Faut-il donner des bronchodilatateurs aux anciens fumeurs symptomatiques avec fonction pulmonaire préservée ?

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

7 septembre 2022

Barcelone, Espagne – De nombreuses personnes avec des antécédents de tabagisme présentent des symptômes respiratoires malgré l’absence d’obstruction des voies respiratoires. Elles sont souvent traitées avec les thérapeutiques de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), mais les preuves à l’appui de ce traitement font défaut.

Un premier essai (RETHINC) paru simultanément dans le New England Jounal of Medicine et présenté au congrès européen de pneumologie (ERS, Barcelone, 3-6 septembre 2022)[1] a rendu son verdict : les symptômes respiratoires et la qualité de vie ne sont pas plus améliorés sous bithérapie bronchodilatatrice que sous placebo.Le tabagisme est la principale cause mondiale de BPCO. Celle-ci est diagnostiquée cliniquement sur la base d’une limitation persistante du débit d’air mesurée par spirométrie chez les personnes ayant des antécédents de tabagisme et présentant des symptômes respiratoires fréquents (toux, crachats, dyspnée, etc.).

« Une approche clinique consiste à traiter de manière empirique les personnes exposées au tabac qui sont symptomatiques, indépendamment des mesures spirométriques », commentait le Pr Don Sin, directeur du Centre for Heart Lung Innovation (Vancouver, Canada).

 
Une approche clinique consiste à traiter de manière empirique les personnes exposées au tabac qui sont symptomatiques, indépendamment des mesures spirométriques. Pr Don Sin
 

Leur nombre n’est pas négligeable : en 2016, dans l’étude observationnelle SPIROMICS (Subpopulations and Intermediate Outcome Measures in COPD Study) [2], 50 % des personnes ayant des antécédents de tabagisme et une fonction pulmonaire préservée à la spirométrie présentaient des symptômes respiratoires importants. Environ un tiers utilisaient des bronchodilatateurs inhalés, des glucocorticoïdes inhalés ou les deux.

Elles étaient trois fois plus susceptibles d’avoir des exacerbations et plus de dix fois d’être hospitalisées par comparaison aux personnes asymptomatiques ex-fumeuses. « De ces données est née l’hypothèse qu’une intervention thérapeutique précoce pourrait diminuer les symptômes chez ces patients », poursuit-il.

Pour cette raison, il était important de se pencher « sur une pratique courante en pneumologie et en médecine générale mais qui n’a jamais été évaluée, donc sans niveau de preuve », ajoutait le Pr Chantal Raherison-Semjen (CHU Pointe-à-Pitre) et ancienne présidente de la Société de pneumologie de langue Française, présente au congrès de l’ERS.

C’était l’objectif de la nouvelle étude présentée au congrès européen par la Dre Meilan K. Han (Division of Pulmonary and Critical Care, Université du Michigan, États-Unis), un essai contrôlé randomisé (Redefining Therapy in Early COPD [RETHINC]) qui a évalué les effets de 12 semaines de traitement deux fois par jour avec de l’indacatérol (bêta-2-agoniste, 27,5μg) associé à du glycopyrronium (antagoniste des récepteurs muscariniques – anticholinergique – de longue durée d’action, 15,6μg) comparé à un placebo sur les symptômes pulmonaires et l’état de santé de 535 personnes symptomatiques, exposées par le passé au tabac (au moins 10 paquets/années) et dont la fonction pulmonaire est préservée par spirométrie.

Les symptômes respiratoires étaient définis par un score au test d’évaluation de la BPCO d’au moins 10 (les scores vont de 0 à 40, les plus élevés indiquant des symptômes plus graves) et la fonction pulmonaire préservée à la spirométrie (rapport du volume expiratoire maximal en 1 seconde [FEV1] à la capacité vitale forcée [FVC] ≥ 0,70 et FVC ≥ 70 % de la valeur prédite après utilisation d’un bronchodilatateur).

Le critère principal était une diminution d’au moins 4 points, c’est-à-dire une amélioration, du score du questionnaire respiratoire de Saint-Georges (SGRQ) après 12 semaines sans traitement.

« Nous avons constaté que l’utilisation d’une bithérapie fixe avec un β2-agoniste à longue durée d’action (LABA) et un antagoniste muscarinique à longue durée d’action (LAMA) ne diminuait pas significativement les symptômes, explique la chercheuse, bien que l’expiration forcée moyenne volume en 1 seconde – la mesure spirométrique la plus robuste de la fonction pulmonaire – a augmenté d’environ 40ml dans le groupe traité. »

Dans les chiffres, 128 des 227 participants (56,4 %) du groupe de traitement et 144 des 244 (59,0 %) du groupe placebo ont présenté une diminution de 4 points du score SGRQ (différence de -2,6 points de pourcentage ; intervalle de confiance [IC] à 95 %, -11,6 à 6,3 ; rapport des cotes ajustées, 0,91 ; IC à 95 %, 0,60 à 1,37 ; P = 0,65).

Réserver les bronchodilatateurs à longue durée d’action aux seuls patients BPCO ?

Que nous apprend cet essai ? Pour le Pr Don Sin, « les bronchodilatateurs à longue durée d’action ne semblent pas être efficaces chez les personnes symptomatiques ayant des antécédents de tabagisme et une fonction pulmonaire préservée à la spirométrie ; ces médicaments devraient très probablement être réservés aux patients atteints de BPCO, qui ont une limitation cliniquement significative du débit d’air. »

 
Ces médicaments devraient très probablement être réservés aux patients atteints de BPCO. Pr Don Sin
 

Cet article conclut à l’absence de différence d’amélioration sur la qualité de vie et les symptômes entre les deux bras, « suggérant l’inutilité de placer ces patients sous association de bronchodilatateurs à longue durée d’action », le rejoint le Pr Chantal Raherison-Semjen.

« Stricto sensu, ces patients ne sont pas de ‘’vrais’’ patients BPCO car leur fonction pulmonaire n’est pas altérée. Pour autant, ne faut-il pas les traiter puisqu’ils ressentent des symptômes similaires à ceux d’un patient BPCO ? Dans leur pratique, les médecins – pneumologues ou généralistes – ont déjà répondu à cette question en prescrivant les thérapeutiques de la BPCO en dépit d’une fonction ventilatoire non altérée. On considère ainsi que ces patients se situent à un stade pré-BPCO et qu’il est peut-être intéressant de les traiter, non seulement pour répondre à la plainte, mais pour agir avant que la situation ne se dégrade. Une pratique habituelle, mais qui n’avait jamais été étudiée à l’aune de l’Evidence Based Medicine. D’autres essais devront être menés pour conclure définitivement sur l’utilité de cette bithérapie inhalée dans ce cas précis qui correspond à une part non négligeable des patients vus en pneumologie ».

 
D’autres essais devront être menés pour conclure définitivement sur l’utilité de cette bithérapie inhalée dans ce cas précis qui correspond à une part non négligeable des patients. Pr Don Sin
 

Bien des questions en suspens

Une limitation majeure de la spirométrie est que les valeurs qu’elle mesure reflètent principalement des processus pathologiques dans les grandes voies respiratoires. Cependant, dans la BPCO, la maladie débute dans les petites voies respiratoires (< 2 mm de diamètre). Celles-ci sont enflammées, rétrécies, puis détruites en réponse à une exposition à long terme à la fumée, bien que l’ensemble du processus puisse prendre plusieurs décennies pour évoluer complètement.

Ainsi, au moment où la spirométrie peut être utilisée pour détecter une limitation cliniquement significative du débit d’air, les patients sont généralement dans leur cinquième ou sixième décennie de vie ou au-delà et ont perdu plus de 40 % de leurs bronchioles terminales, les voies respiratoires restantes présentant des caractéristiques histologiques de remodelage.

« Sur la base de cet essai et d’autres études, il est clair que la spirométrie ne peut pas être utilisée pour identifier les personnes ayant des antécédents de tabagisme qui présentent un risque élevé de progression de la maladie », estime le Pr Don Sin, « car le test est trop peu sensible pour détecter la maladie des petites voies respiratoires. Oscillométrie forcée, indice de clairance pulmonaire (test de rinçage à respiration multiple) et méthodes fondées sur l’imagerie telles que la cartographie de la réponse paramétrique avec l’utilisation de la tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et microstructurale sont prometteurs pour la détection de la maladie des petites voies respiratoires avant le début de la limitation du débit d’air par spirométrie. »

Un autre paramètre dont il faut tenir compte est que les symptômes respiratoires chez les personnes exposées au tabac sont variables dans le temps. Pour preuve, dans cet essai, près de 60 % des patients qui ont reçu un inhalateur placebo ont présenté une amélioration cliniquement significative de leurs symptômes et de leur état de santé sur trois mois.

Un autre point de vigilance concerne les symptômes prédominants chez les personnes ayant des antécédents de tabagisme sont la toux et la production d’expectorations, ce qui est déterminant dans le choix des thérapeutiques. En effet, bien que les bronchodilatateurs soient efficaces pour améliorer l’essoufflement et la tolérance à l’exercice, ils sont généralement inefficaces pour la toux [3].

« Les médicaments existants dans la BPCO, comme les glucocorticoïdes inhalés ou les inhibiteurs de la phosphodiestérase-4, ou de nouveaux traitements comme les antagonistes des récepteurs P2X3 pourraient être plus efficaces contre la toux et la production d’expectorations liées au tabagisme et pourraient être envisagés pour de futures évaluations dans cette population de patients », ajoutait le Pr Don Sin.

Enfin, plusieurs autres questions se posent à la lecture de cet article, comme le souligne la Dre Chantal Raherison-Semjen, « en particulier sur la pertinence de l’association de bronchodilatateurs utilisée dans l’étude plutôt qu’une association fixe avec des corticoïdes inhalés. Par ailleurs, faut-il renvoyer un patient sans traitement alors que la plainte existe ? De plus, on préconise un diagnostic précoce des patients BPCO mais que faire alors que la fonction respiratoire est encore préservée ? On a dans l’idée que traiter à ce moment-là, de manière précoce, pour peut-être agir sur l’évolution de la maladie. L’approche est intéressante et cela fait longtemps que l’on attend ce type d’étude, même si le résultat est négatif, mais nous devons aller plus loin. » À suivre.

 
Faut-il renvoyer un patient sans traitement alors que la plainte existe ? Dre Chantal Raherison-Semjen
 

 

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