j’essaie de me déplacer en vélo électrique car j’habite à 20 minutes de mon cabinet, de limiter le transport en voiture. J’ai aussi un véhicule électrique que j’utilise pour me rendre à mon 2e cabinet à 30 km du premier ou pour les urgences.
J’ai apprécié le livre d’Alice Barras, Guide du cabinet de santé écoresponsable , éd. Presses de l’EHESP, 342 p., 39 euros) qui propose des pistes pour engager une action éco-responsable et réduire sa consommation d’énergie. J’ai adopté des lumières LED au lieu d’ampoules plus énergivores et j’accomplis beaucoup de petits gestes : j’imprime systématiquement en recto-verso et j’utilise du papier et des enveloppes recyclées, j’ai donné ma cafetière à dosettes et j’en utilise une à percolateur et je bois des tisanes locales sans sachet. Je me pose la question de limiter le matériel à usage unique. Je prévois notamment d’acheter un autoclave pour désinfecter mes ustensiles. Et dans ma pratique, je m’astreins à ne voir que 25 patients par jour pour garder du temps pour l’éducation thérapeutique (comment bien s’alimenter, bouger, dormir). Je fais partie de la génération formée à la fac à la déprescription médicamenteuse et j’essaie de le mettre en pratique dans mon exercice. »
Antoine : « Nous avons mis en place une gestion des stocks plus fine pour réduire les livraisons par les répartiteurs pharmaceutiques. Notre objectif est de n’être plus livrés qu’une à deux fois par semaine au lieu d’une à deux fois par jour. Nous réduisons ainsi les transports du répartiteur et donc ses émissions carbones.
Nous essayons améliorer la qualité de prise en charge avec moins de médicaments, de dispositifs médicaux et de gaspillage. N’oublions pas que la moitié de l’empreinte carbone de la santé porte sur le médicament et le dispositif médical !
Pour limiter la consommation des antibiotiques, nous avons mis en place avec les médecins la prescription d’antibio différée (si dans 3 jours, ça ne va pas mieux, les antibios sont délivrés, ndlr). Nous pratiquons la dispensation à l’unité sur les corticoïdes, les AINS, certains antalgiques, antibiotiques et benzodiazépines.
Pendant le Covid, afin de limiter les risques de contamination dans la pharmacie, nous avons mis en place la dispensation des médicaments à domicile en voiture électrique pour une centaine de patients chroniques éloignées du bourg. Nous réfléchissons à le faire au long cours pour réduire leurs déplacements.
*Antoine Prioux est l’un des rédacteurs du volet santé du plan de transformation de l’économie française (PTEF) élaboré par le Shift Project.
Des acteurs de l’hôpital se mobilisent
Dès le 24 août, avant même l’intervention de la Première ministre, dix dirigeants de CHU, de fédérations d’hospitalisation privée ou de mutuelle ont publié un texte commun dans La Tribune pour engager une réflexion collective autour d’une nécessaire transition pour une santé plus écoresponsable.
« Notre système de santé aujourd'hui à bout de souffle pourrait utilement intégrer une démarche globale de sobriété, faisant de cette contrainte un socle pour se réinventer »,écrivent les signataires parmi lesquels figurent les patrons des CHU de Nantes, Bordeaux et la Martinique. La situation de crise pourrait paradoxalement être une opportunité. « Incarner cette dimension de sobriété au quotidien permettra également de redonner du sens à nos métiers : faire preuve de sobriété, c'est faire évoluer ses pratiques en s'appuyant sur la qualité du lien, du soin, pour sortir de la surconsommation et réduire l'empreinte de nos actions. »
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Citer cet article: Professionnels de santé, ils expliquent comment ils ont rendu leur activité plus éco-responsable - Medscape - 14 sept 2022.
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