France — Des chercheurs français ont découvert une nouvelle thérapie visant à restaurer la production d’oxyde nitrique (NO). Testée sur deux modèles de rongeurs, elle permettrait de traiter la prééclampsie, une maladie du placenta qui peut avoir des complications mortelles. Le Dr Miria Ricchetti et le Dr Daniel Vaiman, deux des auteurs de l’article publié dans Redox Biology, expliquent à Medscape les applications possibles de leurs recherches.
La prééclampsie est une pathologie qui touche le placenta pendant la grossesse. « C’est une maladie qui peut être mortelle », souligne le Dr Miria Ricchetti responsable du l’unité Mécanismes moléculaires du vieillissement pathologique et physiologique à l’Institut Pasteur. « La prééclampsie, dans sa définition la plus classique, se caractérise par l’apparition de novo de deux symptômes majeurs au plus tôt au deuxième trimestre de la grossesse : une hypertension artérielle supérieure à 140/90 mm Hg et une protéinurie supérieure à 300 mg/L », complète le Dr Daniel Vaiman, chercheur à l’Institut Cochin, directeur de recherche à l’INSERM, responsable d’une équipe qui travaille sur la biologie de la reproduction.
Impacts sur le long terme
La prééclampsie touche 2 à 8 % des femmes enceintes dans le monde et est responsable de plus de 50 000 morts maternelles chaque année. Outre l’hypertension artérielle et la protéinurie, la prééclampsie peut provoquer des anomalies de la coagulation dans le placenta et dans des tissus maternels, un syndrome hépatique (HELLP), des anomalies cardiovasculaires chez la mère, et une atteinte cérébrale, l’éclampsie. Chez le fœtus, 1/3 des prééclampsies induisent un retard de croissance. Ces effets impactent la mère sur le long terme, plusieurs années, voire dizaines d’années après la grossesse, au niveau cardiovasculaire, rénal, cérébral et hépatique, via des altérations durables de l’endothélium, la couche cellulaire qui tapisse tous les vaisseaux sanguins.
Limites de la prise préventive d’aspirine
Le traitement actuellement recommandé pour la prééclampsie est la prise préventive d’aspirine par les patientes à risque. Ce traitement a pour effet de faire baisser l’état pro-coagulant dans le placenta, de diminuer l’inflammation et de soulager partiellement le réseau vasculaire, mais il a montré ses limites. « Avant 2010, une méta-analyse publiée dans le Lancet montrait un bénéfice de l’aspirine autour de 10 % (Askie et al, 2007). Ce bénéfice modeste n’a pu être expliqué de façon limpide qu’à partir d’une étude de 2010 (Bujold et al, 2010). L’étude, une méta-analyse a montré que l’aspirine, administrée à des femmes avant 16 semaines de grossesse, induisait une diminution drastique du risque, divisé par 10, selon le type de prééclampsie. En revanche, après 16 semaines, le traitement n’avait pas d’effet. Donc, si on attend le développement des symptômes (au plus tôt vers 20 semaines) pour administrer l’aspirine, le médicament n’a aucun effet », détaille le Dr Vaiman. Par conséquent, « en France, on donne préventivement de l’aspirine aux femmes qui ont eu une première grossesse prééclamptique, ce qui diminue certainement une seconde occurrence de la pathologie. A noter cependant que 75 % des prééclampsies surviennent lors d’une première grossesse, ce qui limite la population qui serait susceptible d’être traitée », pointe-t-il.
Restaurer la production d’oxyde nitrique
Grâce à un travail de collaboration entre l’Institut Pasteur, l’Inserm et le CNRS, des chercheurs français ont découvert une nouvelle piste de thérapie pour traiter la prééclampsie. Ils se sont intéressés à un aspect particulier de la maladie. « Nous avons remarqué qu’une carence en oxyde nitrique (NO), une molécule qui permet la vasodilatation, pouvait causer des syndromes prééclamptiques », explique le Dr Ricchetti.
Le NO est produit par une famille d’enzymes, les oxyde nitrique synthases (NOS). Trouver un moyen de restaurer la production de NO dans le placenta à travers les NOS pourrait constituer une nouvelle thérapie pour traiter efficacement la prééclampsie. « Le Dr Laurent Chatre, lors qu’il travaillait dans mon groupe, a eu l’idée d’exploiter une caractéristique des oxyde nitrique synthases, notamment le fait qu’elles fonctionnent de deux manières : quand elles sont aidées par un cofacteur naturel le BH4 (ou tétrahydrobioptérine, un cofacteur qui stabilise l’enzyme NOS), elles produisent du NO, mais quand elles n’y sont pas couplées (en manque de BH4) elles produisent à la fois du NO et des espèces réactives de l’oxygène (ROS). Dans ce dernier cas, en plus de réduire la quantité de NO, le NO et le ROS peuvent se combiner pour produire une molécule très toxique, le peroxynitrite, à la base du stress dit nitrosatif », détaille le Dr Richetti. Le NO est capté et n’est plus suffisant pour assurer la santé de l’endothélium vasculaire et la pathologie prééclamptique s’installe.
Administration de BH4 en préclinique
Pour « forcer » l’enzyme à fabriquer davantage de NO, les chercheurs ont administré du BH4 dans des modèles cellulaires de trophoblastes (les cellules placentaires), puis chez des souris et des rates gestantes. « Nous avons démontré dans ces modèles une réduction des effets nocifs du manque de NO. Nous avons observé que nous pouvions restaurer une condition normale des trophoblastes, qui contribuent à structurer le placenta, et donc à organiser et gérer le fonctionnement du réseau vasculaire permettant d’apporter au fœtus oxygène, nutriments, et autres éléments essentiels à sa croissance », ajoute-t-elle. Par ailleurs, l’administration de BH4 sur les deux modèles précliniques de rongeurs a permis de restaurer le poids placentaire et le poids fœtal. Au niveau maternel, chez les souris, le traitement au BH4 a aussi permis de corriger la pression artérielle, l’excès de protéines dans les urines et les anomalies cardiovasculaires, en particulier de corriger l’hypertrophie cardiaque induite par l’hypertension. Ces résultats suggèrent que le traitement serait efficace pour contrer les effets à long terme de la prééclampsie sur les mères.
« Nous suggérons que le BH4 puisse s’utiliser en thérapie, soit seul soit en combinaison avec l’aspirine, car dans l’article nous avons démontré que les deux molécules fonctionnent par des voies totalement indépendantes », résume le Dr Ricchetti.
« Le problème à présent est d’obtenir l’autorisation de cette médication chez la femme enceinte », relève pour sa part le Dr Vaiman. « C’est un médicament qui est déjà utilisé dans la phénylcétonurie. Il n’y a pas d’effet secondaire important mentionné, mais cette maladie étant rare, on n’a pas de recul suffisant pour prouver l’innocuité de la molécule chez la femme enceinte », met-il en garde.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Une nouvelle perspective thérapeutique dans la prééclampsie - Medscape - 13 sept 2022.
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