POINT DE VUE

Maladie de Lyme : « les patients ayant reçu une antibiothérapie d'une durée supérieure à un mois ont une moins bonne évolution »

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

12 septembre 2022

Villeneuve Saint-Georges, France – A l'occasion de la 16ème Conférence internationale sur la borréliose de Lyme et autres maladies transmises par les tiques (ICLB) qui s'est déroulée du 4 au 7 septembre à Amsterdam, les travaux de la Dr Alice Raffetin ont reçu le prix « Young &Wild ». La coordinatrice du Centre de Référence des Maladies Vectorielles à Tiques Nord (CRMVT) qui est rattaché au Centre Hospitalier Intercommunal de Villeneuve Saint-Georges, a présenté l'évolution des patients un an après leur première consultation au CRMVT.

Medscape édition française s'est entretenu avec elle alors qu'en France l'incidence annuelle de la maladie de Lyme continue de progresser depuis une décennie atteignant aujourd'hui environ 60 000 nouveaux cas chaque année.

Comment fonctionne le Centre de Référence des Maladies Vectorielles à Tiques de Villeneuve Saint-Georges ?

Dr Alice Raffetin : C'est un centre de référence de prise en charge clinique. Nous recevons 200 nouveaux patients chaque année. Adressés le plus souvent par une lettre de leur médecin généraliste, les patients doivent nous envoyer par mail leur dossier médical complet, c'est-à-dire comprenant tous les examens réalisés jusque-là (scanner, prise de sang, compte-rendus des éventuelles hospitalisations). Un médecin du centre prend alors connaissance du dossier et organise la venue du patient. Cette démarche nous permet de repérer ce qu'il manque pour affiner le diagnostic et optimiser le parcours de soins du patient chez nous.

Ainsi, à l'issue d'une consultation ou d’un hôpital de jour pluridisciplinaire, le patient aura pu rencontrer des médecins de différentes spécialités, il recevra en main propre une synthèse médicale avec une première conclusion à savoir si nous pensons que le patient est atteint d'un Lyme ou pas, ou s'il s'agit toujours d'une suspicion de Lyme avec la nécessité de réaliser des examens complémentaires ou encore s’il s’agit d’un autre diagnostic que le Lyme.

Parmi tous les patients vus en consultation, seuls 12,7% ont une borréliose de Lyme confirmée, et 7,6% une borréliose de Lyme possible, les autres ont un diagnostic différentiel, c'est-à-dire une pathologie qui ressemble à la maladie de Lyme. 

Le fait d'être organisés de façon pluridisciplinaire permet de réduire le temps de prise en charge des patients qui ont souvent plus d'un an d'errance médicale quand ils viennent nous voir. A partir du moment où on reçoit le dossier médical, nous organisons une première consultation dans un délai de deux mois maximum. S'il y a une urgence, comme une neuroborréliose de Lyme avec une méningite, on peut voir le patient le lendemain, bien sûr.

 
Le fait d'être organisés de façon pluridisciplinaire permet de réduire le temps de prise en charge des patients qui ont souvent plus d'un an d'errance médicale.
 

Quel est le profil des patients reçus au centre de référence ?

Dr Alice Raffetin : Après une piqure de tique, on conseille l'autosurveillance. En cas d'érythème migrant, première phase de la maladie, précoce et bénigne, le médecin généraliste peut tout à fait le prendre en charge. S'il y a uniquement une atteinte cutanée, les patients sont reçus au centre seulement si l'érythème migrant est atypique, par exemple s'il persiste malgré les antibiotiques, ou s'il est douloureux ou avec une couleur inhabituelle. 

Dans les centres de référence, nous voyons plutôt les formes disséminées touchant le système neurologique avec des méningites, des paralysies faciales ou des radiculites qui ne répondent pas aux anti-inflammatoires. Il y a aussi des formes articulaires avec, dans la majorité des cas, un genou qui grossit et gêne la marche. C'est pourquoi nous avons développé des consultations à deux spécialistes ( infectiologue + rhumatologue ou infectiologue+neurologue). La consultation dure une heure à une heure et demie, ce qui est long mais fait finalement gagner un temps précieux pour le diagnostic car chaque médecin a sa façon d'interroger et d'examiner le patient selon sa spécialité.

A la fin de la consultation, le patient est orienté dans la bonne filière de soin. Par exemple, un patient vient avec une question d'infectiologie (« est-ce que j'ai une maladie de Lyme ? ») mais à l'issue de la consultation, mon collègue rhumatologue et moi pouvons conclure qu'il s'agissait en fait d'une question de rhumatologie. Ce genre de démarche pluridisciplinaire permet de proposer une prise en charge plus qualitative et plus complète aux patients et d'apporter une réponse à l'errance médicale.

Vous avez présenté au congrès une partie de vos travaux de recherche sur l'évolution de vos patients à un an. Pouvez-vous nous détailler cette évolution ?

Dr Raffetin : J'ai regardé un an après la prise en charge des patients chez nous ce qu'ils étaient devenus. Etaient-ils guéris ? Ou bien leur état général s'était-il partiellement amélioré, c'est-à-dire qu'ils allaient mieux et pouvaient reprendre le travail, le sport et les activités quotidiennes mais présentaient toujours avec des symptômes ? Ou bien est-ce que les symptômes avaient stagné voire même empiré ?

Cette étude observationnelle a permis de mettre en évidence que plus de 80 % des patients quel que soit le diagnostic, Lyme ou pas, avaient une évolution favorable. Elle a permis aussi de distinguer différents facteurs influençant le pronostic. Par exemple, on montre que les patients ayant reçu une antibiothérapie non recommandée, d'une durée supérieure à un mois, ont une moins bonne évolution que les autres patients : ils ont deux fois moins de chance de guérison un an.

 
Plus de 80 % des patients quel que soit le diagnostic, Lyme ou pas, avaient une évolution favorable.
 

Malgré plusieurs études randomisées ayant démontré qu'il ne fallait pas plus d'un mois d'antibiotique dans la maladie de Lyme, certains médecins continuent de prescrire des antibiotiques par cure assez longue.

Ici on voit bien que les patients qui ont reçu très longtemps des antibiotiques vont globalement moins bien que les autres. Autre facteur influençant la guérison : le délai de prise en charge entre les premiers symptômes et la première consultation en centre de référence. Si ce délai excède seize mois, le patient a deux à trois fois moins de chance de guérir que s'il avait été pris charge avant.

Enfin, en cas de borréliose de Lyme confirmée, le patient a trois fois plus de chance de guérison que si le médecin pose un autre diagnostic. Ce n'est pas étonnant puisque dans les diagnostics différentiels, il y a de nombreux cas de maladies chroniques comme la spondylarthrite, l'arthrose...

Outre vos activités cliniques et de recherche, vous coordonnez un DU sur les zoonoses liées aux tiques. Comment s'organise-t-il ?

Dr Raffetin : Le centre de référence est en effet à l'origine d'un diplôme universitaire avec l'Université Paris-Est Créteil, l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort et l'Inrae. Nous avons une approche « One health » dont l'objectif est une meilleure santé pour tous : si le monde végétal se porte bien, le monde animal se portera bien et le monde humain se portera bien. C'est du bon sens, nous sommes tous interdépendants, et c'est particulièrement vrai pour toutes les maladies vectorielles. Ouvert aux médecins, aux entomologistes mais aussi aux vétérinaires, aux biologistes, aux infirmiers ou encore aux patients experts des associations, c'est un DU assez complet avec plusieurs regards de métiers qui se déroule sur deux journées par mois pendant six mois avec un mémoire collectif en fin de parcours.

Enfin, comment la spécialiste que vous êtes explique-t-elle l'augmentation des cas de maladie de Lyme en France ?

Dr Raffetin : On observe en effet une augmentation de l'incidence annuelle tous les ans depuis 2010. Je compte au moins trois hypothèses pour expliquer ce phénomène. La première hypothèse est que les médecins généralistes diagnostiquent beaucoup mieux les érythèmes migrants et de ce fait, il y a une augmentation du nombre de déclaration au réseau Sentinelle. La deuxième hypothèse tient au climat : avec le changement climatique, les hivers sont plus doux et favorable à la prolifération des tiques sur des périodes plus longue, et donc à une exposition plus longue des êtres humains pendant l’année. La troisième hypothèse repose sur les politiques d'aménagement du territoire en faveur du reboisement créent des endroits propices à la prolifération des tiques.

 
Les hivers sont plus doux et favorable à la prolifération des tiques sur des périodes plus longue.
 

 

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