Paris, France – La proportion de cancer du poumon chez les non-fumeurs est en augmentation depuis des années. Mais, pourquoi les personnes non fumeuses sont-elles susceptibles de développer ces cancers ? Des chercheurs anglais apportent une réponse en montrant que la pollution de l’air – au travers des particules fines – serait en cause en induisant une prolifération tumorale chez des individus présentant un certain type de mutations génétiques [1].
Les mêmes particules qui accentuent le changement climatique, « impactent aussi directement notre santé par un mécanisme cancérigène important, inconnu jusqu’à ici, au niveau des cellules pulmonaires », a expliqué le Pr Charles Swanton, oncologue thoracique à l’hôpital universitaire de Londres (UCLH) et chercheur à l’Institut Francis Crick (Londres).
Un constat qui établit un lien clair entre le changement climatique et la santé humaine, comme le promeut le concept « One health » soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (WHO) et une conclusion en faveur de politiques de prévention fortes (voir encadré). L’étude a été présentée en session présidentielle samedi au congrès de l’ESMO 2022 à Paris et discutée par la Dre Suzette Delaloge (Gustave Roussy, Villejuif).
Le rôle des particules fines
Le lien entre pollution et cancer du poumon est connu depuis une vingtaine d’années. Présentes dans les gaz d’échappement des véhicules motorisés et dans les fumées des carburants fossiles, les particules fines sont associées à un risque accru de cancers du poumon non à petites cellules (CPNPC) et seraient responsables de plus de 250 000 décès dus au cancer du poumon chaque année [2,3]. « Il y a une association bien connue entre la pollution et le cancer du poumon, mais jusqu’à présent nous ne savions pas si, et si oui comment, la pollution pouvait être une cause directe de la maladie », a expliqué le Pr Charles Swanton, lors d’une conférence de presse à l’ESMO 2022. C’est désormais chose faite. Puisqu’une étude portant sur près d’un demi-million d’individus résidant en Angleterre, en Corée du Sud et à Taïwan a en effet montré que l’exposition à des concentrations de plus en plus fortes de particules fines dans l’air, d’un diamètre de 2,5 µm (PM 2,5) est liée à un risque accru de CPNPC chez des individus porteurs d’une mutation à risque (EGFR).
Les mutations, condition nécessaire mais pas suffisante
Dans un deuxième temps, les chercheurs ont établi la base mécanistique sur laquelle s’établit ce lien. Ils ont en effet montré chez l’homme et en laboratoire le rôle déclencheur de cancers du poumon que pourrait avoir l’exposition à la pollution chez des porteurs de certaines mutations, et notamment celles du gène EGFR. Celles-ci sont présentes chez environ la moitié des personnes atteintes de cancer du poumon, y compris chez celles n’ayant jamais fumé. « On observe ces mutations dans plus de la moitié des biopsies de tissu pulmonaire sain, elles sont une conséquence naturelle de l’âge. Elles sont donc nécessaires, mais pas suffisantes pour qu’un cancer se développe : c’est au contact de la pollution que les cellules souches cancéreuses vont proliférer et donner lieu à une tumeur. Cela constitue un début d’explication à la capacité des agents environnementaux cancérogènes qui n’engendrent pas de mutations de l’ADN à déclencher des cancers », a déclaré Charles Swanton.
Le modèle de promoteur de tumeurs « Berenblum 1947 »
Car comment expliquer alors, qu’hébergeant une même mutation à risque, certaines personnes développent un cancer du poumon ou d’autres pas, en particulier quand elles ne sont pas confrontées au cancérigène que constitue le tabac, en sachant qu’elles ne présentent pas de signature mutationnelle spécifique ? Pour le savoir, les chercheurs ont testé un modèle établi il y a plus d’une cinquantaine d’années (dit Berenblum 1947) chez la souris pour expliquer le développement des mélanomes. « Ce modèle stipule que développer une tumeur nécessite, primo, un événement initial, que nous savons désormais probablement être une mutation, et secundo, un promoteur, ici la pollution atmosphérique à travers les particules PM2,5, a expliqué le Pr Swanton. Un seul de ces événements ne suffit pas à déclencher la maladie, les deux sont nécessaires pour déclencher le cancer ».
De façon intéressante, les mutations qui servent d’« initiateurs » – à savoir celles de type KRAS mais aussi de l’EGFR, connu pour jouer un rôle dans le cancer du poumon – sont présentes dans des tissus pulmonaires histologiquement sains, et chez des sujets exempts de cancer, a détaillé l’investigateur. L’étude de corrélation géographique entre pollution et cancers a montré que 18 à 33 % des tissus sains pulmonaires hébergent des mutations drivers de type EGFR et KRAS en l’absence de malignité.
Transformation et expansion
Sur la base d’une première preuve de corrélation géographique, les chercheurs ont poursuivi leur démonstration de l’adéquation avec le modèle « Berenblum 1947 » en exposant des souris à la pollution atmosphérique. Une expérience qui s’est traduite par une augmentation du nombre et de la sévérité des tumeurs chez les animaux hébergeant les mutations en question. Cela conduit à penser que la pollution de l’air favorise la cancérogenèse dans des cellules porteuses de mutation à risque.
Par ailleurs, a explosé le Pr Swanton, chez les souris, ces mêmes particules de polluants atmosphériques ont favorisé des modifications rapides des cellules des voies respiratoires porteuses de mutations de type EGFR et KRAS, qui ont fini par ressembler à des cellules souches cancéreuses.
Le rôle de la cytokine pro-inflammatoire interleukine-1β
Pour appuyer définitivement leur démonstration, les chercheurs ont aussi montré que la pollution de l’air augmentait l’afflux des macrophages qui sécrètent la cytokine pro-inflammatoire interleukine-1β, stimulant ainsi la prolifération des cellules porteuses de mutation de l’EGFR dans des tissus sains au contact des particules fines, et expliquant ainsi l’expansion des cellules cancéreuses.
Ils ont appuyé la validité de leurs résultats en démontrant qu’à l’inverse, un blocage de l’interleukine-1β inhibait le développement du cancer du poumon. Des découvertes qui confirment les résultats d’un précédent essai clinique majeur qui avait démontré une diminution dose-dépendante de l’incidence du cancer du poumon chez les personnes traitées par canakinumab, un anticorps monoclonal dirigé contre l’interleukine-1β [4].
Réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030
Au final, « nous avons montré, d’abord, une forte corrélation entre la répartition géographique de particules polluantes (PM2,5) avec l’incidence de cancers du poumon chez des non-fumeurs, puis, dans trois modèles de rongeurs, la relation de cause à effet, et dose-dépendante entre l’exposition à la pollution et la prolifération de tumeurs, plus agressives. Et enfin, que l’interleukine-1β promouvait la différenciation, la prolifération de cellules abritant des mutations de type EGFR en un genre de cellules souches cancéreuses, et que l’inhibition par le canakinumab, un anti-IL1, pouvait réduire cette prolifération, avec un effet-dose », a résumé l’oncologue anglais.
Pour le Pr Swanton, il découle de cette découverte une obligation en matière de santé publique à réduire les taux de ces polluants, produits de la combustion de carburants fossiles: «Nous devons réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et en faisant cela nous diminuerons naturellement les taux de PM2,5», a-t-il indiqué en conférence de presse. Et ce d’autant que les particules fines sont responsables de nombreuses autres pathologies, et notamment dans le domaine cardiovasculaire.
L’étude ayant par ailleurs confirmé que le blocage de l’interleukine-1β pouvait inhiber le développement du cancer du poumon en bloquant la transformation des cellules pulmonaires en cellules souches cancéreuses au contact de la pollution, le chercheur a également avancé que le ciblage de l’interleukine-1β devrait être exploré à l’avenir comme une nouvelle approche potentielle de prévention, avant l’apparition du cancer.
Invitée à commenter l'étude lors de la présentation en session présidentielle, la Dre Suzette Delaloge, oncologue médicale spécialiste du cancer du sein, cheffe de service à Gustave Roussy (Villejuif), s'est montrée particulièrement élogieuse, impressionnée par la « quantité de données accumulées par les chercheurs, et parlant d'un « incroyable pas à avant » dans la compréhension des mécanismes impliqués dans la survenue du cancer du poumon, en particulier chez les non-fumeurs.
La Dre Delaloge n'a pas hésité à dire que cette étude allait « grandement impacter la vision qu'ont les oncologues du processus de carcinogénèse, en démontrant l'existence d'une option alternative ne dépendant pas uniquement de la présence de mutations», ainsi que le rôle d'intermédiaire joué par l’interleukine-1β dans la transformation en cellules cancéreuses.
« Il reste cependant encore beaucoup de choses à comprendre » a-t-elle nénamoins reconnu et ces résultats font « apparaitre de nouveaux questionnements», notamment sur le rôle des particules PM2,5 dans l'initiation du processus oncogène. « Dans quel mesure, ce processus est-il ubiquitaire dans la genèse du cancer du poumon, et des cancers en général ? Pourquoi agit-il préférentiellement sur les mutations EGFR ? Et de façon plus générale, en termes de santé publique, quels composants des particules PM2,5 déclenchent ce processus car on sait des ces particules sont hétérogènes. Mais aussi, combien de temps cela prend-il pour entrainer un cancer chez les humains. Ou encore, au-delà de la présence de mutations EGFR, quels autres facteurs de susceptibilité sont nécessaires pour enclencher un processus cancéreux » s'est interrogée l'oncologue parisienne.
Quelles sont les implcations de cette étude ? « Avant tout, nous devons réduire l'exposition aux particules PM2,5 dans le monde entier. Mais c'est aussi un bon modèle pour "intercepter" les cancers avant leur phase clinique en proposant une combinaison alliant détection précoce - sur la base de biomarqueurs comme l'inflammation - et de thérapies préventives précoces. En s'appuyant sur ces résultats, et ceux de l'étude CANTOS, faut-il rapidement repositionner le canikinumab ?» a conclu la Dre Delaloge.
La prévention avant tout
La découverte de ce mécanisme survient alors que l’incidence des cancers des voies respiratoires dans le monde est en hausse : le nombre de nouveaux cas annuels pourrait bondir d’environ 70% au cours des deux décennies à venir. Rien qu’en Europe, des tendances similaires constatées pour d’autres types de tumeurs sont susceptibles d’engendrer une augmentation de la mortalité tous cancers confondus : de 2 millions de décès enregistrés en 2020, celle-ci pourrait alors atteindre 3 millions de décès annuels d’ici à 2040 [5]. Estimant que près de la moitié des cancers pourraient être évités, l’Organisation Mondiale de la Santé considère la prévention comme étant la stratégie la plus efficiente, et donc la plus pérenne, en matière de lutte contre le cancer.
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Citer cet article: Cancer du poumon chez les non-fumeurs : le rôle conjugué de la pollution et des mutations explicité - Medscape - 10 sept 2022.
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